mercredi 12 novembre 2014

MAISON CLOSE (pRoses vol 3)






                                                                                                                 III-  MAISON CLOSE



                                                                               
                                                                                         DOMUS DOMINORUM




1.                  La clairière carrée des forêts pacifiques
                     S'orne de têtes réduites, de boucliers
Qui tendent vers la nuit le miroir chaotique
Des secrets initiaux appris puis oubliés.

                     Les impétrants ont dû chevaucher les troncs d'arbres
                     Tandis qu'on imprimait avec un clou rouillé
                     Les dessins imitant les écailles de marbre
Des animaux tabous, sur leurs deux flancs souillés.

La feuille sédative a desséché leurs lèvres
Quand glissa sous leur peau la lame du couteau,
Et leur corps infecté se débattant en fièvres,
En rêve les brinquebalait, comme bateaux.

Vides,  légers, souffrant, dans le jour mal à l'aise,
                      Ils ont chassé, tout nus, les animaux violents;
                      Ils voulaient enjamber d'un seul bond les falaises
Quand l'aube les surprit, noirs et sanguinolents.

Vers la porte du jour, en file maladroite,
Les vieux les ont conduits, tremblants, au rituel,
Projetant de broyer menu leur couille droite
Ou d'ôter de leur gland le pli conflictuel.

Les mâles déroutés par la vie insultante,
Ecoutant les gourous qui convoitent leur fric,
Construisent, dans les champs civilisés,  les tentes
Où ils suent en commun et triquent en public.

Comme les chiens ils pissent autour des racines,
Enserrent l'écorce des bouleaux dans leurs bras,
Avalent les potions des hommes-médecine
En récitant tout haut des abracadabras.
  
Comme ils croient que faisaient les indiens, ils se pendent
Par les seins au sommet des tipis, rassurés
Que leur être effacé vers la douleur se tende,
Aveuglé dans l'éclat du soleil fracturé.

Ils sont entre eux, ils se suffisent, l'un dans l'autre,
Ils font les gestes qui abolissent le temps:
Dans le vestiaire au stade, hurlant "il est des nôtres",
Raides comme au gibet, culs, corps et cœur content.

  

2.           Nous, orphelins, les héritiers
              Nous avançons à reculons,
              Traversant les corps de métiers,
              Visseurs de culs et de boulons.

                        Nous sommes les liquidateurs;
                        Le feu privé dont nous brûlons
                        Ronge la foi des zélateurs
                        Etroits que nous émasculons.

            Nous sommes les porte-étendard,
                        Nous, les pourfendeurs de colons,
                        Zouaves, poilus, grogneurs, soudards,
                        Branleurs sans armes,au bras long.

            Chantant l'ordure et le dégoût,
                        Toujours vers vous nous basculons,
                        Sans cesse aux aguets, dans l'égout,
                        A la porte de vos salons.
            Entendez-vous dans vos cités
   Le chant d'amour de nos canons?
              Au fronton des  palais hantés,
              Flottent les drapeaux à nos noms.

     Nous exploitons vos pollutions,
     Sans bruit comme nous avalons,
     Fomentant la révolution
     Dans le fond de vos pantalons.




           3.          Par l'encre, par la craie, le graphite et la gomme,
                        Par l'empreinte du grec au flanc du vase antique,
                        Par la plaque nitrée et l'épreuve argentique,
.                       Nous construisons la maison des hommes.

                        Par le long défilé des soldats de Sodome,
                        Bataillon, Unité, corps, troupe, bande, équipe,
                        Au  fil du temps qui coud le groupe avec nos tripes,
                        Nous construisons la maison des hommes.

            En désirant sans fin mordre à toutes les pommes,
                        Tristes corps que la nuit sans égard manipule,
                        Avec poings en truelle et pioches en virgule,
                        Nous construisons la maison des hommes.
        
            En buvant au goulot nos fioles de rogomme
                        En pissant sous la lune, en arrosant de sperme
                        La terre battue des caves qui nous renferment,
                        Nous construisons la maison des hommes.

            Avec le gars en bleu, l'imprudent, l'économe,
                        Avec tout ce qui veut, même dans la traîtrise,
                        Charpentiers et maçons oeuvrant avec maîtrise,
                        Nous construisons la maison des hommes.
        
            Subjuguant les puissants, pauvres bêtes de somme,
                        Criant sus à qui tourne le dos à l'obstacle,
                         En gravant dans nos dos les étoiles pentacles,
                        Nous construisons la maison des hommes.

            Avec le jardinier et contre l'agronome,
                        Sur les buissons ardents que d'inconscients plantèrent,
                        Nous glanons les fruits verts trop tôt tombés en terre,
                        Nous construisons la maison des hommes.

  Nous qui portons la vie et ce qui la consomme,
  Serpents bisexués s'avalant par la queue,
  Kangourou, hippocampe, otarie, hochequeue,
  Nous construisons la maison des hommes.

  Avec l'équerre, avec le flingue qui dégomme,
  Usant pour tout levier, béquille ou couteau suisse,
  Du vibrant balancier qui pend entre nos cuisses,
  Nous construisons la maison des hommes.





