vendredi 1 mars 2013

Tout est O-K à K-pital City 07




Avant de pénétrer dans le hall de l'immeuble délabré à l'angle de Cimetery Lane qui trace la ligne frontière du district 22, je m'assure plusieurs fois qu'on ne m'a pas suivi.  Ce serait vraiment un comble si je lui ramenais un keuf!
Je souffle à cause de mon poids, tout au long des quatorze étages qu'il faut gravir à pied.  Plus aucun ascenseur ne fonctionne dans ce secteur de la ville.  Je ne comprends pas pourquoi R.P. s'obstine à vivre ici, au lieu d'habiter une cellule d'un de ces bâtiments neufs auquel sa fonction lui donne droit.  Je soupçonne qu'il doit posséder plusieurs adresses.
Au quatorzième étage, je me fraye un chemin entre les sacs d'ordures, les plantes vertes en plastique, et les meubles cassés entassés dans les couloirs des combles.
Qu'est-ce que Reginald Doomsday vient foutre dans ce merdier?  En entrant, veuillez laisser votre fierté à la porte, celle de R.P., au fond du couloir, reconnaissable à l'affiche en caractères cyrilliques qui y est placardée.  Je frappe selon le rythme convenu.  Derrière, j'entends un halètement continu.  La respiration d'une femme?
- Repasse plus tard, j'ai un travail à finir, dit R.P. d'une voix étranglée.
On ne discute pas ses ordres.

             Je me replie dans mon bureau roulant.  Une heure durant, je profite de ce que je me trouve hors des circuits de télésurveillance de K-pital pour régler quelques affaires concernant la section armement de Doomsday Inc.
De nouveau, je gravis en sifflant, en toussant, les quatorze paliers de mon calvaire.  En haut m'attend mon sauveur aux mains chargées de neige.  La porte s'entrebâille: dans l'ouverture un flingue gros calibre, un Doomsday 48, je reconnais bien l'arme de service.  Mon keuf est derrière.  En vitesse il a passé un short maladroitement retaillé dans un vieux fut de sport.  Le tissu est si élimé qu'on voit presque le jour au travers.  D'un bref coup d'oeil je repère les taches fraîches et humides qui maculent le drap roulé en boule.  A quelque heure que j'arrive, R.P. m'ouvre toujours à demi-nu, bombant son torse épais à la chair trop blanche, presque vert pâle, embroussaillé de poils drus et noirs qui remontent vers les épaules et dans le cou.  Cette gueule inamicale et mal rasée, c'est le premier flash de ma journée.
Comment pourrait-on vivre dans un pareil trou à rat?  La chambre est ronde, sans fenêtre qu'un vasistas au plafond, si haut placé au sommet du puits de lumière qu'on ne peut pas l'atteindre pour l'ouvrir.  La climat déglinguée est en panne, si jamais elle fonctionna.  L'odeur de fauve est donc puissante, renforcée par le parfum de baise récente.  Le talkie abandonné près de l'oreiller crachote en sourdine des informations continues dont le grésillement incessant, associé au bourdonnement des rares véhicules, constitue la seule ambiance sonore.  Pas d'autre mobilier, que le vieux lavabo dans lequel il empile la vaisselle, se rase et pisse.  Il me fait son numéro, comme si j'étais passé dire bonjour, et pas pour les affaires.  Plus il traînera, plus le prix grimpera.  Début du spectacle:
- Faut que je me lave, tu m'excuses, mais je vais bosser direct après.
Chiqué! je sais pertinemment qu'il se tape d'aller au taf tout gluant rejoindre les autres pue-la-sueur.  Parmi eux c'est l'odeur qui fait 1'tiomme.  Il doit être d'humeur facétieuse pour déployer rien que pour moi toute cette mise en scène.  Je le vois qui m'épie l'oeil en coin, tandis qu'il feint de s'observer en grimaçant dans le miroir, analysant les phases de la décomposition de mon visage souriant, le masque forcé que je m'astreins à conserver pour qu'il croie son effet raté et décide de pousser plus avant la comédie.
Les mains arrimées au short, il se retourne de trois-quart dos, teignant un reste de pudeur pour ne pas me montrer brutalement sa queue.  Le voilà à poil, jouant des fessiers, contractant et relâchant, au rythme de mon coeur qui cogne.  Le sang bat à mes tempes.  Dans le miroir, mes yeux cherchent sa bite, mi-bandée, mi-flasque, le bout du gland humide qui commence à repousser la corolle du prépuce. Les couilles lourdes pendent, en pleine décontraction.  Je suis rouge, j'ai chaud.  Avec une lame de rasoir rouillée ramassée sur la tablette, il fait une ligne sur un petit miroir de poche.
- Goutte-moi ça, mon gars!

