Extrait d' AVANT K-PITAL , épitomé d'histoire
anté-coloniale au chapitre "Des conséquences de la Guerre des Sexes sur
l'organisation des sociétés libérales-fascistes’’ (Texte dissimulé dans la
bande-son subliminale des cassettes pornographiques éducatives autorisées à
circuler dans les Terres Irrédentes):
Les signes avant-coureurs de la Guerre Génitale se sont
manifestés très tôt dans les nations du bloc Nord. Bien que la coutume ait toujours existé parmi
les esclaves et les guerriers, les techniques d'émasculation se
perfectionnèrent et s'étendirent vers la fin du second millénaire A.K. Révolte
larvée avant que de devenir un mouvement protestataire d'ampleur, la castration
spontanée des mâles semble s'être répandue très rapidement au sein des peuples
technologiquement avancés. Les
atermoiements des instances gouvernementales facilitèrent l'instauration de
périodes de saine Terreur, préparant l'avènement des sociétés matriarcales.
S'appuyant sur la préexistence de mouvements féministes
radicaux (Mouvements de Libération, Gouines Rouges, Congrès des Salopes) ou
réactionnaires (Ligues de Vertu, association anti-avortement, pensionnats et
congrégations superstitieuses non-mixtes), le Front d'Intervention Sexuelle
(F.I.S.) parvint à fédérer des partis autrefois opposés, à savoir:
-Divisionnistes (tenants de l'apartheid sexuel)
-Virginalistes (partisans d'un modèle social opposé point par point au
système phallocratique)
-Ovariennes (courant militariste révolutionnaire prônant la suppression
totale et définitive des mâles).
Document
1: Manifeste du F.I.S.
"Il ne faut donner à la femme aucun des droits
réclamés par les féministes. Les lui
accorder n'amènerait aucun des désordres espérés par les révolutionnaires.
Que la Femme retrouve sa cruauté et sa violence qui
font qu'elle s'acharne sur les vaincus parce que ce sont des vaincus, jusqu'à
les mutiler.
Femmes, trop longtemps dévoyées dans les morales et les
préjugés, retournez à votre sublime instinct!
Que chaque femme, s'enfermant nuitamment avec son mari,
lui saisisse les couilles et les lui coupe.
Heureux celui, qui, ne l'ayant pas maltraitée, sera fait seulement
castrat.
En agissant ensemble, nous constituons l'armée
universelle: compagne de lutte, si tu n'as pas de couteau, apprends à te servir
de tes dents ...
Durant la nuit du 69 octembre -5, les légions
Ovariennes envahirent les assemblées constituées et castrèrent les
représentants mâles, obligeant les quelques femelles soumises qui collaboraient
encore avec eux, à ingurgiter les attributs tranchés en signe de repentir. Les instances dirigeantes furent aussitôt
remplacées par le Comité Légal International Transitoire et Ommipotent
(C.L.I.T.O.). Le programme du C.L.I.T.O. comportait les points suivants:
-
remplacement des gouvernants par des gouvernantes, réforme du langage, adoption
du calendrier lunaire
- confinement des mâles en des zones réservées des
grandes agglomérations, et à des tâches subalternes de main d'oeuvre ou de
maintien de l'ordre et de missionnariat dans les Zones Extérieures
-libération de l'asservissement génétique par
fécondation scientifiquement programmée
-érection du principe de plaisir comme seule
règle de conduite des femmes.
C'est au code de l'Ordinatrice Saddama que nous devons
la proscription du mariage, la suppression de l'hérédité légale, la
prescription de la sodomie comme mode de remplacement de la fornication
hétérosexuelle, la généralisation de la structure pédérastique des armées et
des administrations publiques.
Ces lois sages ne purent éviter longtemps que les
conflits se généralisent. Plus que les
crises économiques des sociétés libérales-fascistes, la troisième révolution
sexuelle est de l'avis unanime des historiens la cause majeure de la deuxième
G.U.N. et de l'holocauste.
