vendredi 1 mars 2013

Tout est O-K à K-pital City 06






Extrait d' AVANT K-PITAL , épitomé d'histoire anté-coloniale au chapitre "Des conséquences de la Guerre des Sexes sur l'organisation des sociétés libérales-fascistes’’ (Texte dissimulé dans la bande-son subliminale des cassettes pornographiques éducatives autorisées à circuler dans les Terres Irrédentes):

Les signes avant-coureurs de la Guerre Génitale se sont manifestés très tôt dans les nations du bloc Nord.  Bien que la coutume ait toujours existé parmi les esclaves et les guerriers, les techniques d'émasculation se perfectionnèrent et s'étendirent vers la fin du second millénaire A.K. Révolte larvée avant que de devenir un mouvement protestataire d'ampleur, la castration spontanée des mâles semble s'être répandue très rapidement au sein des peuples technologiquement avancés.  Les atermoiements des instances gouvernementales facilitèrent l'instauration de périodes de saine Terreur, préparant l'avènement des sociétés matriarcales.
S'appuyant sur la préexistence de mouvements féministes radicaux (Mouvements de Libération, Gouines Rouges, Congrès des Salopes) ou réactionnaires (Ligues de Vertu, association anti-avortement, pensionnats et congrégations superstitieuses non-mixtes), le Front d'Intervention Sexuelle (F.I.S.) parvint à fédérer des partis autrefois opposés, à savoir:
        -Divisionnistes (tenants de l'apartheid sexuel)
        -Virginalistes (partisans d'un modèle social opposé point par point au système phallocratique)
        -Ovariennes (courant militariste révolutionnaire prônant la suppression totale et définitive des mâles).
       

       Document 1: Manifeste du F.I.S.

"Il ne faut donner à la femme aucun des droits réclamés par les féministes.  Les lui accorder n'amènerait aucun des désordres espérés par les révolutionnaires.
Que la Femme retrouve sa cruauté et sa violence qui font qu'elle s'acharne sur les vaincus parce que ce sont des vaincus, jusqu'à les mutiler.
Femmes, trop longtemps dévoyées dans les morales et les préjugés, retournez à votre sublime instinct!

Que chaque femme, s'enfermant nuitamment avec son mari, lui saisisse les couilles et les lui coupe.  Heureux celui, qui, ne l'ayant pas maltraitée, sera fait seulement castrat.
En agissant ensemble, nous constituons l'armée universelle: compagne de lutte, si tu n'as pas de couteau, apprends à te servir de tes dents ...

Durant la nuit du 69 octembre -5, les légions Ovariennes envahirent les assemblées constituées et castrèrent les représentants mâles, obligeant les quelques femelles soumises qui collaboraient encore avec eux, à ingurgiter les attributs tranchés en signe de repentir.  Les instances dirigeantes furent aussitôt remplacées par le Comité Légal International Transitoire et Ommipotent (C.L.I.T.O.). Le programme du C.L.I.T.O. comportait les points suivants:
- remplacement des gouvernants par des gouvernantes, réforme du langage, adoption du calendrier lunaire
- confinement des mâles en des zones réservées des grandes agglomérations, et à des tâches subalternes de main d'oeuvre ou de maintien de l'ordre et de missionnariat dans les Zones Extérieures
-libération de l'asservissement génétique par fécondation scientifiquement programmée
-érection du principe de plaisir comme seule règle de conduite des femmes.

C'est au code de l'Ordinatrice Saddama que nous devons la proscription du mariage, la suppression de l'hérédité légale, la prescription de la sodomie comme mode de remplacement de la fornication hétérosexuelle, la généralisation de la structure pédérastique des armées et des administrations publiques.
Ces lois sages ne purent éviter longtemps que les conflits se généralisent.  Plus que les crises économiques des sociétés libérales-fascistes, la troisième révolution sexuelle est de l'avis unanime des historiens la cause majeure de la deuxième G.U.N. et de l'holocauste.
Soutenus par les derniers régimes machistes en place, des groupuscules de résistance armés se constituèrent dans les cities administrées par le C.L.I.T.O. Ces hétéro-terroristes remportèrent quelques victoires éphémères mais se révélèrent impuissants à enrayer la propagation de la Terreur lesbique.  Après leur défaite devant les G.O.U.I.N.E.S. (Groupements Ondinistes et Uranistes Intersexuels Néo-Epicuriens Socialisés) et sur l'avis des B.O.U.C.H.E.R.S. (Brigades Orthodoxes Unifiées des Comités Hospitaliers D'Embryonologie Rectifiée et Savante) ils durent abandonner l'argument familial dénoncé par toutes les autorités psychiatriques comme source unique de pollution psychique, et consentirent à remettre aux dignitaires de la Superstition le monopole de la procréation dans les territoires civilisés.  Quelques irréductibles reçurent l'autorisation d'émigrer vers les Régions extérieures, où les coutumes anti-progressistes ne constituaient pas encore un crime.  Ces délinquants ne profitèrent pas longtemps de la licence coloniale.  Dans la nuit anniversaire du 69 octembre -1, le Directoire K-pitalin décida l'éradication des ultimes foyers de résistance en utilisant conjointement son stock d'armes bactériologiques et nucléaires, marquant ainsi notre entrée dans le Nouvel Age.