         Assis sur le lit, je suis exactement à hauteur de sa bite qu'il me balance sous le nez.  Mais le spectacle a

assez duré.  Il se tamponne les aisselles et l'entrejambe avec le peu d'eau marmonnasse qui coule du robinet,

puis passe un slip de sport à bandes élastiques.  Pendant que monte le flash, il continue à se débarbouiller

lentement, écartant les cuisses, frottant le petit ventre arrondi par la bière.  Le trouver si bien disposé

m'encourage à lui poser de nouveau la question:
- Quand est-ce que tu viens tourner un bout d'essai?
- Fous-moi la paix avec tes histoires de cul.
- Je te trouverai une nana, tu pourras laisser libre cours à ton imagination, lui planter des clous dans les seins, lui arracher les nymphes avec des tenailles ...
-  Il en défile toute la journée dans les caves de Dead End Street.  Qu'est-ce que j'en ai à foutre de tes victimes de seconde zone!  Tous les jours je m'en coince, elles ont la peur au cul, elles chient sous elles quand elles me voient entrer.
- Tu finis ta toilette, ou tu veux vraiment que je m'en taille une?
- Vous êtes tous des salopes, des allumés de la petite bête.  Tiens! tu mérites que ça!
Il m'envoie le sachet de came.  Je sors de mon attaché case la carte anonyme de 15000 unités et les vidéodisques qu'on va distribuer sous le manteau.
- Du vrai cul hétéro, que de l'interdit, copulation, cunnilingus, grossesse.
- Et de belles agonies, j'espère?
- Ça, c'est quand tu viendras aux studios.
- Tu peux toujours rêver, vieux con.  Un peu de respect pour 1'unîforme!
Il montre le pantalon de drap bleu, la vareuse et la casquette à visière noire au pied du lit.  Le talkie grésille: "Attentat Hétéro-Terroriste au 13-6".  Il se frotte les mains et commente:
- Putain, de la viande fraîche ...
J'embarque ma came.  Maintenant qu'il veut s'habiller, je dérange.






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J'ai rencontré Scott au terminal routier.  Je n'ai jamais réussi à savoir s'il descendait d'un bus ou des jardins suspendus que hantent les camés.  Il avait les poches vides, les dents ébréchées, pas encore dix-huit ans, et un jean crasseux pour tout bagage.  Malgré son nez cassé, ça se lisait sur son visage qu'il avait une grosse bite, et à son air dégoûté de voyou frimeur, il était évident qu'il cherchait la bonne passe.  J'ai dû lui apparaître immédiatement comme le pigeon-type, avec mon bide de bien-nourri.  Je venais justement de faire le plein et j'avais de la bonne dope plein mes poches de costard.
- De la bonne quoi? qu'il a fait l'oeil brillant, incrédule.

Et j'ai su que c'était mon jour de chance et que je venais de tomber sur un nouveau en ville.  J'ai pas

voulu le consommer tout de suite, l'expérience m'ayant appris qu'il était préférable de leur faire un peu

tourner la tête avant.  Il osait à peine poser ses mains sales sur la poignée chromée de ma voiture.

- Où on va?

- Un bar de la Zone.  On va s'en jeter un, t'as rien contre?

- Si tu payes le déplacement ...
Il me tutoie déjà.  Son air de chiot aux aguets me fait sourire.
- Fugueur?  Recherché par le milieu, ou les flics?
Il se demande s'il est utile de répondre oui pour m'exciter d'avantage ou si je vais le jeter par peur des
rouquins.
- Ancien marin, mais mon père est vacher dans l'est, il élève du boeuf à burger.
- Moi aussi je distribue de la viande, alors tu vois, t'es en terrain de connaissance.

Les néons du "Twilight Y" brillent au loin dans la nuit.  J'aime pas cette impression de flottement, le manque total de repères, le paysage inconnu, la route bordée d'arbres sombres.  Si le gros mec me fait chier, j'en trouverais bien un autre pour me ramener en ville.
On fait deux fois le tour du parking du bar.  Dans les voitures arrêtées, des ombres chinoises se détachent derrière les pare-brise.  Je vois ce que c'est.  J’ai ferré le bon poisson.
Les mecs plantés le long du zinc en U se balancent d'un pied sur l'autre au son de la musique de danse.  J'ai jamais vu autant de cuir en une seule fois.

