vendredi 1 mars 2013

Tout est O-K à K-pital City 03



                                                                        




Bandes magnétiques (fragments) transmises par la P.U.T.E. (Police Urbaine et Traitement de l'Embrigadement) aux archives criminelles de la C.K.C.
Lieu et date d'enregistrement inconnus



N°I

Je m'appelle Renato Scotto.  J'ai dix ans.  Papa est policier.  Toute la journée il joue au gendarme et au voleur.  Il n'a pas de casquette mais son pistolet tire de vraies balles.  Il ne parle pas sauf quand il est en colère et qu'il crache.  Maria fait la cuisine.  Moi je ne fais plus rien depuis qu'on m'a renvoyé de l'école à cause de Pino.

Mon meilleur ami s'appelle Reynaldo.  Il me suit partout je vais.  Au début il ne me parlait pas.  Maintenant on va s'asseoir sur le mur du parking qui longe la voie ferrée, et il me raconte des histoires.  Que papa s'est fait écraser par un camion en poursuivant des bandits, que les indiens de la banlieue l'ont attaché à une grille d'égout dans le sous-sol du bloc A et qu'ils le caressent avec des couteaux.

Quand je m'ennuie, je mange.  La farine vole dans les cheveux de Maria.  Elle fait du bruit avec sa bouche quand elle mâche son morceau de pain à l'huile.  Mais ça ne fait rien.  Je l'aimerai toujours.  Je lui touche les seins pour jouer et elle rit.  Je n'aime pas quand Naldo parle d'elle.  Je préfère quand il raconte que je suis le fils du facteur, du voisin, ou qu'ils m'ont trouvé sur le palier.

Sur la porte des cabinets, il y a une glace aux coins cassés.  Je m'y enferme souvent pour me regarder.  Maria a raison de dire que je suis beau.  Parfois elle ajoute, comme une fille.  Mes cheveux roux font des boucles et je suis rond comme trois pommes.  C'est la faute à Pino si tout le monde m'appelait Bouboule à l'école.  Alors je lui ai mis une patate à Pino.  Sa figure était rouge comme un rosbif et mes poings serrés rentraient dedans comme dans du beurre.

Quand il m'a retiré de l'école, papa m'a puni.  Je suis resté toute la journée attaché au radiateur.  Maria m'envoyait des baisers pour que j'aie moins mal.  Reynaldo essaye de me faire croire que j'ai tué Pino, mais je sais bien que je lui ai juste crevé un oeil, même pas les deux.  Avant je ne m'étais jamais battu, je le jure.

L'été je m'admire dans la rivière quand je pêche.  Je me mets tout nu au soleil, je chante et je danse, je joue au gladiateur, je rentre mon ventre.  Je regarde le poisson qui frétille sur la terre.  Je lui ouvre le bide avec mon canif.  C'est Maria qui m'a acheté le petit couteau à trois lames avec tournevis et tire-bouchon.  Elle m'a laissé choisir ce que je voulais au tabac parce que je n'ai pas mordu le dentiste et que je n'avais pas droit à quelque chose de sucré qui se mange "sinon ça sert à quoi de se faire soigner les dents".  Elle a ajouté, hésitante: "Tu ne le diras pas à ton père?" J'ai empoché le couteau, je tripote dans mon pantalon son bout doré et son corps de nacre.

Je m'appelle Bert.  J'ai treize ans.  Dans le sous-sol du bloc A, je me suis fait un abri entre les poubelles.  Je fume les cigarettes volées dans le pardessus de Nazario.  Je me taille des branlettes toute l'après-midi à cause des journaux déchirés que j'ai trouvés aux ordures': la fille qui a sauté sur une mine, le soldat pendu dans l'arbre qui bande comme Jésus crucifié.  Hier, j'ai tué un chat.  Bientôt j'emmènerai la fille de la voisine.  Reynaldo sera jaloux, mais tant pis.  On jouera à Nazario et Maria.  On mangera les gâteaux rassis que j'ai cachés dans la boîte en fer, on videra la bouteille de mousseux que j'ai piquée au supermarché.