Document 2: Circulaire de la P.I.S.S.E. (Productions Industrielles en Série des Substituts Electroniques) au C.E.K. (Comité des Elites K-pitalistes)

Les documents éducatifs colportés dans les Terres du Milieu ont été saisis, et leur circulation interdite, depuis que les colons sont parvenus à les détourner par l'intermédiaire de rêvo-codeurs trafiqués.  Les sites industriels ont été détruits et la production de codeurs limitée au besoin des Elites.  Le parc subsistant sera remplacé (échange gracieux) par nos classiques combinés tri-di.




                                                                   


Scott voulut s'essuyer les yeux pour dissiper le voile rouge qui le gênait, mais il ne retrouva aucun de ses repères spatiaux.  Les images défilaient trop vite pour qu'il pût les identifier.  Malgré ses efforts pour se concentrer, la salle des hallus semblait déjà appartenir au passé.  Un flash jaune l'aveugla.  Il porta la main droite à la saignée de son coude gauche pour neutraliser l'injection.  Mais le sens du toucher l'avait fui, ou bien rien dans son corps ne répondait plus aux suggestions de son esprit.  Il pensa qu'un autre programme commençait ...
Il marchait au milieu d'une vaste place, sous un ciel nocturne étoilé, ce qui suffisait à conférer à cette vision le caractère d'un rêve.  Ses pas glissaient sur les dalles de verre.  Le chien le précédait de quelques pas.  Scott remarqua que le dogue était entier et se demanda pourquoi il avait la queue mutilée et les oreilles en pointe.  L'animal l'attendit, puis obliqua vers le rectangle noir d'un édifice inconnu. Dans le flan du building apparut une ruelle en cul-desac.  Il s'y engagea.  Au fond de l'impasse, une grande affiche sur fond blanc portait le slogan:
"Ne pensez pas, dansez"
Des néons s'allumèrent sur sa droite, formant une enseigne incomplète à laquelle devait manquer un B, car il lut "ELITY-...AR". Le chien s'engouffra sous la porte western.
Des lampes à huile en terre cuite frappées du signe du poisson éclairaient faiblement la pénombre.  Des bocaux emplis d'aromates encombraient les étagères poussiéreuses.  Sur le comptoir de bois siégeait un distributeur en forme de tête de diable.  Les étiquettes portaient les mentions: "Haschich, Opium, Héroïne, Extase, Rouge".  Après quelques secondes de perplexité, il appuya machinalement sur le bouton "Rouge".  Un petit gâteau rond tomba de la bouche du distributeur, enrobé d'un ruban de papier sur lequel il déchiffra: "Voyez le patron, attention aux embrouilles avec les Forces de l'Ordre".
Une porte s'ouvrit dans le mur, donnant sur une chambre à damiers où trônait un homme maigre en robe noire, le nez chaussé de lunettes de soleil rondes.  Derrière lui, on apercevait par les baies vitrées, une cour où attendaient des files ininterrompues de formes frêles.
   - Où demeures-tu? questionna l'homme en noir.