4.          Les hommes du matin

Le soleil déjà haut dans le jour encor froid
Fait vibrer l'air léger sur la colline aux cistes;
Les hommes du matin sont décidés et tristes;
Le regard affûté, ils ne marchent pas droit.

                         Ceux que la nuit n'a pas comblés, ceux qui travaillent,
                         Ceux qu'elle a satisfaits, mais pas à satiété,
                         Ceux qui n'ont pas tiré avant d'aller pointer
                         T'attendent, le short bas, de dos, dans les broussailles.

Leurs culs sont grand ouverts comme des entonnoirs,
Ils se font bourrer mieux que ne feraient leurs femmes.,
Au  réveil quand l'envie d'être plein les affame
Et qu'ils larguent leur jus avant le petit noir.

                         Ils ne t'embrassent pas, ce n'est pas un truc d'homme,
                         Ils évitent de te toucher; leur frustration
                         Les pousse à réclamer de vertes punitions:
                         Tu sais vite tout d'eux sauf comment ils se nomment.

Sous la crasse ils sentent le savon bon marché,
Ils n'ont que l'intérieur de propre pour la fouille;
Ils ordonnent « plus fort » quand tu leur broies les couilles
Et te disent merci après qu'ils ont craché.










5.                  Quatre-piquets  (negro spirituel)


           Aux pieux plantés en croix comme sur la boussole
           J'ai moi-même fixé les cordes de nylon,
           Mais comment attacher, à moins que je les colle,
           Mes deux membres restant sans l'aide des colons?

           En glissant sur leur bras comme un piston s'échappe,
           Pourrai-je me vider de tout ce qui pourrit?
           Désirerai-je encor conquérir par étapes
           Le paradis muet où les fauves sourient?

           Je ne peux épouser ce monde inéluctable,
           Il faut donc qu'on le rentre en moi à coups de poing
           Pour qu'à l'issue du jeu je reste sur la table
           Tendre, au soleil rôti, cuit comme un steak, à point.

           Camphre, piment, citron, saturée de ces drogues,
           Ma voix réclamera le hurlement du fouet:
           Que, semblable au marron l'on m'arrache à ma bogue,
           Pantin éviscéré dans la malle aux jouets.

           Après je serai mort à l'orgueil et au crime
           J'aurai expié: vivre est, en soi, le châtiment.,
           Et je ferai avec mes sanglots de victime
           L'éloge des bourreaux qui furent mes amants.




6.                   Paper-roll piano (souvenir de Corigliano)


          Allongé sur le souffle annonciateur d'orage,
          Bercé par la dérive infime des nuages,
          Comme si je jouais du piano mécanique
          Et que flottait au loin la mélopée bornée
          Du Tango d'Albeniz, je me laisse emporter
          Vers l'été qui déploie sa splendeur chimérique.
          Comme si je jouais du piano mécanique,
          Comme si je pissais dans l'ouïe d'un violon,
          Comme si je battais les tambours héroïques,
          De concerts avortés en mal de conclusion.
          Oh ce vacarme hideux d'orchestre qui s'accorde,
          Ces accords hérités de pianistes défunts,
          Ces rouleaux de papier usés jusqu'à la corde,
          Danses qui n'ont gardé que l'aigreur pour parfum:
          Ces scies de music-hall substituées aux mots,
          Comme si l'on jouait du piano mécanique
          Font s'imbriquer les rouages fantomatiques
          Et les circuits rouillés de mon corps de robot.








7.                 Voilà trois bons jours pleins que chantent les cigales,
                    C’est que l’été flamboie sur le foin des chardons,
                    C’est que la chaleur tue lorsque le cœur s’emballe
                    Et que le soleil blanc irradie sans pardon

                    Sur les toits en alu chapeautant les casernes,
                    Sur la maison en toile où chauffe le goudron,
                    Sur les clochers rongés où les drapeaux en berne
                    Comme de rouges focs incendient  l’horizon.

                    Clair août, tant désiré, je redoute ta laisse,
                     Je suffoque étranglé sur le bord des rus secs
                    Chaque éclat de mistral comme un rasoir me blesse
                    Et je n’ai que mes pleurs pour boire à mes échecs.

                    Tandis que hurleront les sirènes des plages
                    Une sueur glacée coulera dans mon dos
                    Car c’est en plein hiver que mon esprit voyage,
                    Patineur égaré dans le flot des badauds.



8.                  Bordée

         Marin, crache dans tes mains
         Pour que gonfle le foc et se tendent les drisses
         Pour raviver le feu qui rougit les machines
         Verse sur les pistons l'huile de vaseline
         Et serre à l'étrangler le manche de ta pioche.

         A la croix des coursives, l'oeil blanc, aux aguets
         En heurtant aux boulons le front du mousse envieux
         Marin crache dans tes mains
         Pour élargir sans heurt le quartier-maître hideux
         Gras comme un fruit d'orient grêlé par la vérole,
        Etroit comme un lit d'oued asséché au désert

         Marin crache dans tes mains
         Dans la soupe aux cuisines
         Où tu pétris ton pain de sueur et de sel
         Au retour de la nuit dans la chambre commune
         Pour ramollir ton cal
         Marin., crache dans tes mains et astique ta pine



 9.              Le soldat a besoin d’amour
      Dès qu’il n’obéit plus aux ordres ;
                  « Pour l’amour c’est chacun son tour » 
                  Sa tendresse  ne sait que mordre.