Je m'appelle Renato Scotto.  J'ai quinze ans.  Il y a quelque chose qui a foiré dans mon programme.  Celui qui habite en moi est beaucoup trop lourd pour mon corps.  Il veut rompre mes membres et craqueler ma peau.  Il me déchire de l'intérieur et s'amuse à tordre mes organes.

                Je m'appelle Kurt.  J'ai dix-sept ans, je suis le fils d'un criminel de guerre.  On me l'a toujours caché dans ma famille d'adoption.  Nous avons bien fait de déménager.  Ici, j'ai deux amies, deux soeurs, la plus grande a neuf  ans.  Je leur explique comment on dissèque les souris et les yeux de vache en classe, ça les dégoûte.  La plus grande se laisse un peu toucher, mais si ça se sait on va encore me menacer de plus me payer le permis de conduire.

Je ne sais pas encore mon nom.  J'ai deux ans.  Je suis très malade, je vomis tout le temps et ma tête va exploser.




      N°2

Règle n°1: ne jamais se séparer de son arme.  Règle n°2: ne jamais emporter de flingue au
supermarché, c'est trop fliqué.  Se balader à découvert fait aussi partie du jeu.  Au rayon livres je feuillète le best-seller du dernier criminel en vogue.  Un jour j'aurai le mien, et je deviendrai riche comme un homme politique.  Au dos on collera une photo de moi en string et les femmes se l'arracheront rien que pour la couverture.  Au rayon video j'ai trouvé un film pour moi: Morts violentes . C'est pas croyable ce qu'on laisse à la portée de tous, ça me donne la nausée toute cette pornographie.  J'ai jeté la carte de crédit: comme les kleenex, ça ne sert qu'une fois.  Demain, je repasserai à l'hôtel récupérer mon treillis et les autres bandes.  Le tôlier devenait familier.  Il serait trop heureux de me balancer aux flics à la première occase et ça ne m'exciterait pas de le descendre.



L'été en ville, tout est vide dans les quartiers riches où les gens ont de quoi se payer des vacances.  J'ai choisi un appartement sans voisins, aux placards vides, aux compteurs débranchés.  Des tableaux modernes, des gribouillis de môme sur papier glacé.  Et tous ces livres.  J'en ai mal au ventre de penser qu'on a pu en ingurgiter autant.  Le bar valait le coup.  La salle de bain était tout en miroirs: moi, multiplié à l'infini, Renato à droite, Naldo à gauche, Kurt au plafond, tous ceux qui m'aiment et me torturent.  Je me suis essuyé en me roulant sur la moquette.  On n'imagine pas le plaisir que c'est de se torcher le cul sur un tapis blanc.  Aujourd'hui je crois que j'ai eu vingt-six ans.  Un jour de pardon et de bonté.