   J'aime les carreaux rouge-sang des chiottes du Y. J'y suis tout de suite chez moi.  Une seule plaque de zinc constitue le pissoir, sans séparation qui gêne la vue.  Au centre une table basse carrelée,, couronnées de miroirs pour que les coquettes s'y refassent une beauté et que les cokers y disposent leur ligne sans perte.  Début de nuit, c'est vide.
- Pourquoi tu m'emmènes dans les chiottes?

- T'inquiètes, pour ce que tu penses, on a toute la nuit.

- De toute façon j'ai envie de pisser.
   Le voilà devant le pissoir, bien placé pour que j'attrape dans le miroir le coup d'oeil fatal sur sa

queue.  Je suis décidé à faire comme si je ne remarquais rien.

                 Nom de Dieu! faut qu'il rentre ça tout de suite avant que le premier zonard venu me le pique.

Baise-moi, Doomsday, tu m'as voulu, tu m'as.  Est-ce que ta bite est plus grosse que le cigare que tu mâchouilles?  Tu m'as mis dans ton lit "en tout bien tout honneur" et, sitôt la lampe éteinte, après le deuxième ronflement simulé, voilà que je sens un lézard se détendre en stylo et me chatouiller les reins.  T'es pas rentré, là, tu t'excites pour rien à me fourrager dans la raie.

Le petit salaud.  Il fait semblant de dormir pour que je l'enfile.  Sans les doigts j'y arriverai pas.  Là, suis l'index, suis le guide, hop, comme une lettre à la poste.  La tête du missile engagée, les ailettes suivront toujours.

Aïe, et en plus il est maladroit, faut que je me retourne sur le ventre pour lui donner une chance de limer droit.  Putain, il va m'écraser, le pachyderme!  Il doit attendre des soupirs de satisfaction, comme en rêve, "Han, han" ...

Ah, le beau cul de la campagne, jeune et sain.  Aussi bon par derrière que par devant.  Il dort pas, il prend son pied.  Sûr qu'il bande, je voudrais bien voir ça s'il ne s'était pas couché à plat ventre, l'imbécile.  On va faire de toi une star, baby.  "Ça te dirait de tourner un bout d'essai?"

C'est maintenant mon bout d'essai, il faut que je contracte pour le branler et qu'on en finisse.  Voilà le râle final.  Discret, on peut pas dire.  Je me sens pas le cul merdeux, l'a pas dû larguer une grosse dose.  Je me retourne, lui plante mon noeud dans la bouche.  Fume, fume papy.  On va faire de grandes choses ensemble.

                Nu sur son fauteuil de velours rouge, derrière son bureau pattes-de-lion à rehauts de cuivre, Doomsday griffonne une adresse et me tend un chèque.

- Tu demanderas Unsinn.  Je subventionne ses recherches.  Tel quel, tu es déjà une merveille de la nature.  On va faire de toi un peu mieux qu'un monstre de foire.

Le professeur Unsinn exerce ses talents aux yeux de tous dans une clinique réputée du centre-ville, dont le service de reconditionnement est fréquenté par l'intelligentsia K-pitaline.  On l'aperçoit fréquemment dans les cocktails mondains, tels que les rapportent les magazines d'actualité heureuse.  C'est sa couverture.  Il manage un pool de brillants psychiatres dont les recherches de pointe sont suivies par les autorités, leurs services secrets et les psychokeufs en charge du maintien de l'ordre mental.  On peut citer au crédit de ce savant multicartes, le perfectionnement des systèmes d'espionnage par bio-caméras implantées dans les yeux, plusieurs modèles d'érectomètres destinés à la détection des délinquants hétérosexuels, la cure par chocs électrique ou électrolyse des parties génitales, et surtout une méthode révolutionnaire de psychothérapie par la masturbation.
Par amour de la science, le Professeur Unsinn conduit aussi des expériences plus secrètes.  La carte de visite qu'il fait circuler parmi ses amis banquiers ou mafieux porte la mention copro-procto-phallologue.  Son cabinet particulier occupe l'arrière-salle d'un bar clandestin, le 1190-60-900.  Il y pratique dans des conditions d'hygiène précaire les opérations de changement de sexe interdites par la loi, au cours desquelles, disséquant dans le vivant, il a perfectionné diverses techniques d'amélioration esthétiques.  Plus demandée que la dilatation aréolaire, la résection du ligament suspenseur, parfois dangereuse quant à ses conséquences sur l'érection, permet d'allonger de cinq centimètres au moins une verge non exercée dans l'enfance à supporter des charges de plus en plus en lourdes.  Il convient cependant que le chirurgien n'oublie pas de la fixer d'un point, faute de quoi elle risque de pivoter.
Le seul décor de la salle d'op aurait effrayé les plus téméraires, mais Scott en avait vu d'autres.  Il fit abstraction des étagères encombrées de bocaux où surnageaient les restes d'organes retranchés lors d'interventions moins bénignes et attendit que ça se passe.