      Il lui faut des piliers de bar,
      Des inconnus prompts aux rencontres,
                  De brefs ébats, fruits du hasard,
      Des poupées pour se chauffer contre.

                  Son impuissance aux sentiments
                  Le met sans cesse à l’exercice.
                  Ce n’est jamais qu’à lui qu’il ment
                  En bafouillant comme un novice.

                  Dans ses villes de garnison,
                  Comme il s’ennuie quand c’est relâche,
                  Avec ses amants de prison
                  Dans ses transports il dit : « La vache ! »

                  Il sait aimer à en mourir,
                  Car il crève sous la cravache :
                  C’est ça de pris sur l’avenir !
                  Sa passion meurt quand on l’attache.

                  Il se fait mettre sans façon,
                  Te prend comme un cheval de somme,
                  Mais ce n’est qu’un petit garçon
                  Aussitôt qu’il se croit un homme

                  Sa vie c’est La Grande Illusion,
                  Du tra-la-la et des costumes,
                  De l’or en galons à foison,
                  De l’honneur, des bijoux, des plumes.

                  Il a le cœur sec des vainqueurs,
                  Et l’égoïsme de l’athlète,
                  Ô mon handicapé du cœur,
                  Ma majorette, mon Trompette.

                  Il ne sait se donner qu’au corps,
                  A l’arme, au groupe ou à la troupe;
                  On n’obtient jamais son accord
                  Qu’à coups de pompes dans la croupe.

                  Il ne veut prêter son concours
                  Qu’à éteindre les feux d’urgence,
                  «Va, je t’en donne de l’amour,
                  Toi t’es verni pour la romance ! »

                   Le Soldat meurt seul au combat,
                   Il s’est tatoué sur l’épaule
                   « Maman, je t’aime » et puis, plus bas :
                   « Robinet d’amour pour les drôles. »






10.              On va toujours à l’aventure
                   Le hasard épingle à tout coup
                   Pauvre corps et triste nature
                   Quand vivre nous vient par à-coups

                   Le temps quand on n’en fait rien s’use
                   Le moteur s’étrangle à tout va
                   Danseur sur le gouffre on s’amuse
                   D’observer ce qui grouille en bas

                   Tout ce qu’on saisit se dérobe
                   C’est en vain que l’on s’y soustrait
                   Ce qu’on avale nous englobe
                   Tout est possible rien n’est vrai



11.              Je suis mort hier
                   Toujours à ma montre
                   Le temps des rencontres
                   S’égraine à l’envers

                   Ne m’en veuillez pas
                   J’étais las d’attendre
                   Et de me suspendre
                   En vain à vos bras

                   Sans jamais pouvoir
                   Filer à la voile
                   Rejoindre l’étoile
                   Qui luit dans le soir

                   J’étais un fruit sec
                   Au bord des fontaines
                   Et la vie hautaine
                   M’a cloué le bec





12.    J'entends dans mes poumons
         Le souffle embarrassé de ma voix qui s'éteint,
         Ce jappement de chien, ce ronflement de braise,
         Qui chuinte et siffle, rauque, à travers les goudrons.

         Ma cheville qui craque,
         Mon genou déboîté, ma sciatique chronique,
         Confèrent à mon pas ce petit air comique
         De vieillard claudiquant, sautillant et maniaque.

         Par mes deux poings serrés
         Je conjure le sang qui bat fort dans ma tête
         Et ce raidissement nerveux de bête inquiète
         Relance les sursauts de mon coeur déchiré.

         Entre mes cuisses pend
         Un bout de chair inerte, appendice apaisé
         Que plus rien ne secoue, ni les regards croisés,
         Ni la main fatiguée que parfois j'y suspends.

         Je ne sais pas par où
         Je tiens, par quels boulons restés par chance en place
         Ni quel moteur poussif anime ma carcasse,
         Ni quels étais branlants me maintiennent debout.

         L'esprit vif et le corps débile,
         Je suis porté par le vent froid des vanités,
         Recollant les éclats du réel délité,
         Uniquement ému, et mu, par l'inutile.