Quand j'ai été un peu plus saoul, j'ai envoyé la cassette dans le magnéto: abattages de poulets, veaux saignés, sans intérêt, plutôt sale même.  Puis l'homme du désert exécuté au sabre.  Sa tête ne bouge pas après comme on raconte. Puis les images des prisons.  C'est toujours propre les cellules dans les documentaires.  C'est peut-être comme ça le quartier des condamnés à mort, luisant comme un couloir d'asile.  Le commentaire dit que l'homme qu'on va exécuter n'a pas de remords d'avoir buté la vieille.  Mais la panique se lit dans son regard; on voit bien qu'il n'est pas prêt.  On lui a pourtant laissé tout le temps de s'y faire: voilà trois jours qu'il dort dans la "chambre de la mort", une cellule sans mobilier où l'on n'a droit à aucun objet personnel.  Vers huit heures, on l'a conduit, menotté, à la "chambre des préparatifs" où l'attendent un médecin et deux surveillants.  On l'a mis nu pour lui fouiller soigneusement les orifices, nez, bouche, oreilles, anus, afin de s'assurer qu'il n'a rien caché de métallique qui pourrait nuire au bon fonctionnement de la machine.  Un garde lui a coupé les cheveux en brosse, et dégagé au rasoir un carré de peau nue sur le sommet du crâne pour faciliter le contact.  Un autre lui a rasé le mollet droit jusqu'au genou avant de le conduire à la douche.  On lui a remis le costume taillé sur mesure, et l'épais caleçon rembourré au cul d'une couche absorbante qui retiendra les déjections susceptibles d'indisposer le public.  On l'amène menotté à la veuve-étincelle.  Il regarde les spectateurs et le prêtre installés devant la vitrine insonorisée.  On l'assoit sur la chaise, on attache à ses jambes des sangles de cuir doublées de plaques de métal; son froc est relevé sur ses mollets mouillés.  Il ne se débat pas quand on lui pose le casque sur la tête et qu'on lui cale le menton dans la jugulaire.  Il sait qu'il est filmé.  Le gardien lui couvre les yeux avec du coton et du sparadrap, sinon ils sortiraient de la tête et ça ne serait pas montrable.  Soudain tout le corps se tend; grâce aux sangles de poitrine et de bras, il n'est pas projeté en avant.  Il pisse, il chie, il vomit du sang, devient violet foncé.  Des bulles noires sortent de son nez.  Il se tasse, se ratatine, et de la fumée monte du siège.  Le médecin vient l'ausculter.  Il n'est pas mort.  Deux mille volts pendant deux minutes en général ça ne vous tue pas un bonhomme; c'est pour ça qu'on les envoie vite à l'autopsie, pour être sûr que la dissection les achève.  On remet le courant, plusieurs fois s'il le faut, jusqu'à ce que la fumée s'envole aussi du casque et que deux rigoles de sang noir sortent de ses yeux en bouillonnant.  Il n'a plus de visage, il est cuit, il me ressemble dans le miroir de la télé.  Je me repasse la séquence au ralenti.  Au moment où ils envoient le jus, j'ai commencé à bander.  Mon foutre s'est écrasé sur l'écran entre les larmes de sang, sur ses joues carbonisées.  Après, pour la première fois depuis deux jours, j'ai dormi ... C'était imprudent.  J'ai oublié la cassette en partant.  De toute façon je n'ai pas de matériel pour la passer.  Je devrais peut-être me voler une petite télé portable…







     N°3

Maria m'a acheté un pantalon qui gratte et des souliers vernis pour aller à l'église.  Je demande pourquoi c'est obligatoire.  Elle dit "Pour être comme les autres".  Tout ça c'est des foutaises.  Dieu c'est celui qui tire le plus vite, c'est le chef de la police qui a donné son flingue à papa.

Le curé porte une robe, il a une voix aigre de vieille dame; ça sent le mouillé là où il habite.  Dès que je suis seul avec lui, il dit que je serai beau en surplis de dentelle pour servir l'office.  Il me caresse les cheveux et me tapote les fesses.  Je lui flanque un coup de coude au bon endroit pour voir s'il a vraiment des couilles.  Il se plie en deux en vomissant des gros mots.  Le jeudi suivant il prend bien garde à se tenir éloigné de moi.  Le cathé c'est comme l'école, c'est chiant et je n'y retourne que pour être assis à côté de Reynaldo.

Naldo a quinze ans.  Il apporte des cigares.  On les fume dans la pissotière derrière l'église.  Il dit que les filles lui courent après et il me raconte des trucs dégueulasses sur l'odeur de crevette et de poisson de leur moule.

C'est jeudi après-midi.  Reynaldo ne vient plus.  Il m'attend dans la cabane en bois qui est son refuge sur la colline.  La semaine précédente on s'est baignés dans le ruisseau.  Ses jambes sont couvertes de poils noirs que l'eau colle à ses cuisses.  Son slip est taché de jaune et dedans ça bat comme une grenouille.  Mes chaussures vernies me font mal aux pieds.  Je les traîne sur les cailloux du chemin, elles sont toutes rapées.  Reynaldo a apporté une poule dans un sac de toile.  Il dit que c'est plus étroit qu'une fille, juste à ma taille.  Il lui tient les pattes, moi le cou.  Je rentre dans la poule, ça fait du dégât.  Au bout du conduit, il y a comme une rondeur qui palpite.  Reynaldo lui tranche le cou, le cul de la poule se resserre, le corps s'agite furieusement suspendu entre mes jambes.  Le sang pisse, éclabousse mes mains et mon pantalon neuf.  Naldo s'approche, il bande.  Il se frotte contre moi pour rigoler.  L'odeur du sang se mélange à celle de sa sueur.  Il demande: "C'était bon?’’  Ses bras m'étreignent, il est trop fort.  Je hurle pour qu'il me laisse, mais il me soulève comme un fétu, me renverse sur là terre dure.  Un rayon de soleil tombe dans la flaque de sang qui tourne en boue.  Il s'agite dans mon dos, je crie, il se marre, je tourne de l'oeil quand il ...