Scott essaya de se souvenir.  Il ne se rappelait qu'une chambre aux murs de bois délabrés, au sol de terre battue. - Actuellement, tu dois te trouver dans une salle de spectacle, sans doute un genre de cinéma virtuel, car tu as bénéficié d'une permission de sortie grâce au ticket que l'organisation t'a fait parvenir.  En temps normal, il est probable que tu habites un compartiment réfrigéré dans les tiroirs de la N.A.D.A. où tu crois travailler, où Doomsday et ses successeurs stockent leurs employés jusqu'à expiration de leur contrat.  Avant de débarquer à K-pital City, tu as vu des choses que tu n'étais pas censé voir, les services de l'immigration t'ont passé au scanner d'effacement.  Ou alors, celui à qui je m'adresse est mort, comme moi depuis des siècles et tu es le nouveau bourgeon choisi pour le remplacer.  Nous te portons un intérêt tout particulier, car ton avenir contient notre avenir.  Il dépend de toi que nous existions à nouveau; nous t'avons créé afin de devenir un jour tes descendants ... Tu as dû remarquer que ton greffon-témoin répond aux contrôles tout en te laissant une certaine liberté d'action. (Il y eut un blanc, l'image sauta.)
 - Je me suis rendu compte qu'il ne fonctionnait pas, hasarda Scott au cas où le déroulement du message eût dépendu de sa réponse.
- C'est nous qui t'avons implanté ce modèle inerte, pour te permettre de descendre dans la crypte de Veneration.  Là, les Survivants te donneront des instructions.  Au cas où tu renoncerais à ta mission, nous serions contraints de te livrer aux autorités en leur signalant le bricolage de ton greffon identitaire.  Ce n'est pas la peine d'essayer de fuir, tu n'as pas le choix, tu vis une hallucination.


"Ventre d'Ea! qu'est-ce que je fous là, sur le pavé?  On m'a volé mes fringues.  C'est la nuit perpétuelle.  L'odeur des décharges, c'est ça que je perçois en premier.  Ma tête est lourde.  Des bâtiments éventrés où tout semble mort émergent de la brume.  Les peintures en casiers forment des rectangles de couleur sur les restes des murs mitoyens.  Je suis dans la Zone.  Je n'y ai jamais mis les pieds.  Il y a longtemps que je devrais être rentré dans mon tiroir à la N.A.D.A. Pourquoi l'illusion s'est-elle effondrée?  Je me suis rendu compte que j'étais couché dans une morgue, que mes souvenirs et mes actes n'étaient que des projections implantées dans mon cerveau, afin que ma chair ne se corrompe pas.  Je ne travaille pas à la N.A.D.A., je fais partie de la matière première.
J'ai traversé de longs couloirs intestinaux, j'ai vu dans ma fuite les labos aseptisés et les tables de dissection.  J'ai entendu le ronflement des chaînes de conditionnement.  Il n'y a ni personnel ni gardes, tout est commandé à distance.  Personne ne se réveille jamais.
Je cours, je cours.  Ceux qui m'ont libéré sont suffisamment puissants pour me détruire.  Sans eux, j'aurais toujours cru vivre heureux dans un monde parfait, je n'aurais même pas pris conscience de ma fin.  Et maintenant je dois m'enfuir et me battre.