13.               Lorsque je reviendrai à moi
                    Le monde aura changé et tout sera parfait
                    Ma volonté est morte et je veux désapprendre

                    Lorsque je reviendrai
                    Les murs seront en ruine
                    La nature cruelle aura repris ses droits
                    Les liserons en fleurs étrangleront la vigne
                    Et les outils rouillés des trimeurs maladroits

                    Si je reviens après avoir sauté
                    Dans l’inconnu lié à un bout d’élastique
                    Si je crois que l’on peut revenir sur ses pas

                    Lorsque je reviendrai après avoir ôté
                    Les habits éculés du pantin domestique
                    Si je voulais savoir et manger mon pain blanc

                    Si je voulais

                    Quarante années d’usure et n’avoir rien appris
                    Quarante ans de vacance et pas un seul projet
                    Tout pris tout digéré et sans objet épris
                    N’ingérer que la cendre et les fruits du rejet



 14.               Toi qui n’es pas de ma famille
                     Et que certains voient dans le ciel
                     Toi qui m’a apporté des billes
                     Des poupées des dattes du miel

                     Nourris la flamme qui vacille
                     Et le tissu cicatriciel
                     Eloigne du gui la faucille
                     Noies mon chagrin superficiel

                     La prochaine fois que je pleurerai
                     Sur d’autres sur moi sur après

                     C’est Noel que l’on déshabille
                     Si la sorcière avec son fiel
                     Arrache chapeau et mantille
                     Du front qui m’est consubstanciel

                     Il y aura des tirs factices
                     De pétards dans le ciel d’hiver
                     Des fusées de feux d’artifice
                     Et des bonbons d’orange amers

                     La prochaine fois que je pleurerai
                     Sur d’autres sur moi sur après

                     Il y aura dans mes armoires
                     Les cadavres de mes aÏeux
                     Des fanions de proches victoires
                     Et des portraits en camaïeu

                     
                    Des joncs dans les bijouteries
                    La coquetterie des adieux
                    Et dans chaque boulangerie
                    Les galettes des trois rois pieux

                    Il y aura de la musique
                    Pour les corps nus dans les pornos
                    Quelques complaintes romantiques
                    Sur le beat lourd de la techno

                    Des gladiateurs blessés sans risque
                    Mais qui circulent dans le sang
                    Des laits noirs suintant des lantisques
                    Au cabaret des trépassants

                    La prochaine fois que je pleurerai
                    Sur d’autres sur moi sur après


15.               Seigneur, dieu des chrétiens, apportez moi la grippe
                    Vous attendiez le temps de rompre notre sceau
                    Mais quand la bave bleue me baignera la lippe
                    Je jouirai du sang dans un dernier sursaut.
                    Abrités par l’abside on se taillait des pipes
                    Enfants de chœur on s’enculait sous le boisseau
                    On s’enivrait de vin en se bourrant les tripes
                    Des fluides consacrés qu’excrétaient les puceaux.

                   Je prie pour ces fléaux qui sont votre vengeance,
                   Le déluge et le feu de notre délivrance
                   Pour les veaux étranglés dans les nœuds des lassos
                   En ce soir de Noêl vêtu de pauvres nippes
                   A croupetons je viens comme un fieffé pourceau
                   Vous réclamer la peste à en vômir mes tripes



16.              Ni le feu clignotant des petites étoiles
                   Ni les lampions frileux des dancings désertés
                   Ni les songes jetés sur les écrans de toiles
                   Ne rempliront mon cœur par l’hiver hébété

                   Fenêtres dans la nuit qu’avez-vous à me dire
                   Qu’un semblable horizon s’empourpre au loin ailleurs
                   Et que ce qui brûlait comme un éclat de rire
                   Luit toujours dans l’aura des soleils intérieurs

                  Que sur le chemin sombre on rallume des torches
                  Que dans l’obscurité se profile un veilleur
                  De l’épaule appuyé à l’arc-boutant d’un porche
                  Et qu’il promet du feu pour des matins meilleurs

                  Un ange qui met fin aux longues solitudes
                  Qui parlerait quand tout s’est tu avec douceur
                  Dissipant de sa voix les tristes habitudes
                  D’un geste dispersant les oiseaux jacasseurs

                 
                   Toi qui n’existes pas ne mouche pas les cierges
                   N’éteins pas les bougies des frêles paradis
                   Ecris dans mon esprit comme en un livre vierge
                   Les serments écrasés des désirs interdits 



17.    L'odeur de détergent, de foutre répandu
        Où se mêlent relents de sueur et de pisse,
        Ce parfum de vieux cinéma porno, de trou complice,
        Obscur, où tous les corps, même mous, sont tendus,

        Je l'ai, comme mon propre musc, dans les narines:
        Elle monte vers moi des couloirs du métro,
        Des massifs piétinés, des parcs municipaux,
        Des impasses, des porches où, saoul, l'on urine.

        Elle promet tout son pesant de bourses pleines
        De coups de cinq minutes, l'oeil vif, aux aguets,
        De cris de jouissance étouffés, de paquets
        Trop vite déballés et d'explosions soudaines;

        Remugle de piscine emplissant les vestiaires,
        D'humanité suant dans les fourgons de flics,
        Senteur de panard chaud dans la grolle en plastique,
        De chantier emboué aux toilettes précaires,

        Imprégnée dans mes vêtements, sur mes semelles,
        Je la traîne, comme un signal pour le passant,
        Jusqu'au lit, où, cassé dans un spasme puissant,
       Pour ne plus la sentir, je m'évapore en elle...





































                                                                                                                             Q .V .Q








1.             Pénétrez-vous l'esprit de saignants cauchemars,
                Mordez dans l'herpès purulent des lèvres mâles,
                Du cul, du vrai, du cru, du sexe, mais du sale,
                Les déchets que la nuit réunit au hasard.