Je suis puni parce que j'ai déchiré et taché mes vêtements neufs.  On m'enferme dans les chiottes.  J'ai mal au cul.  Maria m'emmène chez le médecin pour des calmants.  Il veut m'examiner mais je lui crache au visage quand il approche.  Il dit qu'il faut que je parte en vacances.



Mon grand-père a une petite ferme pas loin de la mer.  Il y a chez eux ma cousine Maria-Magdalena.  Ce n'est pas les vacances mais Magdalena est malade de faiblesse parce qu'elle refuse de manger.  Le matin au petit déjeuner, grand-mère l'oblige à avaler des oeufs battus dans du lait et du sang de cheval.  Elle pleure mais elle n'a pas le droit de se lever de table avant d'avoir fini.

Samedi, ma tante est venue en visite et on est allé à la plage.  L'eau était trop froide pour se baigner longtemps, et Naldo n'aime pas la mer.  J'ai enterré Magdalena sous une couche de sable humide.  N'y avait que sa tête qui sortait quand sa mère est partie nager.  C'était fendard cette tête de piaf qui balançait en criant 'Sors-moi de là Renato'.  'Je m'appelle pas Renato' j'ai dit.  'Qu'est-ce qui se passe? a fait ma tante sous son bonnet à fleurs de plastique.  J'ai voulu empêcher la gamine de crier mais elle m'a mordu; alors j'ai jeté du sable sur sa tête, et comme elle continuait, je lui ai un peu serré le cou.  Ses lèvres ont doucement viré au bleu.  J'ai tenté d'expliquer que c'était pour rire mais sa salope de mère m'a renvoyé une volée de gifles; ça tombait comme la grêle.  Elle savait plus s'arrêter.  J'ai couru me cacher dans la pinède.  Le soleil me tapait sur le crâne, ça tirait dur dans mon maillot et je voyais sans fermer les yeux les joues creuses de Magdalena devenir cireuses.  Je me suis couché à plat ventre dans le sable.  Le vent effilochait les nuages qui faisaient des dessins obscènes dans le ciel.  Et puis, derrière la dune, ça s'est mis à souffler et à geindre.  L'homme était couché sur la femme et donnait de grands coups de bassin avec des grimaces de colère.  Après un temps il m'a aperçu et s'est relevé.  Il a regardé vers moi en criant "Approche petit, y'en aura pour tout le monde".  J'ai déguerpi vite fait et je me suis couché sous les pins dans un coin où personne ne viendrait me faire suer.

Quand je me suis réveillé, la nuit était tombée, j'avais froid.  Je suis retourné vers le bord de mer.  Des points blancs brillaient sur la route.  C'était les carabiniers.  Ils m'ont enveloppé dans une couverture et assis entre eux à l'arrière de la voiture ... Maintenant je suis seul à la ferme.  Magdalena est repartie avec sa mère se
faire soigner ailleurs.  Quand les vieux se sont cassés au marché, j'ai ouvert la porte grillagée du poulailler.  J'ai coupé les pattes de la bête parce qu'elle griffait.  J'ai jeté le cadavre dans le ruisseau.  Demain j'en volerai une chez le voisin; deux de suite, ça ferait des histoires.




  N°4

Je m'appelle Jus, j'ai dix-neuf ans.  Jus c'est le surnom que me donne Maria.  Au lycée, on m'a appris qu'en latin ça signifie "le droits.  Mais je me doutais déjà que c'était vraiment pas un nom pour moi.  Ce soir, j'ai rendez-vous avec l'étrangère.  Quand je suis repassé par la maison, Maria pelait les patates.  Je savais qu'il fallait faire vite avant que l'autre raseur se pointe et me consigne pour la soirée.  J'ai été gentil avec elle: "Maria, ma chérie, est-ce que je pourrais avoir la voiture ce soir?’’