Il suffit d'arpenter la rue quelques heures avant le couvre-feu, tandis qu'elle est encore pleine du va et vient des travailleurs, sous la lumière naturelle, qu'occulteront bientôt les écrans-ciel des quartiers pauvres.  Le câbleur du système de vidéo-surveillance est accroupi au fond de sa tranchée.  Occupé à débrouiller l'écheveau de fils enchevêtrés, cassé en deux sur son matériel, il se penche plus bas pour vérifier un raccord délicat, et le mouvement soulève son T-shirt, qui remonte à mi-dos.  Son jean sale, dont les coutures à l'entrejambe se sont distendues sous la pression des fortes cuisses, trop lâche à la ceinture d'un bouton dégrafé, descend d'un même mouvement à mi-fesse, découvrant la touffe de poils noirs qui orne le coccyx et l'amorce de l'entrecul suant, traçant une ligne rougie et mychosique entre les globes laiteux parsemés de crins blonds.  Les cottes des ouvriers baillent sur le côté comme des bouches respirent, montrent dans leur sourire hilare la couleur d'un slip, la zébrure d'un motif, l'esquisse de l'attache d'une cuisse ou la dépression qui délimite l'arrondi des fessiers.  Les employés de la voirie paradent dans ces mêmes bleus mais rouges, qui laissent le regard plonger jusqu'aux pilosités rares, sur fond de maillot de bain du même ton virant au grenat vers le sommet de la boule saillant à la braguette
tandis que le large décolleté de la salopette s'ouvre un peu plus à chaque respiration, sur la chaîne dorée ou le collier de céramiques bleues.
Les ravaleurs (avalaient-ils seulement avant de ravaler?) penchés sur l'échafaudage, torse nu au soleil, comparent leurs tatouages mouvants et répondent aux regards appréciatifs des passants en tripotant les outils pendus à leur ceinturon ou passés dans la patte de tissu prévue à cet effet à la base du postérieur.  Comme s'ils voulaient indiquer que tout ce qu'ils trimballent en-dessous de la taille pèse lourd, ils se surchargent de pierres à affûter, de niveaux, de mètres à enrouleur serrés dans des gaines de cuir rouge, de marteaux, de tournevis la pointe en l'air tels des flèches de boussole indiquant le pôle.  Ils portent des pantalons à pont ou de treillis rachetés au surplus des Marchés.  Les trous d'aération prévus à l'intérieur des cuisses ont été bouchés par les raccommodages successifs et c'est par les déchirures effilochées sur le gras de la fesse qu'on apprécie l'emballage choisi pour leur cul large et noir, le calbar à lapins, à coeurs, à bouches lippues.
Le couvreur (ça couvre-t-il bien un couvreur?) pieds nus dans ses baskets pour mieux sentir le toit, offre en contre-plongée le panorama d'un mollet hargneux et musculeux découpé en fuseaux au pelage sombre et
rêche.  Il refuse le café qu'on lui offre, les yeux dans la braguette.  Son bleu tombé, la bite ligneuse et fine à l'équerre, il proteste de son accent chantant contre l'index qui voyage sans peine dans sa bague étroite ("Deux c'est bon, mais pas trois ... Colle-z-y surtout pas ta bite. -O.K. chef. -Ah, putain...").
Le caissier du magasin communautaire sourit aux ouvrières qui lui tendent leurs tickets de rationnement.  Elles reluquent la plaque argentée tressautant dans les broussailles échappées en cascades au col de son maillot rayé et qui montent à l'assaut du cou marqué de traces de rasages bleues.  Sa grasse bouche à pipes conserve la trace d'un bec de lièvre mal opéré.  A son nez crochu on devine que sa queue accuse une nette courbure, tirant vers le bas et à gauche.  Circoncise elle a été peu élégamment coupée lors de l.'opération tardive d'un phimosis et le méat s'ouvre sur le dessus du gland, ce qui, avant de passer pour une infirmité auprès de ses partenaires, lui permit d'amuser longtemps ses camarades en pissant en l'air.