                Hôtel au mois,
                Quasi de passe,
                « A la réception passe
                Courbé » ... L'autel:
                Le lit aux draps puants,
                Les cafards qui se coursent,
                La plaque de beurre sur la fenêtre
                C'est l'hiver,
                Le gode caché sous la pile de pulls.

                « Accroupi, froc bas, aux chevilles! »
                Pas utile de commander.
                Je dédaigne sa queue bandée;
                Lui  ne s'est même pas vidé
                Pour s'offrir propre au jeu de quilles.
                La marque du gland en plastique
                S'imprime dans le beurre dur.

                La tige de latex orange
                Fichée à mi-canal,
                Il gémit et avale,
                Avide, la hampe du membre.
               A coups de poings les demi-couilles
                Forment la butée du désir,
                Va-et-vient foireux où la merde
                Lui dégouline au long des cuisses

                Car c'est la dernière façon
                De faire vibrer sa chair flasque;
                Sans que j’aie fourré dans la vasque
                Ma queue qui pend sans résistance ;
                Je n’y colle pas un index,
                Qu’il dépose dans son kleenex
                Un jet d'urine et de semence.






2.             Condylome et fistule

                Le dermatologue
                M'a regardé l'oeillet;
                A dit d’un ton rogue
                « Allez voir ma collègue »

                - Le docteur va vous prendre »
                A fait la secrétaire
                Du dispensaire
                -Belle annonce!-.

                Derrière son bureau
                Une dame sourit ...
                Non maman,
                Je veux pas grimper sur la table.

                Le froc bas,
                A genoux,
                J'attends
                Qu'elle graisse son instrument.

                Je sens à peine
                Le bout froid
                Du speculum
                Qui pénètre.

                Elle regarde:
                «  Il y en a
                Aussi, dit-elle,
                A l'intérieur ».

                Mon pénis
                Se rétracte
                Un peu plus,
                Chiffon mort.

                La porte s'ouvre;
                L'assistante
                Stagiaire fait
                « Bonjour », enjouée.

                La joue sur l'oreiller,
                Je dis «c’est rien »
                Le médecin
                Dit « Observez ! ».

                Un oeil banal,
                Inquisiteur,
                Scrute l'intérieur
                Du conduit rectal.

                Je serre les fesses
                Sur la crotte dure
                De métal, qu'elle laisse
                Fichée au chaud


                Le temps de rédiger
                Pour le chirurgien
                Son rapport.  Puis
                Je chie l'engin.




                             *

                Le connard
                Cravaté
                Me demande
                Si je suis pédé.

                Je m'en défends:
                « Je suis marié »
                Il répond:
                « Ça n'empêche pas »

                Je dis:
                « Je n'ai pas eu de chance,
                Une fois,
                Et voilà le résultat ».

                Il dit:
                « Quand on y a touché,
                Un jour vient
                Où l'on recommence »

                Je n'ai pas la présence
                D'esprit de faire
                Remarquer
                Qu'il est bien renseigné.

                Il veut ensuite
                Examiner le site;
                Je sens ma bite
                Et mon estomac se nouer.

                Le pantalon
                Sur les chevilles,
                Je monte sur la couche
                Sans ôter mes chaussures.

                Il dit: « En position! »
                Et « Ecartez les fesses »
                Mais, avec le stress,
                Mon cul est en béton.

                J'entends le frottement
                Des gants de latex.
                Il pousse son endoscope
                Sans lubrification.

                Je grogne qu'il fait mal ...
                « Z'avez pas l'habitude? »
                Insinue-t-il
                L'air dégoûté.

                «  Trois verrues,
                Loin, vers l'intérieur,
                Et deux visibles
                Sur les plis:

                On va traiter
                Ça au laser.
                Si vous avez du cran
                On le fait en local,

                Mais soyez prévenu
                Que beaucoup de patients
                Tournent de l'oeil
                Quand on les pique;

                Deux injections
                Dans le rectum
                Sont nécessaires
                Pour opérer.

                La dilatation anale
                N'est pas une partie
                De plaisir,
                Vous savez! »

                Je suis livide
                Et je le sens
                S'amuser
                A me voir blêmir.

                J'ai les foies,
                Je choisis quand même
                Une anesthésie
                Générale...

                Quand je serai
                Dans les vaps,
                Tout l'hôpital
                Pourra me passer dessus.

                La douleur me fait peur,
                Je suis une lavette.
                Qu'il se délecte
                De ma face écarlate!

                Il se garde bien
                De prévenir
                Qu'on déguste
                Ensuite un bon mois,

                Le temps que les brûlures
                Au troisième degré
                Cicatrisent
                Complètement.

                         *
                La vieille infirmière
                A moustache
                Me rase
                Les poils du cul,

                Evitant d'écorcher
                Les reliefs
                Sous la lame;
                Je frissonne.

                Le gel froid
                L'acier bleu
                Me donnent
                Un début d'érection.

                Je m'enferme
                Dans les toilettes
                Pour m'infliger
                Le lavement:

                Il faut que la zone
                Opératoire soit propre:
                Les docteurs n'aiment pas
                Se salir les mains.

                Il faut garder
                Le liquide
                Dix minutes,
                Cul serré.