"Pour promener une traînée? Tu n'as même pas fini de rembourser les dégâts de ta dernière course.  Et quand les policiers ont su qui était ton père, quelle honte!'’ Et puis le ton qui monte et l'eau qui bout.  Le rouge qui gagne ses joues, l'écume au coin des lèvres, le rictus du mépris.  Elle est confite dans sa haine, dans sa graisse, elle déteste ma jeunesse.  Elle agite sous mon nez le trousseau de clés: "Regarde-le bien, c'est la dernière fois que tu les vois’’.  Je crispe les poings dans mes poches.  Mon ongle se prend dans l'encoche de la lame du couteau pliant.  Je l'ai suppliée de me donner les clés avant de faire une connerie.  Elle a ri.  Les clés brillaient devant mes yeux comme de petits papillons argentés.  Personne ne se met impunément en travers de mon chemin, je te préviens, Maria.

Je l'ai frappée du poing qui tenait le couteau.  Elle a porté la main à son ventre.  Elle ne s'est pas défendue, elle est tombée à la renverse.  Elle a hurlé en voyant son sang sur sa main.  Il fallait que je la fasse taire.  Elle roulait sur le lino pour échapper aux coups.  J'essayais d'enfoncer la lame plus profond pour en finir vite.  Mais elle ne mourait pas et le sang coulait sur les carrés noirs et blancs du tapis de sol.  Je l'ai prise par les pieds et je l'ai traînée jusqu'à le salle de bains.  Elle était si lourde.  Sa tête a frappé contre le buffet en chemin.  Je l'ai soulevée et je l'ai installée dans la baignoire.  L'eau qui coulait l'a ranimée un peu.  J'ai tenu sa tête sous le robinet pour que l'eau pénètre dans ses poumons.  La baignoire s'est remplie.  Le corps a arrêté de se contracter et j'ai poussé un soupir de soulagement.

La clé tourne dans la serrure de la porte d'entrée.  J'ai à peine le temps de courir à la cuisine.  Il y a des taches partout jusque dans le salon.  Il ne faut pas qu'il voie.  Je dois le protéger.  Il ne doit pas se rendre compte que sa femme est morte.  Je ramasse une bouteille et un sac en plastique à côté de la gazinière.  Dans l'entrée, il dit: ‘’ça sent bon.  Du poulet?" Il avance vers la porte de la cuisine.  Il appelle "Maria?" La bouteille vole en éclats sur son crâne.  Il tombe.  J'enferme sa tête dans le pochon et je noue les poignées sous son menton.  Il ne se sentira même pas partir.  Il ne saura pas que je suis un assassin.  Je range le corps dans la salle de bain pour qu'il tienne compagnie à Maria.


Je lave la cuisine.  C'est long et chiant.  Je fais mes devoirs.  Je regarde un péplum à la télé.  Je vais me coucher.  Je fais des rêves merveilleux, l'étrangère m'emporte sur son bateau dans les nuages. il y a à boire et à manger jusqu'à la fin des temps.

Le lendemain, je vais au lycée.  Le prof d'histoire me complimente sur mon attention et ma bonne conduite.  Il n'y a plus de provisions à la maison.  Je ne peux plus vivre ici avec leurs cadavres qui encombrent la salle de bains.  J'emporte son pistolet de service et deux couteaux à désosser.  Je mets la valise à la consigne en gare et je vais dîner chez mon oncle.  Pour la première fois je trouve qu'il ressemble à papa.  Magdalena me fait du pied sous la table.  Je la baiserai peut-être si je suis assez saoûl.. Après manger tandis que la famille se cuite à la Grappa, je coince Magdalena dans le couloir de l'office.  J'essaye de l'embrasser.  Elle dit qu'elle va crier si je ne la lâche pas, que je lui fais peur.  Je me souviens des claques de sa mère.  J'ai envie de l'étrangler, parce qu'elle m'a allumé, mais il faudrait ensuite se débarrasser des autres, et ils sont trop nombreux et les voisins ont la vue sur le jardin.

Je retourne guetter les touristes.  Je branche une vieille qui me ramène à son hôtel.  Je passe en douce devant la réception.  Le travail est vite fait.  Avec son fric en poche, je prends le train en direction de la frontière.

Je n'ai même pas eu le temps de dégainer quand ils m'ont sauté dessus dans ce troquet du port.  Je n'aurais pas dû interroger le patron sur les cargos en partance.  L'erreur fatale, ça a été de ne pas acheter les journaux.  Mais je voulais oublier tout ça.  Je ne pensais pas qu'ils les trouveraient si vite.  A tous les coups c'est les collègues de Nazario qui m'ont mis dedans.




N°5

Pour la loi qui est le bouclier des riches, je m'appelle Renato, et j'ai vingt ans.  C'est ce que j'ai dit à l'audience.  En prison, les autres me frappaient.  Après deux corrections et une épaule démise, on m'a isolé à l'infirmerie.  Je n'ai rien voulu dire aux avocats; eux aussi font partie du système.  Devant les psychiatres, je m'en suis tenu aux faits.  J'ai insisté pour leur faire comprendre que Nazario et Maria n'étaient pas mes parents.  Ils ont fait semblant de me croire tout en essayant de me démontrer le contraire.  De toute façon ils étaient morts, alors je ne vois pas ce que ça faisait maintenant comme différence.  J'ai mis en pratique leur morale: il faut se battre, la vie est une guerre sans merci, la meilleure défense c'est l'attaque.  C'était une question de survie.

Je n'ai aucun souvenir du procès; ça ne nous concernait pas, ni Jus, ni Bert, ni Naldo, ni moi.  Je suis allongé sur le lit de fer de l'infirmerie, on m'a passé la camisole et on me pique pour que je dorme.  Après deux jours, on me dit que je suis condamné pour dix ans et qu'on va me transférer à l'asile.  Les flics qui m'y emmènent m'insultent et me frappent dans les côtes en disant que c'est une honte qu'un salopard comme moi échappe à la prison.  L'école, les curés, la police, l'armée, les médecins et les juges, tout se tient pour t'envoyer à l'abattoir.  Je suis passé entre les mailles du filet en les convainquant que j'étais dingue.

L'hôpital était encore plus crade que toutes les caves où j'avais vécu.  Je me suis appuyé leurs jeux stupides, la pâte à modeler, la peinture, les cartes à classer sous les rubriques vrai/faux qui disaient "j'aimerai être fleuriste", "je ne vais jamais danser", "tout le monde se moque de moi".  Dans la rubrique "je ne sais pas" j'avais mis "mon père est un honnête homme", "Dieu existe", "je crois en un second retour du Christ", et les médecins en ont déduit que j'étais très intelligent et qu'ils me guériraient vite.

Au premier abord, le psy m'a semblé moins facile à duper.  "Mon père était épicier, il était doux et calme, je l'aimais beaucoup.  C'est sa femme qui était une pute.  Elle en a tellement dévorés qu'elle est devenue énorme, et qu'à la fin il fallait bien crever cette enflure".  A partir de là ils ont cessé de m'enfermer dans la pièce aux spots éblouissants et de me surveiller pendant ma toilette.  Comme je dormais tout le temps, ils ont renoncé à me casser la tête avec leurs drogues.


C'est dans le réfectoire vide, sous la surveillance des flics et d'un infirmier que j'ai passé mes examens.  Maintenant je pourrais peut-être avoir des perms pour aller à l'université.  Je lui ai dit, au psy: "Sans vous, je ne me serais pas tant amélioré dans les études.  Vous m'avez donné un but.  Vos enfants (vous avez des enfants? non?) ils auraient eu un bon père".  Et j'ai vu sous le bureau que son pantalon blanc faisait de nouveau la bosse.  Puis il m'a demandé si je ne souffrais pas trop de mes hémorroïdes.  Le curé est contre moi, mais il compte pour du beurre.

Dès que j'ai obtenu la permission de sortir, j'ai pu remettre mes vêtements personnels.  Le psy m'a demandé si j'étais homosexuel parce que j'aime m'habiller en homme et porter des rangers.  J'ai toujours l'air plus beau dans des fringues bon marché.  Le pédé, j'ai pensé, c'est celui qui demande.