Le boucher tape avec ses poings roses sur la bidoche.  Il a le crâne rasé pour éviter, dit-il, que des cheveux tombent dans la viande.  Sa peau a la couleur du veau qu'il ficelle.  Il est gras et imberbe; ses mamelons adipeux, fermes encore, s'ornent à peine dans les larges aréoles de trois poils, mais fort longs, alors que même le durillon de comptoir qui fait bouffer son tablier en est exempt.  Comme tout ce qui travaille dans la chair, il en a une petite, un grelot, un mégot, difficile à trouver à la première recherche, petit bout de prépuce ratatiné, presque en creux au ras des couilles couenneuses, énormes en proportion, et pleines comme des outres à lait.  Ses vastes jambons soutiennent un cul débordant d'enfant obèse que la concentration de graisse a rendu étroit mais aisément dilatable.  Heureusement, car son vermisseau ridicule l'oblige pour se satisfaire à tendre le cul dans les pièces noires des saunas, les chiottes de gare et de ciné porno.  Tout ce qui travaille dans la viande l'y rejoint, le soldat callipyge et cambré dont le séant est devenu un grand boulevard (ne dit-on pas ouvert comme un artilleur?), le chirurgien dont l'accroche-coeur élastique et aseptisé, tube d'acier froid, ne réchauffe que l'anus mou de l'anesthésié.  Et tous ces hommes armés de couteaux sont autant de culs alignés dans les recoins obscurs, attendant le matador, l'étalon, l'hétéro vigoureux égaré dans l'arène.
C'est l'étalagiste aux vastes épaules, au buste plat, voûté tant il est grand, dont l'accent coulant et chaleureux annonce le fruit gorgé de soleil tapi dans la culotte de survêt, la dague plissée, le caducée aux serpents que symbolise l’entrelacs veineux de sa hampe étroite coiffée d'un bouchon de carafe dilaté; ce précieux pendentif posant sur l'écrin double des noix jetées dans de profonds sacs où croît un pelage piquant comme les épines des figues de barbarie, sous le crin pubique plus épais que la barbe mal plantée qui creuse des sillons dans ses joues acnéiques.  Tout le jus retenu fermente sous la peau brune, et s'écoule spontanément en cascades de sperme tiède au goût de cumin et de noix de macadamia.
Je reconnais de loin la démarche chaloupée du commis des pompes funèbres.  Pour son jour de sortie, il a passé un short gris élimé et étroit roulé en boudin à la ceinture pour dégager le haut des cuisses.  La brise m'apporte les relents écoeurants de l'après-rasage bon marché dont il se frictionne le corps après le sport et qui en séchant, lustre et colle les poils de son torse.  Il se sent libre et léger; le frottement de sa bite qui flotte à l'avant du short le rassure et lui fait monter le rouge aux joues.  Dans son costume quotidien je l'imaginais plus épais, les jambes moins velues, les articulations plus fines, bien qu'il ait les mollets rebondis du garçon qui a eu un vélo dans son enfance.  Au kiosque, devant le Temple, il achète Pecs-hebdo ou Biceps-Mag, pour se taper la colonne au frais dans sa chambrette.
Il suffit d'arpenter la rue ... Oh, le passant qu'on croise, et qui, nous dépassant, vérifie sa braguette parce que le regard l'a brûlé au centre de sa personne, alors qu'on n'a même pas eu conscience d'y jeter un oeil.  Mais le mouvement, autrefois maîtrisé, est devenu réflexe, obsessionnel, si bien qu'au lieu du visage on interroge d'abord le pantalon, pour profiter au mieux du temps qui nous sépare encore, avant qu'on le perde à jamais dans la foule des culs anonymes des employés de retour du boulot, cravate ouverte et pantalon fripé par la trop longue station assise.
           
          Mais je n'ai même plus besoin de mettre le nez dehors.  Dans Dead End Street, le spectacle est 

permanent.  Je n'ai qu'à m'abriter derrière la jalousie, protégé par les stores noirs de ma maison close.


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