                Je n'ai pas de talent
                Pour le masochisme
                Les chirurgiens
                Vont m'apprendre.

                Je me vide, c'est bon.
                J'avale les pillules.
                La tension tombe.
                Je sombre.



                        *


                Mon voisin dit:
                « Ils ont ou peur,
                Ils étaient tous
                Autour de toi.

                Z'ont eu du mal
                A te réveiller » ...
                Je me lève
                Avec la perfu.

                Dans l'escalier
                Aux courants d'air,
                Je fume un clope;
                La tête me tourne...

               Je reviens en métro;
               Les vibrations m'empêchent
               De m'assoir sans douleur
               Sur mon cul torturé.

               Je ne peux plus dormir
               Sauf à plat sur le ventre.
               Parfois en pleine nuit.
               Je m'éveille en hurlant.

               Je rêve: on m'a fiché
               Trois sèches allumées
               Dans le boyau; au bout
               Un sadique crapotte.

              Je bouffe des gelées
              Pour avoir la colique.
              J'arrête de manger
              Pour moins chialer aux chiottes.

              La branlette devient
              Le seul analgésique,
             Actif, un court instant
             Après la jouissance.


                            *


             Quelques mois plus tard
             Un vieux blond me drague
             Avenue de Clichy.
             Il me chuchote:

             « On a baisé une fois;
             J'ai pris un super-pied. 
             Tu te souviens pourquoi? 
             Tu t'es fait enculer ».

             Voilà que me reviennent
             Les souvenirs diffus
             Emportés par l'ivresse:
             Je le revois sur moi

             Avec sa queue râpeuse
             A la couronne ornée
             Sur le pourtour du gland
             De petits grains en crête.

             Je tourne les talons,
             Je n'ai pas le réflexe
             De lui bourrer la gueule
             Pour mon cul boursouflé.

             Après tout, c'est ma faute
             Je ne suis qu'une lope.
             Désormais après boire,
             Je serai moins salope.

                              *
                Je porte mon anus
                Comme l'autre sa croix;
                C'est pire cette fois,
                J'ai le trou plein de pus.

                Les toubibs avec moi
                Se sont montré gentils
                Et ne m'ont mis des doigts
                Qu'avec parcimonie,

                De peur probablement
                Que de bons hurlement
                N'affolent leurs patients
                Dans la salle d'attente.

                C'est génial, l'hôpital
                Est au métro Gaîté:
                Pour finir charcuté
                C'est l'endroit idéal.

                J'informe l'infirmière
                Que je chie dans mon froc
                A l'idée des douleurs
                Que la taille provoque.

                « Ça fait pas mal
                Les condylomes:
                Une fistule du rectum
                C'est pas la mort du petit ch'val!

                On donnera
                De la morphine
                Si ça va pas,
                Soyez tranquille. »

                Couché sur le dos
                Dans mon lit d'hosto,
                J'ai tout le loisir
                D'en rire.
               
                Je touche du doigt
                La plaie que creusa
                Le scalpel en moi
                Et qui cicatrise.

                Entier devenu
                Mon seul trou du cul,
                J'ai toujours en vue
                Qu'on me sodomise.

                J'ai hâte de voir
                Comme un jouet neuf
                Si mon oeil de boeuf
                S'ouvre à vos boutoirs;

                Prêt à l'essai,
                Je tends, lecteur,
                Aux pieux épais,
                Mon postérieur,

                Et je t'invite
                A venir vite
                Clouer ta bite
                A l'intérieur.

3.             Nuit chienne

                Nuit noire,
                Nuit blanche,
                Sous les branches
                Des marronniers.

                J'ai tiré
                Trois fois
                Mon coup
                Sans faiblir.

                L'africain
                Qui sent bon
                M'a sucé
                Sans dégoût.

                J'ai rendu
                La pareille
                Au circoncis
                Par politesse.

                J'ai tenté
                De m'assoir
                Sur le noeud
                Du coiffeur,

                Près du lac
                Aux canards,
                Dans les massifs
                En fleurs.

                Son bout dur
                M'a tout juste
                Ecorché
                La rondelle.

                Appuyé
                Au muret
                De briques
                Face aux voies,

                Je respire
                L'odeur
                Acre et aigre
                De pisse,
                J'inonde
                De poppers
                Le petit jour
                Levant.

                Je tripote
                A travers
                Mon short troué
                Ma bite

                Pour happer
                Le premier
                Qui voudra
                Y goûter:

                Un vieux con
                Bedonnant
                A l'haleine
                Fétide

                Qui tient
                En laisse
                Son clebs
                Idiot.

                Je sors ma queue;
                La bête pose
                Sur mon gland rose
                Sa truffe humide.

                Le maître dit
                « Lèche » et la langue
                Tête et lape
                A sa demande:

                Lippe troussée,
                Babines hautes,
                Il est dressé
                A l'ouvrir grand.

                Je demande
                Au débris
                Si son bâtard
                Le bourre.

                « Ma femme
                M'en empêche. 
                Lui a le dard
                Trop court ».