Soutenus par les derniers régimes machistes en place,
des groupuscules de résistance armés se constituèrent dans les cities
administrées par le C.L.I.T.O. Ces hétéro-terroristes remportèrent quelques
victoires éphémères mais se révélèrent impuissants à enrayer la propagation de
la Terreur lesbique. Après leur défaite
devant les G.O.U.I.N.E.S. (Groupements Ondinistes et Uranistes Intersexuels
Néo-Epicuriens Socialisés) et sur l'avis des B.O.U.C.H.E.R.S. (Brigades
Orthodoxes Unifiées des Comités Hospitaliers D'Embryonologie Rectifiée et
Savante) ils durent abandonner l'argument familial dénoncé par toutes les
autorités psychiatriques comme source unique de pollution psychique, et
consentirent à remettre aux dignitaires de la Superstition le monopole de la procréation dans les territoires civilisés. Quelques irréductibles reçurent
l'autorisation d'émigrer vers les Régions extérieures, où les coutumes
anti-progressistes ne constituaient pas encore un crime. Ces délinquants ne profitèrent pas longtemps
de la licence coloniale. Dans la nuit
anniversaire du 69 octembre -1, le Directoire K-pitalin décida l'éradication des ultimes foyers de
résistance en utilisant conjointement son stock d'armes bactériologiques et
nucléaires, marquant ainsi notre entrée dans le Nouvel Age.
Document 2: Circulaire de la P.I.S.S.E. (Productions
Industrielles en Série des Substituts Electroniques) au C.E.K. (Comité des
Elites K-pitalistes)
Les documents éducatifs colportés dans les Terres du
Milieu ont été saisis, et leur circulation interdite, depuis que les colons
sont parvenus à les détourner par l'intermédiaire de rêvo-codeurs
trafiqués. Les sites industriels ont été
détruits et la production de codeurs limitée au besoin des Elites. Le parc subsistant sera remplacé (échange
gracieux) par nos classiques combinés tri-di.
Scott voulut s'essuyer les yeux pour dissiper le voile
rouge qui le gênait, mais il ne retrouva aucun de ses repères spatiaux. Les images défilaient trop vite pour qu'il
pût les identifier. Malgré ses efforts
pour se concentrer, la salle des hallus semblait déjà appartenir au passé. Un flash jaune l'aveugla. Il porta la main droite à la saignée de son
coude gauche pour neutraliser l'injection.
Mais le sens du toucher l'avait fui, ou bien rien dans son corps ne
répondait plus aux suggestions de son esprit.
Il pensa qu'un autre programme commençait ...
Il marchait au milieu d'une vaste place, sous un ciel
nocturne étoilé, ce qui suffisait à conférer à cette vision le caractère d'un
rêve. Ses pas glissaient sur les dalles
de verre. Le chien le précédait de
quelques pas. Scott remarqua que le
dogue était entier et se demanda pourquoi il avait la queue mutilée et les oreilles
en pointe. L'animal l'attendit, puis
obliqua vers le rectangle noir d'un édifice inconnu. Dans le flan du building
apparut une ruelle en cul-desac. Il s'y
engagea. Au fond de l'impasse, une
grande affiche sur fond blanc portait le slogan:
"Ne pensez pas, dansez"
Des néons s'allumèrent sur sa droite, formant une
enseigne incomplète à laquelle devait manquer un B, car il lut
"ELITY-...AR". Le chien s'engouffra sous la porte western.
Des lampes à huile en terre cuite frappées du signe du
poisson éclairaient faiblement la pénombre.
Des bocaux emplis d'aromates encombraient les étagères
poussiéreuses. Sur le comptoir de bois
siégeait un distributeur en forme de tête de diable. Les étiquettes portaient les mentions:
"Haschich, Opium, Héroïne, Extase, Rouge". Après quelques secondes de perplexité, il
appuya machinalement sur le bouton "Rouge". Un petit gâteau rond tomba de la bouche du
distributeur, enrobé d'un ruban de papier sur lequel il déchiffra: "Voyez
le patron, attention aux embrouilles avec les Forces de l'Ordre".
Une porte s'ouvrit dans le mur, donnant sur une chambre
à damiers où trônait un homme maigre en robe noire, le nez chaussé de lunettes
de soleil rondes. Derrière lui, on
apercevait par les baies vitrées, une cour où attendaient des files
ininterrompues de formes frêles.
- Où
demeures-tu? questionna l'homme en noir.
Scott essaya de se souvenir. Il ne se rappelait qu'une chambre aux murs de
bois délabrés, au sol de terre battue. - Actuellement, tu dois te trouver dans
une salle de spectacle, sans doute un genre de cinéma virtuel, car tu as
bénéficié d'une permission de sortie grâce au ticket que l'organisation t'a
fait parvenir. En temps normal, il est
probable que tu habites un compartiment réfrigéré dans les tiroirs de la
N.A.D.A. où tu crois travailler, où Doomsday et ses successeurs stockent leurs
employés jusqu'à expiration de leur contrat.