      N°6

C'est le chaos autour de moi.  Les paquets de pâtes et les biscuits rongés traînent dans les baskets dépareillées.  J'ai toute une collection de slips de seconde main; jamais de caleçon, j'aime que la boulette soit voyante sous mon treillis, et je porte le ceinturon bas pour tendre le tissu.  Mes peaux, mes dépouilles du jour disparaissent sous les pages arrachées aux revues porno.  J'ai beau les feuilleter dans tous les sens, je n'arrive jamais à durcir complètement.  La seule chose qui me fasse triquer, c'est de leur foutre la trouille, les braquer avec mon flingue, les voir fondre en larmes et pisser de frayeur en retirant leur culotte.

La villa était éclairée au premier, on les voyait danser dans l'encadrement des fenêtres ouvertes, un gringalet et les deux filles.  Escalader le balcon: un jeu d'enfant.  Je suis entré dans la piaule revolver au poing.  Le mec, torse nu a cessé de se dandiner sur la musique mais il n'a même pas tenté de discuter.  Je lui ai ordonné d'attacher la moche.  Il s'y prenait mal, alors je lui ai botté le train pour qu'il s'applique.  J'ai demandé au petit couple de se déshabiller.  Ils ont ri.  J'ai dit: 'C'est ça ou une balle dans la tête'. Ça les a calmés.  La fille avait une belle poitrine, je lui ai tordu un peu le bout des seins.  Elle n'osait pas crier, elle tremblait comme une feuille.  Elle a dit en pleurant: "J'ai envie de faire pipi'.  J'ai répondu "te gêne pas' et elle s'est soulagée debout.  J'ai essuyé l'intérieur de ses cuisses ruisselantes avec sa culotte que j'ai empochée.  J'aurais bien voulu la baiser, mais j'avais beau me tripoter à travers mon froc, rien.  J'ai demandé au garçon de la prendre.  Ils se sont allongés sur le carrelage ciré et le gars a dit en chougnant '’Je peux pas, c'est ma soeur".  J'étais sûr qu'il en rêvait depuis longtemps mais comme il ne semblait pas décidé, je lui ai demandé si des fois le canon de mon flingue dans le cul, ça l'aiderait à triquer.

La copine ficelée roulait des yeux horrifiés en mordant son bâillon pendant qu'il essayait de se faire raidir en se branlant à toute vitesse les yeux fermés.  Quand il a pu la grimper, je les ai ligotés ensemble: un paquet-cadeau pour papa-maman.  Planqué derrière le lit, j'ai essayé de me masturber sans succès.  Je les ai regardés s'agiter un moment.  Je n'avais pas envie de les tuer.  Je ne suis pas un pervers, je n'assassine pas par plaisir.  Ou alors seulement les flics.  La belle surprise, le jour où j'ai trouvé une carte de police dans la poche du mec qui m'avait pris en stop!  Je l'ai fait grimper dans son coffre pour une dernière promenade.  Je lui ai tiré deux balles dans les genoux pour le regarder souffrir avant de le finir.






   N°7

Je m'appelle Scotto et je vais bientôt mourir.
Les flics, c'étaient mes nourrices, mes nounous.  L'hiver en revenant de l'école, je passais me chauffer au poste de garde devant leur poêle à charbon.  Ils m'accueillaient comme si j'étais de la famille.  Ils me faisaient sauter sur leurs genoux, je jouais avec leur fillette, leur fourragère et les boutons dorés de la tunique.  Je m'accrochais au drap riche de leur pantalon luisant.  Je leur disais que, plus tard, moi aussi j'entrerais dans la carrière, et ils aimaient en moi le fils obéissant qui ne leur crachait pas à la gueule comme faisait leur progéniture.  Là, dans la salle de garde, devant le poêle où ils m'encourageaient à jeter des boulets de charbon pour raviver la flamme, dans l'odeur de sueur et de pieds, j'étais vraiment chez moi, mieux que chez moi, protégé de tous comme de moi-même.

Un jour, Nazario est passé inspecteur.  Il a décidé que le fils du chef ne devait pas traîner avec les subalternes, les manuels, la valetaille.  Je ne suis plus passé par le poste de garde et ils n'ont plus répondu à mon bonjour de loin dans la rue.  Un temps encore, je les ai observés de la fenêtre du H.L.M. dans le viseur de mon pistolet à air comprimé.  Un beau jour j'ai dû me rendre à l'évidence: la cause était perdue.



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