                Je branle
                Le cabot
                Qui gémit
                Et qui tremble:

                Un passant
                Me surprend
                La paume
                Sur son membre,

                Hésite
                A s'arrêter
                Pour se joindre
                A la scène,

                Et je jouis
                Enfin
                Sous son regard
                Obscène.

                Tous quatre
                Nous pissons
                Arqués
                Contre les grilles

                Tandis que
                Les trains filent
                Dans l'aube
                A l'unisson.


4.             F.F.


                Je suis devenu peintre
                Pour avoir mis mes poings
                Dans le cul épaté
                De Jacques le sculpteur.

                Je me souviendrai longtemps
                De l'atelier aux grenouilles,
                Des fleurs factices, des miroirs,
                De l'odeur de la glaise humide.

                J'avais dit: « Je suis pas violent »
                Au téléphone, et lui, inquiet:
                « Tu peux rentrer la main fermée? »
                - Oui, les deux mêmes, si tu y tiens.

                J'avais trop fumé, trop couru
                En remontant la longue rue:
                La porte encadrée de faux pampres
                S'ouvrit. Le barbu me dit  « Entre ».

                Torse nu dans son jean,
                Il ne m'attendait plus;
                Suis-je le bienvenu
                En lui léchant la pine?

                Au fond, près de la douche,
                Une porte à secret
                Dévoile une autre couche
                Et des instruments prêts,

                Des godes noirs et blancs
                Dont la taille croissante
                Devient à chaque rang
                Plus menaçante.

                Plus que tout je respecte
                L'homme offert sur son dos
                Plus que l'athlète,
                Plus qu'un héros,

                Le magicien contorsionniste
                Qui sait s'embrocher sans broncher
                Sur le faîte d'un double fist
                Fiché dans son cul, mains croisées.

                Tu es la porte de mon monde;
                Ton oeil noir m'a hypnotisé.
                Moi j'incarne la bête immonde
                Que ta bouche n'a pas crachée.





5.             Ciné-moche



                Je demande son âge:
                Il répond dix-neuf ans.
                Il y a bien longtemps
                Que ça ne m'est pas arrivé ...
                C'est lui qui a voulu
                Qu'on s'isole dans la salle,
                A l'orchestre et aux premiers rangs;
                Moi la lumière de l'écran
                Me gêne, mais me voir l'emballe.

                Il me rend ma pipe enthousiaste
                -Il y avait longtemps aussi-.
                Pourquoi ai-je déjà joui
                Avec des vieux à la queue flasque?
                Il est tellement amical,

                Et moi si froid,
                J'ai de la peine,
                Je vais vite venir, et mal:
                C'est gâché, Ça vaut pas la peine!

                Orgasme douloureux et bref,
                Pourquoi m'ôtes-tu tout plaisir
                En me rappelant les ficelles
                Qui ont étranglé mon désir?
                Une famille à la maison,
                Un amant jaloux, et l'horaire
                Qui m'autorise à peine à faire
                Un tour pour cracher, et basta.

                Et lui, je lis dans son sourire
                L'attente avide du savoir,
                Plus qu'à la chair, l'appel à l'âme,
                Que je ne peux pas assouvir,
                Et j'assiste muet au drame,
                Impuissant à me retenir
                Quand ma queue éclate en sanglots.
                Parfois, malgré la bonne baise,
                En quittant le ciné porno
                Le coeur noué, on l'a mauvaise
                De retourner à ses fourneaux.














6.             Un mort dans la famille

               Rien n'égale le frisson
               Des nuits en plein air
               Dans la ville en fête-
               Un qui meurt de froid
               Un qui meurt d'ennui
               Un qui meurt de manque,
               Les animaux
               Puants, asociaux
               Occupés seulement
               A tirer sur leurs chaînes


               En ces temps d'agonie
               De sapins crucifiés
               Les fêtards aux souliers ferrés
               Regrettent les hoquets
               Provoqués par l'alcool
               Qui ne les rend plus ivres.

               On l'avait trouvé dans sa chambre
               A demi asphyxié nageant dans son vomi

               Pour me défendre de mourir aussi
               N'être qu'un sac vidé
               Soulevé par le vent d'un poumon synthétique
               J'avais pour seul projet
               De m'étourdir de monde
               M'affranchir de la jugulaire
               De l'imagination destructrice.

                Alors je me réfugiais
                Dans les métros bondés
                Sur le pavé mouillé des jours de grêve
                J'agitais des drapeaux noirs et rouges
                Hurlant avec les choeurs d'homes à l'unisson
                Chez les débitants de burgers
                Ma faim était inextinguible
                Du gras, du steack de vache folle
                Avant les tuyaux de l'hosto
                Le régime sans sol
                La laisse à oxygène...
                Je me joignais au grouillement
                De la vie qui foisonne
                Dans les égouts obscurs
                Pullulement de rats
                Contorsions de lombrics affolés par la proie
                Jetés au fond d'un trou dans la terre stérile
                Dans les caves des sex-shop
                Seul remède à la tristesse
                Une branlette à la sauvette
                Un tremplin pour la frustration
                Viendra?  Viendra pas?
                Le sportif aux muscles de bois
                Protégeant de trois doigts
                Sa bite ridicule
                Accueillant la mentule
                D'un vieillard maigre au teint cireux
                Spectacle croqué sur le vif
                Comme sur l'écran video
                Le son hurle réglé trop haut
                Couvrant le râle alternatif
                De cet accouplement d'exclus
                Dont l'adieu est définitif
                Dès qu'a jailli le premier jus.
                On aurait pu avoir ceux qui n'ont pas voulu
                Et l'on s'est refusé aux quémandeurs avides
                Jeu douloureux du vide épreuve primordiale
                Mensonge quotidien
                Tout qui s'éveille et qui s'éteint
                Comme on froisse un vieux mouchoir sale