Avant de débarquer à K-pital City, tu
as vu des choses que tu n'étais pas censé voir, les services de l'immigration
t'ont passé au scanner d'effacement. Ou
alors, celui à qui je m'adresse est mort, comme moi depuis des siècles et tu es
le nouveau bourgeon choisi pour le remplacer.
Nous te portons un intérêt tout particulier, car ton avenir contient
notre avenir. Il dépend de toi que nous
existions à nouveau; nous t'avons créé afin de devenir un jour tes descendants
... Tu as dû remarquer que ton greffon-témoin répond aux contrôles tout en te
laissant une certaine liberté d'action. (Il y eut un blanc, l'image sauta.)
- Je me suis
rendu compte qu'il ne fonctionnait pas, hasarda Scott au cas où le déroulement
du message eût dépendu de sa réponse.
- C'est nous qui t'avons implanté ce modèle inerte,
pour te permettre de descendre dans la crypte de Veneration. Là, les Survivants te donneront des
instructions. Au cas où tu renoncerais à
ta mission, nous serions contraints de te livrer aux autorités en leur
signalant le bricolage de ton greffon identitaire. Ce n'est pas la peine d'essayer de fuir, tu
n'as pas le choix, tu vis une hallucination.
"Ventre d'Ea! qu'est-ce que je fous là, sur le
pavé? On m'a volé mes fringues. C'est la nuit perpétuelle. L'odeur des décharges, c'est ça que je
perçois en premier. Ma tête est
lourde. Des bâtiments éventrés où tout
semble mort émergent de la brume. Les
peintures en casiers forment des rectangles de couleur sur les restes des murs
mitoyens. Je suis dans la Zone. Je n'y ai jamais mis les pieds. Il y a longtemps que je devrais être rentré
dans mon tiroir à la N.A.D.A. Pourquoi l'illusion s'est-elle effondrée? Je me suis rendu compte que j'étais couché
dans une morgue, que mes souvenirs et mes actes n'étaient que des projections implantées dans mon
cerveau, afin que ma chair ne se corrompe pas.
Je ne travaille pas à la N.A.D.A., je fais partie de la matière
première.
J'ai traversé de longs couloirs intestinaux, j'ai vu
dans ma fuite les labos aseptisés et les tables de dissection. J'ai entendu le ronflement des chaînes de
conditionnement. Il n'y a ni personnel
ni gardes, tout est commandé à distance.
Personne ne se réveille jamais.
Je cours, je cours.
Ceux qui m'ont libéré sont suffisamment puissants pour me détruire. Sans eux, j'aurais toujours cru vivre heureux
dans un monde parfait, je n'aurais même pas pris conscience de ma fin. Et maintenant je dois m'enfuir et me battre.
L'homme nu court en titubant sur le macadam lézardé de
la zone. Il a coupé sans s'en rendre
compte le faisceau d'une borne tri-di.
Il est alerté par le ronflement des glisseurs. La chasse est ouverte. Les psychos du 22 ont le droit de tirer à vue
sur tout ce qui bouge.
Scott escalade un mur, il s'écorche sur les tessons de
verre. Les pointes des barbelés au
sommet tracent des sillons profonds dans son dos. Il s'enfonce dans un dédale d'escaliers,
essuyant le sang sur ses jambes afin de masquer les traces de son passage. Il passe devant plusieurs portes faiblement
éclairées. Soudain, deux bras, sortis
d'une niche dans la muraille, le plaquent et le happent à l'intérieur d'un
réduit sans fenêtre.
Un gros homme dans un costume démodé est assis sur un
tabouret d'angle. Il mâchouille un
cigare éteint. L'autre, qui l'a tiré à
l'intérieur, porte un short bleu marine et un ceinturon kaki d'où pend une
paire de menottes. Une vaste flamme est
tatouée sur sa poitrine.
- Mes potes, les chasseurs, sont à tes trousses. Ecoute attentivement ce qu'on va te dire.
Comme il ouvre la bouche pour poser une question, Scott
reçoit une claque qui le colle au mur.
Le gros homme poussif siffle entre ses dents:
- Il est assez abîmé comme ça ... Ecoute, je suis ton
patron, je dirige la N.A.D.A., tu es sorti avec notre assentiment, bien que
nous n'ayons pas approuvé ce choix. Tu
as sans doute déjà rencontré Meinkampf ... Nous ne voulons pas que cela se
reproduise. C'est pour cette raison que
nous avons choisi de te faciliter l'accès au centre de commande.
Quand tu seras en haut, tu t'empareras du Livre conservé au musée. Tu comprendras alors ce qu'il convient de
faire.
Le psycho-keuf tend à regret à Scott un paquet de
vêtements légers. L'air attendri, il le
regarde s'habiller et le presse de finir.
A genoux devant lui, il ouvre une trousse de cuir où sont rangés des sachets
de plastique colorés:
- Le Bleu, tu en
prends depuis des années sans le savoir.
Il provoque une vie cérébrale illusoire.
Il faut que tu continues à en absorber en petites quantités pour
décrocher. Le Jaune, la poudre
d'information, fait régresser vers les vies antérieures et induit parfois des
visions de l'avenir; il est déconseillé d'en prendre, car les explications
fournies par le Jaune sont souvent contradictoires et erronées. Le Rouge altère le déroulement temporel et
transforme la personnalité des êtres associés par le drogué à son
hallucination. Les réalités qu'il
suscite semblent toujours plus tangibles.
Mais les conséquences de son absorption sont imprévisibles, et il réduit
en esclavage des victimes qui ignorent jusqu'à l'existence d'une telle drogue. C'est la substance réservée aux
gouvernantes. Inspirées par les
fantasmes de la poudre rouge, elles modifient le cours des choses par la seule
force de la pensée. Le Vert est
l'antidote théorique de toutes ces drogues.
Malheureusement, il n'a pas encore été inventé.
- Tu donneras une dose de Rouge aux Survivants pour
qu'ils t'ouvrent la porte. Et
souviens-toi, ajoute l'homme en costume, ce qui est en bas est en haut.
Le psychokeuf remet à Scott la trousse à
pharmacie. Il le regarde longuement dans
les yeux, et dit en lui serrant amicalement le paquet:
- Je n'ai pas le temps de te baiser, mais le coeur y
est.
- Abstenez-vous de toute cette merde sentimentale. Ouvrez la trappe.
Scott
suit en tâtonnant la pente du souterrain.
Il distingue un point lumineux vers la sortie du tunnel. Des formes
imprécises filent entre ses jambes. Près
de l'issue, une silhouette assise l'attend, émettant un faible grognement. Scott reconnaît le chien qu'il avait perdu
dans sa fuite. Il débouche sur une
terrasse. Au-dessus de sa tête glissent
les rames de métro. Tout proche, si près
qu'on y prendrait pied d'un bond, scintille le dôme de Veneration, abritant les
ruines des bâtiments antiques. Le chien
prend son élan et saute dans le vide.
Scott pousse un cri de surprise, mais la bête ne tombe pas. Elle se tient immobile, observant avec
curiosité sa propre image. En bas,
il n'y a rien, qu'un immense miroir.
Scott comprends qu'il lui faut tenter l'ascension des parois du
puits. Il ouvre un sachet de Jaune et
avale la poudre d'or. Il ferme les yeux
et sent que son corps perd de sa masse.
Il s'efforce de former l'image mentale des clochers du vieux
temple. Il imagine que son corps bascule
et se sent aspiré vers le sol jonché de décombres. Il se trouve devant le portail condamné de la
cathédrale. A travers le dôme, il voit,
très loin, à l'envers, les marchés de K-pital et le tracé des déambulations
onîriques de ses habitants-robots. Il
éprouve la désagréable impression de se déplacer les pieds au plafond, Pourtant
la pesanteur artificielle continue à lui courber les épaules. Il se faufile entre les palissades.
Au centre de la nef du bâtiment en ruines se trouve un
groupe d'homme siégeant autour d'une fosse.
Ils sont figés dans des poses inconfortables. La plupart ne le voient pas approcher, ils
sont aveugles. Tous blessés, ils ont
perdu au moins un membre. Scott essaye
de dominer son dégoût devant les mutilations des Survivants, et fait quelques
pas en avant. Il constate alors que les
hommes font cercle pour se masturber les uns les autres. L'un d'entre eux vient à sa rencontre et tend
vers lui ses moignons. Scott extrait le
sachet de Rouge de la trousse de cuir.
L'homme l'accepte et le fait circuler parmi les handicapés qui l'absorbent. Ils sont agités par des spasmes. Leurs membres coupés repoussent, les tissus
infectés se referment, ils ouvrent les yeux, se lèvent, se dirigent vers Scott
qui recule. Ils se jettent sur lui,
l'encerclent et le précipitent dans la fosse.
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