L'homme nu court en titubant sur le macadam lézardé de la zone.  Il a coupé sans s'en rendre compte le faisceau d'une borne tri-di.  Il est alerté par le ronflement des glisseurs.  La chasse est ouverte.  Les psychos du 22 ont le droit de tirer à vue sur tout ce qui bouge.
Scott escalade un mur, il s'écorche sur les tessons de verre.  Les pointes des barbelés au sommet tracent des sillons profonds dans son dos.  Il s'enfonce dans un dédale d'escaliers, essuyant le sang sur ses jambes afin de masquer les traces de son passage.  Il passe devant plusieurs portes faiblement éclairées.  Soudain, deux bras, sortis d'une niche dans la muraille, le plaquent et le happent à l'intérieur d'un réduit sans fenêtre.
Un gros homme dans un costume démodé est assis sur un tabouret d'angle.  Il mâchouille un cigare éteint.  L'autre, qui l'a tiré à l'intérieur, porte un short bleu marine et un ceinturon kaki d'où pend une paire de menottes.  Une vaste flamme est tatouée sur sa poitrine.
- Mes potes, les chasseurs, sont à tes trousses.  Ecoute attentivement ce qu'on va te dire.
Comme il ouvre la bouche pour poser une question, Scott reçoit une claque qui le colle au mur.  Le gros homme poussif siffle entre ses dents:
- Il est assez abîmé comme ça ... Ecoute, je suis ton patron, je dirige la N.A.D.A., tu es sorti avec notre assentiment, bien que nous n'ayons pas approuvé ce choix.  Tu as sans doute déjà rencontré Meinkampf ... Nous ne voulons pas que cela se reproduise.  C'est pour cette raison que nous avons choisi de te faciliter l'accès au centre de commande.  Quand tu seras en haut, tu t'empareras du Livre conservé au musée.  Tu comprendras alors ce qu'il convient de faire.
Le psycho-keuf tend à regret à Scott un paquet de vêtements légers.  L'air attendri, il le regarde s'habiller et le presse de finir.  A genoux devant lui, il ouvre une trousse de cuir où sont rangés des sachets de plastique colorés:
 - Le Bleu, tu en prends depuis des années sans le savoir.  Il provoque une vie cérébrale illusoire.  Il faut que tu continues à en absorber en petites quantités pour décrocher.  Le Jaune, la poudre d'information, fait régresser vers les vies antérieures et induit parfois des visions de l'avenir; il est déconseillé d'en prendre, car les explications fournies par le Jaune sont souvent contradictoires et erronées.  Le Rouge altère le déroulement temporel et transforme la personnalité des êtres associés par le drogué à son hallucination.  Les réalités qu'il suscite semblent toujours plus tangibles.  Mais les conséquences de son absorption sont imprévisibles, et il réduit en esclavage des victimes qui ignorent jusqu'à l'existence d'une telle drogue.  C'est la substance réservée aux gouvernantes.  Inspirées par les fantasmes de la poudre rouge, elles modifient le cours des choses par la seule force de la pensée.  Le Vert est l'antidote théorique de toutes ces drogues.  Malheureusement, il n'a pas encore été inventé.
- Tu donneras une dose de Rouge aux Survivants pour qu'ils t'ouvrent la porte.  Et souviens-toi, ajoute l'homme en costume, ce qui est en bas est en haut.
Le psychokeuf remet à Scott la trousse à pharmacie.  Il le regarde longuement dans les yeux, et dit en lui serrant amicalement le paquet:
- Je n'ai pas le temps de te baiser, mais le coeur y est.
- Abstenez-vous de toute cette merde sentimentale.  Ouvrez la trappe.

                   Scott suit en tâtonnant la pente du souterrain.  Il distingue un point lumineux vers la sortie du tunnel. Des formes imprécises filent entre ses jambes.  Près de l'issue, une silhouette assise l'attend, émettant un faible grognement.  Scott reconnaît le chien qu'il avait perdu dans sa fuite.  Il débouche sur une terrasse.  Au-dessus de sa tête glissent les rames de métro.  Tout proche, si près qu'on y prendrait pied d'un bond, scintille le dôme de Veneration, abritant les ruines des bâtiments antiques.  Le chien prend son élan et saute dans le vide.  Scott pousse un cri de surprise, mais la bête ne tombe pas.  Elle se tient immobile, observant avec curiosité sa propre image.  En bas, il n'y a rien, qu'un immense miroir.  Scott comprends qu'il lui faut tenter l'ascension des parois du puits.  Il ouvre un sachet de Jaune et avale la poudre d'or.  Il ferme les yeux et sent que son corps perd de sa masse.  Il s'efforce de former l'image mentale des clochers du vieux temple.  Il imagine que son corps bascule et se sent aspiré vers le sol jonché de décombres.  Il se trouve devant le portail condamné de la cathédrale.  A travers le dôme, il voit, très loin, à l'envers, les marchés de K-pital et le tracé des déambulations onîriques de ses habitants-robots.  Il éprouve la désagréable impression de se déplacer les pieds au plafond, Pourtant la pesanteur artificielle continue à lui courber les épaules.  Il se faufile entre les palissades.


Au centre de la nef du bâtiment en ruines se trouve un groupe d'homme siégeant autour d'une fosse.  Ils sont figés dans des poses inconfortables.  La plupart ne le voient pas approcher, ils sont aveugles.  Tous blessés, ils ont perdu au moins un membre.  Scott essaye de dominer son dégoût devant les mutilations des Survivants, et fait quelques pas en avant.  Il constate alors que les hommes font cercle pour se masturber les uns les autres.  L'un d'entre eux vient à sa rencontre et tend vers lui ses moignons.  Scott extrait le sachet de Rouge de la trousse de cuir.  L'homme l'accepte et le fait circuler parmi les handicapés qui l'absorbent.  Ils sont agités par des spasmes.  Leurs membres coupés repoussent, les tissus infectés se referment, ils ouvrent les yeux, se lèvent, se dirigent vers Scott qui recule.  Ils se jettent sur lui, l'encerclent et le précipitent dans la fosse.


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