                Dans mon atelier sous-terrain
                Se déshabillaient des lutteurs
                Les soldats nus sortaient des douches
                S'unissaient à des rugbymen
                Marqués au poinçon des crampons
                Atys hurlait émasculé
                Déchiré par des mains ailées
                Morcelé comme ma conscience
                Par le peu de désir de vivre
                Un jour oui, un jour non.

                Lui, suffoquant sous penthotal
                Crevait, la sonde dans la queue
                Le ventre creux, enveloppé de couches
                Englué dans le temps, muet comme une mouche
                Tombée dans un milieu aqueux
                Son souffle luttait pour quitter
                Ce corps qu'il avait détesté
                Pour n'avoir apporté que plaies paradoxales
                Vivant, habité par la nuit
                Errant déjà de place en place
                On attend que le coup de grâce
                Permette que sans bruit
                L'on passe.

                J'ai dit à l'hôpital: ça valait mieux ainsi
                On n'aurait pas pu le laisser souffrir longtemps
                Et au tenancier du sex-shop, « Un jeton s'il vous plaît »
                Le sous-sol était vide
                Et je me suis branlé tout seul dans la cabine.













7.             Adieu au poème

                Le poète a besoin d'extrême solitude
                Et de regrets
                Pour que l'ennui le pousse à faire des chansons. 
                Autrefois l'amour suffisait.
                Derrière les volets clos,
                En face de l'école où habitait Chopin,
                J'en ai dit des sottises.
                L'inspiration gisait au fond de nos culottes;
                J'étais
                Ce petit chef dont Sartre imagina l'enfance:
                Nous faisions salon littéraire et One-Two-Two.
                Le prof nous enseignait la métrique et le vice;
                Nos éjaculations affolaient ses toutous.

                Je me souviens de toi
                Denis à la queue courbe,
                Que l'on m'avait laissé comme un gibier piégé. 
                Je n'aimais guère les adolescents
                Quand j'avais quatorze ans,
                Mais  mon désir ne connaissait pas de bornes. 
                Je me souviens comment, à Rome,
                Je me suis acharné à vouloir te baiser
                Quand, dès le premier soir,
                Le patron de l'hôtel avait surgi en rogne,
                Ordonnant méchamment qu'on tire le verrou
                Pour faire nos cochonneries.

                Je me souviens d'Hervé, montagne à la chair lisse,
                Sumo distingué quand ce n'était pas la mode.

                Je me souviens des pipes dans la cuisine
                Sous l'évier où tu pissais tes calculs,
                De tes sorties inspirées par la jalousie
                Quand je sautais ton mec
                En Normandie, dans la roulotte;
                Gershwin passait à la radio,
                Et toi tu réclamais
                Qu'au moins je lime en rythme.

                Je me souviens des chiens
                Avides de lècher le sperme répandu
                Sur le couvre-lit marron.
                Je me souviens du jour où j'ai dit:
                « Baise-moi » pour me rétracter aussitôt.

                Je me souviens de la potée au chou
                Que tu me servis un midi après la baise
                Et du malaise
                Qui me valut un jour de colle,
                Parce que j'avais précipitamment quitté
                Le cours de physique,
                Cherchant dans la panique
                Un coin discret où chier,
                Avant que la récré ne remplisse les gogues.

                Je me souviens de Camus, Pirandello, Duvert,
                Lacan, Genêt, Apollinaire,
                De tes propres romans qui inspiraient les miens.

                Je me souviens de l'encre violette
                Des lettres de vacances que tu m'envoyais
                Dans la maison de ma grand-mère,
                Que je cachais, craignant que l'on vît au travers
                La promesse de fornications futures.

                Je me souviens du calva à soixante degrés,
                De cette ivresse dont ma mère profita
                Pour me faire avouer mon goût des hommes
                Vers deux heures du matin, une nuit
                Que nous avions baisé à trois
                Plus longtemps que de raison.

                C'était le meilleur de moi;
                Je ne le savais pas.
                J'avançais à tâtons en aveugle lubrique,
                Je pissais des vers comme une taupe hémophile...
               
                Aujourd'hui, le poète a besoin de matière brute,
                De l'odeur musquée des travailleurs manuels,
                Des soldats dans sa tête,
                Des aiguilles, du fouet,
                Mais tout étant fantasme, il est devenu sec
                Et n'ayant d'autre phrase à ajouter sur lui,
                Qu' « A quoi bon »,
                Il regarde de loin ce qui advint aux autres: