mercredi 24 mai 2017

La Transmigration d'Alcide I




 






« Beaucoup d'autres encore ont choisi de semblables sujets : ils racontent, comme des faits personnels, soit des aventures, soit des voyages, où ils font la description d'animaux énormes, d'hommes pleins de cruauté ou vivant d'une façon étrange. L'auteur et le maître de toutes ces impertinences est l'Ulysse d'Homère, qui raconte chez Alcinoüs l'histoire de l'esclavage des vents, d'hommes qui n'ont qu'un oeil, qui vivent de chair crue, et dont les moeurs sont tout à fait sauvages…


Car n'y aurait-il dans mon livre, pour toute vérité, que l'aveu de mon mensonge, il me semble que j'échapperais au reproche adressé par moi aux autres narrateurs, en convenant que je ne dis pas un seul mot de vrai. Je vais donc raconter des faits que je n'ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j'y ajoute des choses qui n'existent nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n'en croient absolument rien. »
Lucien de Samosate, Histoire véritable

















Dédicace


Je te sens répandu dans l’ondée obsolète
Qui pleut sur les jardins pour les fleurir de lys,
J’entends ta voix de basse enrober ma planète
Enrubannée par la force de Coriolis.

Je t’entrevois dans les enclumes des nuages
Ton odeur se répand en tachant le papier
Ce parfum de viande et de ferments de laitage,
D’entrecuisse en sueur, d’aisselles ou de pieds :

Massif, opaque et brun, tu changes de visage
A chaque tentative pour t’imaginer,
Le bedon rebondi, l’aine gonflée, le gage
Des organes cachés encore invaginés.

Tu te déplies comme le gâteau d’horoscope
Dans la tasse de thé du service chinois,
Ton épaisseur en moi comme un cœur d’héliotrope
Ouvre vers le soleil sa coquille de noix.

Tu es là dans le noir quand plus rien ne m’habite
Tu durcis dans ma main, fantoche de chiffon,
Dernier de mes amants de carton, toi l’hoplite
Qui enfles en 3D quand je touche le fond.

Sur le vague échiquier représentant l’espace,
Partenaire privé de céleste repas
Médaille sans avers tu es le sou sans face
Au jeu tronqué, truqué des destins sans trépas.

J’entends le cataclysme en moi lorsque tu marches
Dans cet orage où pleut ton corps désincarné
Dessinant des frontons et les ruines des arches
De palais de brouillards aux balcons écornés.

Le tueur de titans et de géants se dresse
A l’image de l’océan recommencé,
Et aveuglé je sens sur ma peau la caresse
De ton souffle aviné sur mes membres cassés.













             Livre Premier: Au cabaret de la férule


Mon demi-frère et moi nous sortions de l’enfance ;
Au temps que l’équinoxe d’été approchait,
Quand les mouches dorées concentrent leur errance
Sur les feux allumés dans les cours des palais,

Quand devaient prendre fin les jeux de l’innocence
Et que le jour se meurt aux lueurs des quinquets,
A l’issue des festins, lorsque l’obéissance
Ne nous confine plus aux emplois de laquais.

Le Sénateur a dit : « Perdez-vous par la ville,
Sur le pavé luisant, sous la lune d’été,
Où les esclaves nus sous leurs robes serviles
Cherchent la compagnie des patriciens crottés,

Sur le carreau du temple où la nuit séculaire
Eteint les braseros consacrés aux dieux morts,
A l’ombre de l’arène où l’aigle dans son aire
Elève les agneaux pour nourrir sans effort

Les rejetons fluets qui prolongent sa race.
Dans la lie des torrents trempez vos pieds de grès
Et déployez aux vents vos ailes de rapaces
Comme vous survolez aux thermes les agrès. »

Nous savions que nos corps durcis par la pratique
Du pugilat, nos membres forts comme nos troncs
Attiraient les regards dans l’étuve publique
Des sportifs débutants comme de leurs patrons.

Nous croyant rejetons du plus noble lignage,
Dès l’enfance adoptés, vierges de tout tourment
Dans la ville aux cent rues nous faisions le voyage
Dont on ne revient pas comme on était avant.

« Mes fils, cette saison vous avez atteint l’âge
Pour fonder vos maison de quitter le foyer,
C’est le moment de perdre avec vos pucelages
Candeur, vertu, usage, et de vous dévoyer.

Portez au cabaret le reste de ma bourse,
Vous frapperez trois coups au lourd vantail de bois
Et direz au portier que le but de la course
Est d’en gagner le triple en une seule fois. 

Allez, mes fils, au claque et riez de l’ivrogne,
A son pas titubant mesurez la vigueur
De vos corps de lutteurs et claquez lui la trogne,
Car il n’aime rien mieux qu’arrogance et rigueur. »

Le tripot pour enseigne arbore une férule
Où s’enroule un serpent à tête de dragon.
On nous a désigné un étroit cubicule
Dont la porte a tremblé en grinçant sur ses gonds.

Dans le mur décoré de graffitis obscènes
Un pavé dessellé permet à discrétion
D’observer la salle et l’arrière de la scène
Sans avoir à prendre plus grande précaution.

Les voix mêlées de cris des clients qui s’engueulent,
Les chants des buveurs gris font monter la pression.
Le cabaretier parle à voix basse à de veules
Voyous gesticulant dans notre direction.

Un coup de pied pousse l’huis de notre cellule,
L’aubergiste est venu nous porter des boissons : 
« Je vous engage, avant d’être sur les rotules,
D’écluser tout ce que vous offre la maison. 

Tout vous en semblera comme d’un mauvais rêve
Certains philtres mêlés comme en une potion
Vous allégeront l’âme et feront trouver brève
La nuit passée dans cette triste condition.

Je devine à vos moues et à ces regards cranes
Que vous ignorez tout de nos arrangements,
Vous attendiez qu’on vous mène à des courtisanes
Mais c’est vous qui serez le gibier du moment.

Pardonnez si je le révèle avec franchise,
J’en aurai profité moi-même avec plaisir,
Mais je ne voudrais pas gâter la marchandise
En usant ce qui ne peut qu’une fois servir.

Car on vous a vendu, et l’argent de la bourse
N’a servi qu’à louer la chambre des travaux,
Où vous pourrez cacher mieux que sous la grande ourse
La honte de servir de génisse à ces veaux. »

Alors nous avons bu pour nous tourner la tête,
Et n’ayant pas trouvé de sûr moyen de fuir,
Nous avons résolu de leur pourrir la fête
En leur volant ce qu’ils entendaient nous ravir.

Puisque c’était le soir de l’ultime débâcle
Nous sommes convenus au travers du brouillard
D’examiner le déroulement du spectacle
Dont nous étions promis d’être le clou paillard.

Courbé sous le fardeau d’un manteau de misère
Nous vîmes que l’acteur teint de rouge minium
Attendait patiemment l’extinction des lumières,
Pour ramper à tâtons au bout du proscenium.

C’était le vagabond qui gagnait par l’ivresse
Sa pitance, paria au coin des boulevards,
Effrayant les enfants, insultant qui se presse
Comme nous, innocents, au fond des traquenards.

Ses sandales usées tenaient mal aux chevilles,
Révélant les orteils d’un pied fort et velu,
Les lacets délassés pendaient en longues vrilles
Le long de ses mollets rebondis et charnus.

Sous son masque, il chassait la sueur de ses joues
Que sa barbe argentée collectait en ruisseaux
Et ses cheveux, comme un catogan qu’on dénoue,
Sur sa nuque musclée retombaient en fuseaux.

Parfois, lorsqu’il quémande à l’hôtelier un verre
Sa tête se renverse et l’on voit s’échapper
D’une peau d’animal un téton tributaire
De l’anneau de fer blanc dont son sein est lesté.

Dans l’entrebâillement du vêtement d’esclave
On croit voir scintiller, comme gâche en cliquet,
Une fibule d’or dont le fermoir entrave
Sous sa bite ridée, ses couilles en paquet.

Et voici qu’il se hisse enfin sur ses cothurnes,
Ajustant sa ceinture où balance un gourdin
Qu’il caresse au passage en présentant ses burnes
Au public rigolard qui siffle avec dédain.

Il est plus animal que l’ours à quatre pattes,
Jusqu’au creux de ses reins se répand sa toison,
De ses tarses puissants jusqu’aux cimes plus mates
Des épaules croissent les crins noirs à foison.

Rubans effilochés d’un châle de dentelle
Dressés en gerbes drues aux sillons musculeux
Il se forme en son dos un champ d’épis rebelles
Agité de nuées d’insectes chitineux.

Il a l’air épuisé des chevaux de parade,
Des monstres exhibés aux baraques de zoo,
L’intérieur de sa cuisse est la forêt malade
Où le reflet du ciel n’atteint jamais les eaux.

Sur la croix de velours qui partage son torse
On ne distingue que le rose des tétons
Et la pointe inversée du triangle où s’amorce
La tétine du gland émergeant des festons.

Nul sculpteur ne pourrait rendre le teint de fraises
Emergeant des taillis, ni le foisonnement
Du poil, sauf à creuser d’un peigne en fer la glaise
Voire en grattant le marbre au tranchant d’un diamant.

Seule la lame du rasoir dans son pelage
Permettrait de tracer le nom en abrégé
De son appartenance quand tout tatouage
Disparaît à fleur de l’épiderme ombragé.
……………
L’aubergiste à son tour est monté sur la scène
Revêtu d’une tunique jaune citron,
Chevauchant un balais comme un cheval obscène
Sur lequel tressautait son opulent bedon.

Coiffé d’une couronne de lierre en diadème
Il dit : « Ne pressons pas la représentation,
Où vit-on que l’on eût, et dans Athènes même,
Commencé à jouer sans maintes libations :

Quelques danses rythmées pas le choc des cymbales
Et de beaux jeunes gens pour servir d’échanson,
Tout ce qu’il faut enfin pour échauffer la salle
Et qu’on batte des mains au bruit de nos chansons.

Si nous improvisons, c’est toujours du théâtre
Je dois frapper la scène avec ce grand bâton :
Prosternez-vous, romains, devant l’étrange pâtre
Qui brandit en riant son sceptre de carton. 

Le spécimen, quoique le temps ait fait son œuvre,
Est ce qu’on voit de mieux en cage, le dompteur
Vous l’assure ; au combat, fuyant comme la pieuvre
D’une main il tuerait quatre gladiateurs.

Ses larges cuisses sont des colonnes de temple,
Son cul marmoréen pulvérise les noix,
Ses pectoraux d’airain résonnent comme l’ample
Squelette des statues… Lève-toi, tiens-toi droit ! »

Dit le montreur en taquinant de sa badine
Les rectangles velus de ses abdominaux :
-On n’a dû entraver sa gigantesque pine
Pour limiter un peu ses instincts animaux.

Mais vous verrez qu’après l’avoir fait un peu boire,
En ouvrant le clapet qui lui coince le gland,
Il livrera à tous pour un prix dérisoire,
Un spectacle sauvage, inédit et sanglant.

Car deux jeunes puceaux d’excellente famille
Se sont jetés tout seuls dans la gueule du loup,
Mais n’anticipons pas… Rugis lion des Alpilles,
Et dis-nous une histoire qui vaille le coup !

-J’ai tué mon amant sur la tour de Tyrinthe,
J’avais volé ses bœufs pour qu’il vint jusqu’à moi,
Il s’était refusé deux fois sous la contrainte…
-Que veux-tu à la fin, zut ! on n’est pas de bois :

« Sachons le bon moment » clamait un des sept sages
Un garçon dans sa fleur est aussi succulent
Qu’un concombre primeur, mais s’il a passé l’âge,
Il n’est bon qu’à nourrir les cochons corpulents.

-Vous qui d’adolescents vous montrez fort avides
Hommes murs vous souffrez et votre sort amer
Vous contraint à jamais n’embrasser que le vide,
Car aimer un garçon c’est assécher la mer,

C’est dénombrer les grains du sable de Lybie,
Votre désir d’amour n’est jamais étanché,
Pas plus qu’au lit des oueds taris de l’Arabie
Ne jaillit la fontaine où vous êtes penchés.

-Et voilà maintenant des propos moralistes
De poète lyrique on n’a pas plus besoin,
C’est un genre à proscrire aussi bien de ta liste
Te montres-tu exprès bête à manger du foin ?

-Hardi, frère, les mots te montent à la tête
Tu as assez causé et ton déguisement
Ne peut faire oublier que c’est moi la vedette
Et toi le bateleur qui fait son boniment.

-Te voila impatient de tenir tes promesses :
Une envie de purée t’agace l’estomac ?
Tu seras moins vaillant quand vaincu par l’ivresse
Tu fondras à mes pieds dans un demi-coma.

J’ai transformé en vin ce tonneau d’eau saumâtre,
Car c’est là mon métier de te désaltérer,
Au terme du défi j’ai toujours su te battre
Sans lutter corps à corps, ni en rien transpirer.

Car lorsque tu seras ivre à pisser par terre,
Confondant ta massue avec ton robinet,
Ta langue déliée fera moins de mystère
Et tu nous avoueras tout ce qu’on devinait.

-J’ai laissé Abderos malgré son trop jeune âge
Garder les noirs chevaux de Diomède, acculé ;
Ma faute s’il est mort aux crocs anthropophages
De ces monstres avant que j’ai pu l’enculer.

-Messieurs, -notre assemblée ne compte pas de femmes,
Ou bien j’aurais mal vu et suis hors de propos-
Ne prenez pas au mot sa propension au drame
Ni ne jugez l’artiste à sa queue au repos.

Allons puisque rien ne te déride, cynique,
Ni les tournées payées par nos bons spectateurs
Je t’apprendrai céans un fort ressort comique…
Qu’on m’apporte un trépied pour m’asseoir à hauteur !

Mais d’abord, comédien, ôte cette pelisse
Que je me vête de tes fringants attributs… »
Un tabouret passé par une main complice
Paraît, et le géant est vite dévêtu.

D’un brasero l’on tire un fer blanc dont on marque
Les bœufs aux champs, et d’un coup le voilà brûlé
De l’emblème du cabaret où l’on remarque
L’ombelle de férule au serpent accolé.

Malgré son cri on entend la chair qui grésille,
La fumée odorante du poil calciné
S’évapore où la peau soudain boursouflée brille
D’un beau rouge incarnat aux bords blancs ravinés.

Le public applaudit, crie bis pour que ça dure
Qu’à nouveau le tison creuse un relief massif,
Quelqu’un suggère de pisser sur la brûlure
Qu’on y jette du sel ou des gouttes de suif.

-Voila comment berger tu es devenu chèvre
Un seyant ornement pour mon maigre troupeau
De ta bouche d’en bas je vais baiser les lèvres
Et nous verrons si tu peux hisser le drapeau. »

Le gaillard est tombé, il s’est roulé en boule
Se protégeant les couilles d’une seule main.
Il dit « Tu l’as voulu » et regardant la foule :
-Je sais un conte pour amuser les gamins.

Te souvient-il qu’un jour dans les marais de Lerne
Tu erras en cherchant la porte de l’Enfer
Tu voulais arracher ta mère à la caverne
Des ombres où Pluton règne d’un gant de fer ;

Mais ne comprenant pas la langue des grenouilles
Tu recherchais en vain où faire le plongeon
Quand au pied d’un ponton où son frêle esquif mouille
Tu vois un pêcheur qui dormait entre les joncs.

Toujours farceur, d’un jet de pisse tu l’éveilles,
Pas rancunier, le beau jeune homme te sourit,
Et te dit, « donne-moi le jus d’or de ta treille,
De l’espoir que tu vins, je fus toujours nourri. »

« Dans le lac, repris-tu, tu as plongé les mailles
De tes filets cent fois, moi je suis le poisson
Qui sache recracher au lieu de la ferraille
Un anneau de platine en place d’hameçon.

Enseigne-moi le lieu de la source des fleuves
Où gagner le radeau du nautonier Caron
Si tu veux que le flot de ma source t’abreuve
Et je t’apprendrais à devenir vigneron. »


Je ne veux, reprit Prosumnos, qu’une promesse
-Ce garçon entre nous était un doux rêveur-
A ton retour tu me feras don de tes fesses
Ce n’est pas cher payer qu’un instant de bonheur. »

-C’est que j’étais joli lorsque j’étais jeune homme
Et les pêcheurs de Lerne ont le goût des garçons,
Ma mission filiale valait bien que la pomme
Fut en secret croquée de charmante façon.

-Hélas à ton retour, tu ne trouves qu’un tertre
Et sur la stèle écrit : «  ici git, mort d’amour
Celui qui ne voulut jamais se faire mettre
Le vaillant Prosumnos à la queue de velours. »

Dans une branche de l’if funèbre tu tailles
Le simulacre en bois de l’organe du beau
Pêcheur, pour honorer ton serment, tu travailles
A t’enfoncer ce pieu planté sur son tombeau.

Et c’est ainsi que pour imiter ton exemple
Les jeunes initiés aux mystères du coin
Durant les nuits de mai s’assoient au fond des temples
Sur des pénis de bois avec le plus grand soin.

Une fois élargi on garde la souplesse,
Tu nous feras peut-être la démonstration
Que tu es aussi vert qu’au temps de ta jeunesse
Pour avaler la quille avec obstination ?

-Ces choses-là se doivent de rester discrètes,
A la foule on ne les livre pas sans stupeur ;
Lorsque tu t’emparas du taureau de la Crête
On dit que tu n’en fus pas quitte pour la peur,

Et que récupérant l’invention de Dédale
A genoux dans la vache de Pasiphaé
Si tu l’emprisonnas ce fut par la fatale
Contraction du lieu où il s’était fourvoyé.

Il fallait pour exécuter ce coup de maître
En avoir fait l’essai déjà sous d’autres cieux
Tu te fis prendre mais pourtant pas prendre en traître
Et ta virilité ne s’en porta que mieux.

N’est perdu à jamais que celui qui recule
Sur le paf à la rencontre de son bourreur
Il suffit de montrer à celui qui t’encule
Que tu n’aimes pas ça mais que tu as bon cœur. 

-En proie à la démence, au retour de la guerre,
J’ai violenté ma femme et tué mes enfants.
-Ici, le ton tragique au public ne plaît guère,
Tu coules mon commerce avec ton ton ronflant.

La folie, c’est l’état où les hommes nous mènent
Qui refusent de voir en nous le clairvoyant,
Egaré, je le fus, dans les prolégomènes
Qui m’ont baladé dans l’orient des incroyants.

La folie, c’est le refus de la race humaine
De reconnaître le divin dans notre sang,
C’est la force du vin libérant dans nos veines
L’étincelle qui luit aux fronts érubescents.

La folie, c’est cette foule éperdue de haine
Qui nous a dépecés quand nous étions enfants :
Chevreaux nous gambadions à travers vaux et plaines ;
Les chasseurs sonnaient l’hallali dans l’olifant.

J’eus à souffrir aussi, moi, de ma parentèle,
Quand mon cousin Penthée du trône se saisit :
Pour qu’il sût mon pouvoir je conduisis ses belles
En bandes aux bosquets, en un arbre, l’assis ;

Les pauvres affolées dans leurs orgies démentes
Crurent voir un lion des montagnes dans l’espion,
Se jetèrent sur lui en déchaînées bacchantes,
Il n’en demeura pas la corne d’un arpion.

Les filles de Mynias régnant à Orchamène,
Se moquèrent de moi, se pensant des houris,
Je leur fis avaler leurs frères pour la peine
Puis les métamorphosais en chauves-souris.

Les Argiennes, aussi revêches que bravaches,
Crurent à mes corsos pouvoir se dérober,
Par les bois divaguant se prenant pour des vaches
Dévorèrent sous mon emprise leurs bébés.

Les pirates de Chios connurent la débâcle
Me trouvant ivre-mort et pensant m’épingler :
Sur leur nef enlevé j’accomplis un miracle,
Ils sautèrent à l’eau se pensant tous cinglés.

Même les Athéniens se pendirent en nombre
Quand ils eurent lynché le premier moissonneur
Qui leur donna l’ivresse, et qu’imbéciles sombres,
Ils l’avaient pris pour un vulgaire empoisonneur.

A la folie sacrée nul ne peut se soustraire
Sous mon bonnet phrygien, j’ai l’esprit divisé ;
Voilà, gendre, pourquoi je t’appelle mon frère
Et mets tout mon entrain à te martyriser.

Nous sommes tous les deux étrangers à la terre
Cibles conjointes d’un identique courroux
Deux fois nés, rejetés par l’Olympe adultère,
Les dieux ne voulaient pas s’accommoder de nous.

Quand je t’ai rencontré au croisement des routes,
Que tu redescendais les flancs du Cithéron,
Dans ton esprit déjà s’était glissé le doute,
Et je t’ai dit ; « Choisis entre ces deux larrons,

Celui-là innocent et doux joue de la flûte,
Rien ne peut égaler sa sociabilité,
Le joueur de cymbale est une triste brute,
Le ciel lui est promis pour sa servilité. »

Tu as préféré prendre la route de Thèbes
Où t’attendaient la gloire et le bonheur nuptial,
Mais tu n’étais alors qu’un arrogant éphèbe
Qui rêvait sans savoir d’un destin familial.

En chemin tu as rencontré les émissaires
Qui venaient réclamer à Créon le tribut
De la part d’Erginos, qui pour venger son père
Collectait, depuis bientôt vingt ans, cent zébus.

Ton sang n’a fait qu’un tour devant pareille offense,
Aux deux tu as coupé les oreilles, le nez,
Et les ayant parés pour toute redevance
D’un collier de leurs appendices sectionnés,

Tu as dit : « Retournez vous en chez qui vous mande
Et si de revenir vous aviez le culot
Craignez qu’au pendentif j’ajoute sur commande
Pour prix de l’affront, vos misérables grelots. »

Il s’ensuivit alors une guerre inégale ;
Tu portais la jupe et la lance d’Athéna,
L’armure de Vulcain, et d’Hermès, les sandales.
Au double de l’impôt, tous, tu les condamnas.

Par la ruse tu reçus ta première épouse
En ayant échappé à mon initiation,
Et ton coup de folie ne fut que la jalouse
Conséquence de ton peu de pénétration. »

-Je voulais raconter, mais ici l’on s’égare
Comment je fis le deuil de femmes et enfants
Comment à mon neveu, je fis don de Mégare
Que Thèbes me confia quand j’y fus triomphant.

Hélas je n’ai jamais été un homme libre,
Rien de ma destiné ne m’a appartenu
Ma mère m’a porté trop longtemps, l’équilibre
De l’univers ne tenait qu’à ce fil ténu ;

En haut lieu, on ne voulut pas que je régnasse
Selon la prophétie sur le monde connu,
Et c’est à mon cousin qu’on réserva la place
De gérer mes états et tout mon revenu.

Quand je n’étais encor qu’un bouvier sans entrave
La maladie sacrée fondit sur mon esprit
L’épilepsie, la transe, ont fait de moi l’esclave,
La brute rejetée et par tous incompris.

Je me suis imposé l’exil du parricide,
J’ai couru tous les lieux où j’avais sacrifié
Et partout l’on m’a dit, retourne-t-en Alcide,
Le pouvoir des mortels ne peut te purifier.

Je n’avais plus qu’un seul compagnon de misère
Iolaos, qui veillait sur mes noirs cauchemars,
Dernier rescapé de ma fureur meurtrière,
Sur la route incertaine il conduisait mon char.

Soleil du long hiver qui m’a ravi tes braises,
Pourquoi survivre à nos détours aventureux ?
Quand j’avais vingt-cinq ans, que tu en avais seize
Et que l’éternité souriait aux amoureux.

« Puisque tu m’as tout pris, jugea mon demi-frère,
Et qu’il ne m’est resté que ce seul descendant,
Emporte le bien loin aux confins de la terre,
Fais-en un homme fût-ce à ton corps défendant !

Apprends-lui à bander ton arc, maître de lutte,
Pour l’endurcir fais-lui transporter ton carquois,
Enseigne-lui la ruse et l’art de la culbute,
Et que du mal d’aimer il sache le pourquoi.

Tu le ceintureras afin de le soumettre
Tu le basculeras, le retournant en sus,
Tu lui apprendras à se comporter en maître
Et qu’il faut se plier pour avoir le dessus. »

Avant de l’embrasser, je soignais ses blessures,
Il ne sortait jamais vainqueur du pugilat
Et je léchais son sang sur son front immature,
Liqueur aussi corsée que son éjaculat.

Je portais le fardeau du crime impardonnable
Comme l’âge il m’avait fait blanchir le cheveu,
Ma bite entre mes cuisses pendait incapable
D’apprendre le métier à mon zélé neveu.

Le haut mal malgré moi m’a mis la queue en berne
Je désire ton cul et je ne peux l’ouvrir
Mon gland ridé et gris a pris la teinte terne
Du fruit mûr et trop mou en passe de pourrir.

Mon premier apprenti, j’étais ton premier mâle,
Et responsable encor de toute ma maison,
Il fallait pour l’honneur des miens que je t’empale,
Dussè-je pour bander y perdre la raison.

Et voilà le motif de toute l’aventure
Qui me fit consulter l’oracle d’Apollon
Apprendre la méthode à suivre pour la cure
Qui me rendrait ma vigueur passée d’étalon.

La chèvre avait tremblé sous mon jet d’eau lustrale
Je fus admis à descendre dans l’adyton,
A toucher du doigt la pierre sacerdotale
L’omphalos qui coiffait la tombe de Python.

La voix de la prêtresse derrière ses voiles
En énigme éructa son arrêt salvateur
« Le temps que le soleil avale dix étoiles
Tu serviras en chien ton vil usurpateur :

Va trouver Eurysthée ton cousin à Mycènes
Il te dira comment sortir de ta prison
Tu lui obéiras et au bout de tes peines
Tu trouveras un peu plus que la guérison. »

Je n’obtins pas d’autre réponse à mes demandes
Je dis à Iolaos, allons fouette cocher
C’est le prix à payer pour forger ma légende
Dix ans de loyauté et de travaux forcés !
…………….
On a beaucoup exagéré mes compétences
Il fallait être utile aux humains ? Perverti
J’ai usé de mes armes par inadvertance
Et la plupart du temps je me suis diverti.

J’ai battu la campagne en chasseur autonome
Profitant des ordres d’un tiers pour me livrer
Aux pires exactions que l’on reproche aux hommes
Sous couvert de chercher à les en délivrer.

Plus que le roi des rois je fus fin politique
Mes exploits ne visaient qu’à la satisfaction
Des mes désirs secrets, et la ferveur publique
A dressé des statues célébrant mes actions.

-Maître, je suis venu me mettre à ton service !
Dis-je quand Eurysthée m’eut ouvert son palais.
-Pas si près ! répondit le monarque novice.
Il était bien petit, bien chétif et bien laid.

Il tremblait devant moi comme une pauvre feuille,
Je pris mon air féroce par nécessité,
Feignant de ne pas comprendre que l’on m’accueille
En me montrant autant d’inhospitalité.

A tout autre j’aurais retourné une rouste
J’étais assez marri pour n’en pas rajouter
Envoyé des dieux je ne pouvais crier « Ouste
Rend-moi trône et trésor que tu m’as barbotés ».

-Déshabille-toi vite, afin que l’on te fouille !
Je ne portais qu’un bout de tissu pour manteau.
-Il convient que devant ton roi tu t’agenouilles,
Les mains en vue pour ne pas cacher de couteau.

Lorsqu’on m’eut humilié en recherchant des armes
Dans les plus dissimulées de mes cavités
Eurysthée bredouilla son ordre, qu’un gendarme
Venait de lui souffler : « tu devras éviter

Que le lion de Némée fasse d’autres victimes
Et pour que la contrée retrouve son repos
Faire la preuve qu’il a expié tous ses crimes,
En venant à mes pieds en déposer la peau. »

Des lions, pauvre cousin, j’en avais occis d’autres,
Celui-là disait-on était né de Typhon,
J’aurais presque pu le compter parmi les nôtres,
C’était aussi aisé qu’étouffer des griffons.

Je logeais chez Morloch paysan de Cléone,
Son fils pour notre monstre avait servi d’appât :
« Au bout de trente jours, fais que la chair soit bonne,
Si au cours des battues je trouvais le trépas. »

Le lion devant mes coups regagna sa retraite
Dans l’antre où il plaçait la viande à faisander
De mes flèches en vain je voulus le larder
Elles rebondissaient sur le cuir de la bête.
En forêt de Némée pour assurer ma quête
Je taillai ma massue dans un bois bien bardé.
Un paysan me dit « ton outil va céder
Au premier coup que tu porteras à sa tête ».
J’ai clos l’issue du terrier pour vite régler
L’affaire, et de mes mains nues je l’ai étranglé ;
De ses griffes j’ai pu dépecer ma conquête,
Et couvert de sa peau je m’en fus parader
Chez celui qui comme mort m’avait regardé,
Et le baisais sans qu’il m’en eut fait la requête.

L’exploit mit fin à ma passagère impotence ;
Avant que de porter à mon royal cousin
La peau du lion défunt je testai ma puissance
Sur mon parent qui en avait le plus besoin.

C’est à toi Iolaos que j’offre cet unique
Hommage de ma queue pour seul serment d’amour
Ensemble célébrons le retour de ma trique
Je promets d’être doux pour le premier débours.

Imaginez la peau velouté d’une pêche,
Comment ne pas croquer le cœur du fruit juteux
Les deux pouces plongeant pour élargir la brèche
Plus avant vers le fond du conduit sirupeux.

Ouvre-toi Iolaos j’ai trouvé le sésame
Et le pêne abyssal à ton verrou promis,
D’un coup de reins je vais te décapsuler l’âme
Dans ta gâche versant l’huile de l’insoumis.

Plus jamais je ne t’épuiserais par la boxe
C’était de coups de poings que je t’avais bourré,
Et je vais provoquer l’apaisant paradoxe
De l’heureuse douleur d’avoir été fourré.

Au lieu de te castrer je fais migrer tes burnes
Vers les sacs resserrés qui pour les recevoir
En s’épanouissant se sont gonflés en urne
Dont le col s’est fêlé quand j’y mis mon ouvroir.

Au palais d’Eurystée, déclenchant la panique
Je me présentais nu, la bite à angle droit,
Viril et menaçant, je dispersai la clique
Chargée d’assurer la sécurité du roi.

Prévenu du retour triomphal –je me gausse-
Il avait fait creuser dans ses appartements
Pour abriter une jarre en fer, une fosse
Où dissimuler à ma vue ses tremblements.

-Pourquoi redoutes-tu du fond de ta caverne
De me voir t’apporter le produit de mon art ?
C’était trop tôt pour mettre tes drapeaux en berne,
Je t’aimerai d’abord, je te tuerais plus tard.

Ma vigueur revenue, je vois, ça te consterne,
Crains-tu que je te force à faire grand écart
Ignorant le resserrement de ta poterne ?
Je t’ouvrirai d’abord, je te tuerai plus tard.

-Emporte ces haillons puants dans ta caserne
Couvre-t-en pour cacher ton obscène étendard,
Va t’en décapiter l’horrible hydre de Lerne.
-J’obéirai d’abord, je te tuerai plus tard.

Les marais odorants n’étaient pas idylliques
Asséchons la contrée et dressons sur leurs bords
En souvenir de nous une borne phallique
Où les amants viendront saluer nos efforts.

La légende voulait que le monstre eût cent têtes,
Huit c’était bien assez, neuf c’était déjà trop ;
La dernière, perchée sur ses appuis centraux,
Immortelle, bavait, comme un grand veau qui tète.
De la forêt prochaine incendiant les retraites
Mon cocher rapporta des brandons magistraux
Dont je cautérisais les cous coupés, au trot,
Empêchant leur repousse en creusant des plaies nettes.
Quant au chef invincible, on l’enterra profond
Roulant un lourd rocher au-dessus de son front :
Tels on nous statufia, vainqueurs en tête-à-tête
Dans le temple de Lerne aux lueurs des vitraux
Enlacés, contemplant les mouvements astraux,
L’un dans l’autre imbriquant nos corps massifs d’athlètes.

Dans le cadavre ouvrant de purulentes brèches
D’un coup de ma massue par l’acide rongé
J’ai trempé l’acier froid des pointes de mes flèches
Offrant à Iolaos mon corps à éponger.

Nous ne rapporterions cette fois qu’une histoire,
Dans l’incendie forgés, des serments éternels
Ecrits en mots de feu comme dans la mémoire
Le souvenir de nos débordements charnels.

-Ah ça ! dit Eurysthée, la preuve n’est pas faite !
Si tu n’avais pas eu l’aide de ton giton,
Tu serais revenu nous conter ta défaite
Au lieu de ce roman en vers de mirliton.

Désormais je te ferai porter par notre oncle
La liste des exploits suscitant les bravos ;
Ton dernier coup d’éclat ne vaut pas un pétoncle,
Je ne le compte pas parmi tes dix travaux. »

Je t’ai conduit au cœur de la forêt profonde
Pour la dernière fois où nous serons unis
Cachant notre bonheur, tous les deux seuls au monde
Sans peaux ni vêtement, de nos couteaux munis.

Le vulgaire a voulu que cesse notre alliance
Les temps subissent de constantes mutations,
Conduire plus avant ces terribles déviances
Nuirait fatalement à ta réputation.

Eclaireur de ma vie, pour toujours je t’emmanche,
Demain nait différent de nos corps séparés
Au réveil, il fait froid, et nous sommes dimanche,
De nos cœurs brisés nous avons fait des carrés.

Va je ne t’oublie pas dans l’humide clairière
Où nous nous embrassons pour la dernière fois,
Je rallume sans fin le feu intermédiaire
Où nous nous consumions l’un l’autre avec effroi.

Regagne ta patrie et revêtant la blouse
De travailleur, oublie qu’un jour tu m’appartins ;
Fais de nombreux enfants à qui fut mon épouse
On se reverra dans vingt ans sois-en certain.

Je dois m’en aller seul, j’en ai fait la promesse,
Chasser la biche coiffée de ramures d’or
Que n’a pas attelée à son char la déesse:
Je le veux Iolaos, oublie-moi et t’endors !

Plus vive que la flèche, au moindre bruit instruite
Du pas du poursuivant, la biche aux pieds d’airain,
M’entraîna aux confins des rivages marins,
Un an ne la fatigua pas de la poursuite.
Comme elle retournait vers Cérynie, détruite,
Hésitant à franchir le fleuve en crue, serein
Je m’ancrais à ses mâles ornements ; mes reins
Pour ceinture reçurent la bête éconduite.
Ne voulant pas fâcher la chasseresse à l’arc
A mon patron qui voulait la mettre en un parc,
Je dis : « Viens la chercher toi-même avec ta suite ! »
Puis comme il descendait les remparts sans entrain,
Tranchant les liens retenant son arrière train,
« Tu as été trop lent, ta biche a pris la fuite ! »

C’est à ce point, je crois, que ma mémoire flanche,
Mon histoire s’embrouille à force de doublons,
J’ai bu plus qu’il ne faut pour demeurer étanche
Ah du malt fermenté, de l’orge, du houblon !

-On n’a pas ça en magasin, pour qu’on t’abreuve
De liquide doré il est bien un moyen
Mais tu préféreras attendre enfin qu’il pleuve
Plutôt que solliciter nos concitoyens.

Allons divertis-nous par tes récits risibles,
Je paierai ma tournée quand viendra le moment.
Des conséquences de tes éclats irascibles
Nous voulons savoir le pourquoi et le comment.

Songe à la récompense attendant en coulisse
Quand tu auras narré la fin de tes malheurs,
Et si ce n’est pas drôle, au lieu d’appuyer, glisse,
Ici, aucun sujet sérieux n’a de valeur.

-Ma femme répudiée, il m’en faut une neuve,
Eurytos d’Oechalie organise un concours
De tir à l’arc, je cours pour m’inscrire à l’épreuve ;
Iole est le prix promis au vainqueur du parcours.

Il m’enseigna l’art qu’il tint d’Apollon lui-même,
Il me défie de le battre et ses quatre fils,
Deion, Clytios, Toxée, Iphitos et la crème
De ses soldats (aussi instruits pas Artemis).

A peine ai-je bandé cinq fois mon arbalète
Que ma flèche au cœur de la cible fait douleur,
Les ayant tous vaincus j’attends que l’on admette
Que j’ai gagné le prix, portant haut mes couleurs.

-Tu uses contre nous d’artifices magiques
Récrimine Eurytos que le vin rend hargneux,
Esclave d’Eurysthée tu mérites la trique,
Qu’attends-tu d’un roi libre, pauvre besogneux ?

Tu répudies ta femme et réclames ma fille
Après avoir jeté tes enfants dans le feu,
Eloigne-toi dément avant que l’on t’étrille.
Iphitos ne se joignit pas au désaveu.

Par la porte du nord, je m’en vais la queue basse,
(Nous nous reverrons pour venger ce camouflet),
Devant les murs dans un vaste pré d’herbe grasse
Paissent de blancs chevaux gardés par des mouflets.

Je pris douze juments et douze mules pleines
C’était mal de ma part, pour me dédommager,
Mais j’espérais du vol tirer à moindre peine
Un intérêt plus grand que l’on pouvait gager.

Je n’avais pas senti de désir venant d’Iole,
Le temps ferait son œuvre et le destin avec,
Je ne redoutais pas que sa beauté s’étiole ;
Tant que je bandais dur il me fallait un mec.

On s’amollit bien vite à fréquenter les femmes,
A vouloir trop séduire on devient délicat,
Certains savent comment entretenir la flamme
Avec force mots doux, ce n’était pas mon cas.

Parfois l’on s’entend mieux au lit entre fripouilles,
Chargé de mon troupeau je ne balançais point,
Je m’en allais trouver, maître de la débrouille
Qui m’avait appris à me servir de mes poings,

Autolycos, expert à la lutte, au pancrace,
Avait acquis son don d’Hermès, dieu des bandits :
Il savait transformer par de magiques passes
En vaches les chevaux, et mules en brebis.

On m’avait accusé d’user de sortilèges
Quand j’avais gagné par mon adresse d’archer
Ce n’était qu’un juste retour, ajouterai-je,
Qu’y recourir alors qu’on m’avait fait marcher.

Autolycos voulut pour ces simples emplettes
Que je lutte au terme d’un combat arrangé
Et l’affrontement se termina en branlette
Sur quoi nous nous quittâmes tels des étrangers.

J’allais à Iphitos alors chanter mes plaintes :
« Thèbes n’est plus à moi depuis que j’ai prêté
Ma femme à Iolaos, je vis seul à Tyrinthe,
Rejoins-moi, à ta vue mon cœur s’est arrêté ».

Il me semble pourtant que la chose était claire,
Mon message fut-il si mal interprété
Qu’il ne comprit pas que je l’inventais dans l’aire
D’où les aiglons s’élancent en vol pour flotter ?

« Ce précieux bétail qu’on a volé à ton père
Je m’engage avec toi à la chercher partout,
Goûte à la libation de vin vieux et tempère
Les soupçons qu’envers moi tu gardes malgré tout.

Montons sur le donjon qui domine la plaine
Et de là tu verras courir dans les vallons
Les troupeaux assemblés au sein de mes domaines,
Tu les reconnaîtras si j’en ai pris, allons !

Iphitos se tient aux montants de l’ouverture
Je susurre « est-il un cheval qui t’appartient ? »
Il scrute avidement par les vertes pâtures
Les troupeaux gambadant et me réponds : « Non, rien !

Mais je sens dans mon dos se dresser une barre
Menaçante qui grandit au creux de mes reins,
J’ai passé l’âge de subir l’épreuve rare
Qu’en mon cul à l’envers on rebrousse les crins. »

-Tu es laid, je te veux, tu es roux, ô merveille,
J’aime l’odeur de suint qui transpire à ton cou,
Le poil désordonné de tes vastes oreilles
Décollées que la honte a fait rougir d’un coup.

Au bord de l’ouverture où le viol brut t’accule
Choisis ou bien l’amour en épousant mon nœud
Ou le vertige qui fait faire la bascule
En te fermant à mes désirs libidineux. »

Tandis que je poussais sur sa rondelle humide,
Iphitos effrayé comme un prince déchu
Préféra se laisser absorber par le vide :
Voilà en vérité comment l’entêté chut,

Et pourquoi sans savoir on m’accusa du crime
D’avoir précipité par-dessus les remparts
Mon hôte qui ne fut que sa propre victime
Puisque de mon amour il rejeta sa part.
…………………
L’oracle répéta : « Puisque l’on t’incrimine
Livre-toi poings liés à la reine aux seins nus ! »
Deux fois c’en était trop et j’avais dans la mine
Renversé le trépied et les prêtres chenus.

Ailleurs, j’irai fonder de plus fiables oracles
M’intoxiquant de soufre et de jaunes vapeurs…
Mais en décolérant je ne mis pas d’obstacle
A ma revente à perte aux premiers pourvoyeurs.

Pour avoir projeté par-dessus la muraille
Iphitos qui n’avait pas cédé à ma cour
Je fus sur le marché vendu vaille que vaille
Pour trois talents d’argent et sans aucun recours ;

C’était ma destinée prononça la pythie
Et l’unique chemin de mon expiation
Que servir traité sans la moindre sympathie
Sous le joug d’une reine aimant la transgression :

Trois talents c’était une somme colossale
Et Hermès avait bien négocié le contrat,
M’avait-on reconnu sous la fourrure sale
Par la fruste massue qui pendait à mon bras ?

Omphale était alors la reine de Lydie,
Fille de fleuve et veuve des monts de Tmolos,
Lien entre ciel et mer, nombril d’Anatolie,
Elle avait mis de l’ordre, un peu, dans le chaos.

Elle m’avait choisi pour mes cuisses de marbre
Couvertes de poils noirs semés à profusion
Sur l’estrade j’étais, une arche entre deux arbres,
Campé sur mes mollets forts comme une illusion.

Elle avait bien palpé aussi la marchandise
Et dit : « on n’en pas de pareil par ici,
Non, dans toute l’Asie, vraiment quoi qu’on en dise,
Rien qu’on put comparer à ce géant précis.

A ma cour pour trois ans, servir, cela m’enchante
Donne-moi la dépouille du lion qui te vêt
Prends la robe de lin que portent mes servantes,
Remets entre mes mains ta massue, j’en rêvais ! »

Ainsi je fus adjoint à la troupe des dames,
Je portais le panier de laine qu’on filait
Et la reine flattait sous mes atours de femme,
Avec son pied menu mon sexe qui gonflait.

Je voulais bien jouer le rôle de fileuse
Briser dans mes gros doigts le fuseau du rouet
Mais à la nuit venue à cette malheureuse
Je n’offrais que la mécanique du jouet.

A la femme, je ne donnais pas ma semence,
Nourrissant l’instrument par un fil mal cardé,
J’empruntais la voix contraire à la préséance
Car le couloir arrière était fort mal gardé.

Esclave tu me veux, ton serviteur je reste,
Ne me demande pas d’enfants car je suis sec
Je n’apporterais que les bubons de la peste
Et dans ton utérus les ferments du mal grec.

Il ne suffisait pas de tenir la quenouille,
Chaque soir ajoutait à mon humiliation
Les servantes riaient en me frappant les couilles
A grand coups de battoir avec application ;

La reine me giflait du plat de ses pantoufles
Et pour accompagner le chant de ses binious
Elle avait préparé, quand s’éteignait mon souffle,
Après les bambous mous, des flagelles à clous.

J’entasse sur mon cul la souffrance du monde ;
Je suis l’expiation, je suis le contempteur ;
Donne-moi le rejet l’ordure et tout l’immonde
Désir dont rien n’a pu être le rédempteur.

Me voici asservi, héros à quatre pattes
Et sinon nettoyer ta contrée des brigands
Qu’attendrais-tu de moi, afin que je t’épate
Du sperme par tonneaux pour te servir d’onguent ?

Le jour on m’envoyait assainir la campagne
Pacifier des cités ou tuer des serpents
Dans les vignes de Syleus, vêtu d’un pagne ;
Je pressais raisins et patron en même temps.

Tandis qu’ils me volaient profitant de ma sieste
J’attrapais Passalos et Acmon, les culs-blancs,
Les pendit par la queue sur mon bâton agreste
Jetant sur mes épaules ce fardeau tremblant.

Ces malandrins riaient et me faisaient la pige
En observant mon cul tout tanné et tout noir
« Mère nous avait dit ; prend garde au mélampyge :
Tu dormais sur le dos, aussi, comment savoir ? »

Je les déchargeais aux pieds de la souveraine
Qui les trouva jolis en plus de rigolos
Ordonnant aussitôt que les jumeaux étrennent
Leurs bites de puceau dans mon cul au galop :

« Puisque tu ne veux pas du divin réceptacle
De mon ventre fécond, que ces nains adossés
A ton cul noir au moins me donnent le spectacle
De l’impotent puni, par leurs soins engrossé. »

Je n’eus pas à beaucoup souffrir sous les Cercopes,
L’usage de m’offrir à ses guerriers membrés
M’avait déjà dressé à servir de salope
Aux poings rugueux forçant mon derrière cambré.

Pour me venger je mis enceinte sa suivante ;
A la toilette, avant de m’appliquer le fard,
Elle avait avec une insistance irritante
Prit soin de m’astiquer copieusement le dard.

Je ne voulais baiser qu’à condition égale,
Laquais je restai le maître de mon mastard
Ainsi la prétendue descendance d’Omphale
Est l’ancillaire ramassis de mes bâtards.

Voici qu’après trois ans on fait sauter les barres
Du cachot, je suis libre et pauvre c’est patent
Je n’ai pas contenté la reine des barbares ;
On me rend peau, massue, et l’on me dit « Va t-en !»

Seul et abandonné parcourant le rivage
En cherchant le moyen de construire un radeau
Je découvre couché au milieu d’une plage
Un jeune homme endormi qui me tourne le dos.

Le soleil de midi qui tannait sa peau matte
Avait répandu des brûlures sur ses flancs
Et des sangles de cuir fixées aux omoplates
Dans sa chair s’enfonçaient comme sillons bouffants.

Le long des vertèbres saillant de sa colonne
Une mare laiteuse appuyée au coccyx
Collaient les poils luisants de la touffe en couronne
En éventail, pareil aux ailes du bombyx.

Ses côtes corsetées formaient sur sa chair nue
L’armure caparaçonnée des combattants,
S’achevant en blancs globes de cire fondue
Sur ses fesses galbées en un moule épatant.

En fuseaux jaillissaient les muscles d’une cuisse
Qui débordaient de la ceinture d’Apollon
Au creux de son genou saillaient les tendons lisses
Du mollet découplé fléchissant son talon.

Je durcis à l’idée : Ah ça qu’on me dénoue !
L’épingle me fait mal qui comprime mon gland,
Au bout de mon récit je veux, contre mes joues,
Etaler le jus blanc de mon fluide collant.

Le rythme du discours épousera l’histoire
Dès lors que je serai renversé, haletant,
Livré tout entier au rythme masturbatoire,
Mes poings contre ma bite ensemble combattant.

Je voulus l’éveiller d’un baiser sur la bouche,
Mais la nuque rigide, il était déjà froid.
Son bras plongeant dans le sable comme une souche
A tout autre que moi n’eut inspiré qu’effroi.

Ange tombé du ciel, ta destinée me navre
De ton corps disloqué, rongé par le remords
Je n’ai pu caresser que le charmant cadavre,
Sans t’avoir disputé au règne de la mort.

Afin qu’aux Enfers tu partes armé d’un cierge
J’avoue que transgressant les communs préjugés
Souhaitant qu’à l’Achéron tu n’arrives pas vierge
Sur ta dépouille, seul, je me suis soulagé.

Aux peuplades du lieu j’appris malgré leurs tares
Les rites présidant aux commisérations,
J’ordonnais « Elevez pour célébrer Icare,
Un temple au soleil qui voulut sa crémation. »

Pleurer les morts errants dans leur jardin de pierres
C’est l’apanage de la civilisation.
Je suis le fossoyeur, le pourvoyeur de bières,
La tête de pont de la colonisation.

Mon retour au pays se fit à la nuit noire ;
Sur la côte un gardien m’attendait l’arme au poing,
Et je crus voir dressé au bout du promontoire
L’ennemi planté sur mon chemin, comme un coin.

Je bourrais de coups la forme pyramidale ;
Le guerrier n’était qu’un simulacre de bois,
Une effigie grossière sculptée par Dédale,
L’ayant mise en bouillie, je vis que c’était moi !

L’hommage que m’avait rendu par sa trouvaille
Un père empêché de faire au fils ses adieux,
Me remerciant d’avoir conduit ses funérailles,
En apprenant l’usage aux sauvages sans dieux.

Remettant à plus tard la fin de mon ouvrage,
-Eurysthée n’attendait pas vraiment mon retour-
Je voulus chercher un compagnon de voyage
Confondant ma quête de justice et d’amour.

Car tel était mon lot d’aller porter la guerre
Chez ceux qui résistaient à toute intégration,
Par le glaive dresser le fils contre le père
Et dicter des lois où l’on vivait d’exactions.

-Tes décrets s’appliquaient à tout ce qui t’arrange
Tu voulais abuser surtout de ton pouvoir :
Il faut bien que l’on gratte où cela vous démange…
Ta probité naissait au fond des urinoirs.

-Il existait alors dans la vallée du Pinde,
Entre Oeta et Parnasse un peuple de brigands
Ils ne valaient pas mieux que quelques cochons-d’Inde
Et vivaient de rapine en dévorant des glands.

A ces hommes des bois reclus en leur province,
Comment apprendre mieux les règles des nations
Les plus civilisées qu’en enlevant leur prince ?
Minos en avait fait la codification.

Car parmi ces nains contrefaits, par quel prodige,
Il était né le plus avenant des garçons
Descendant de Dryops et d’Apollon aurige,
Un foudre de beauté à donner le frisson ;

                   Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
                   Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
                   Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
                   Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
 

Il passait pour raté, lotus parmi ces rustres,
Petit canard ingrat, si mal formé hélas,
Pour qui n’avait vu le soleil depuis des lustres ;
C’était inespéré qu’on leur enlève Hylas !

Au roi Theodamias, son père, avant la fête
J’envoyais l’armement des jeunes impétrants,
Un lourd bœuf de labour et la coupe parfaite
Qui apporte l’ivresse aux plus récalcitrants.

Pour la célébration on nous mène en cortège
Au temple mais le sol est souillé par le sang
De l’offrande qu’on mit à rôtir, sacrilège !
Les convives la guettent en se pourléchant.

L’échanson me verse sur les mains l’eau lustrale
Qui aurait du servir à me laver les pieds :
Ma colère à ce coup me monte au nez, brutale,
D’un coup de coude adroit j’estourbis l’estropié.

Une mêlée suit la confusion générale ;
Traînant Théodamias par ses cheveux pendants,
Sur l’escalier d’accès à la chambre nuptiale
Je lui tranche le cou devant ses descendants.

Puis ayant décimé ces sylphes et ces elfes
Je les conduis comme une chaîne de forçats
Pour la troisième fois au sanctuaire à Delphes,
Prêt à les immoler pourvu qu’on m’y forçât.

L’oracle refusa qu’on en fit sacrifice
Mais qu’on les expulsât du fond de leurs forêts
Afin que déportés mais soustraits aux supplices
Ils fondent des cités gagnées sur les marais.

Ce n’est qu’après deux moins d’errance par les plaines
Craignait d’imposer plus qu’il ne pût essuyer
Que je me présentais sous les murs de Mycènes
Flanqué pour bras droit de mon nouvel écuyer.

Là, mon oncle Coprée, m’apprit, qu’en sa bonbonne,
Eurysthée retiré, car à mon sang lié,
Anticipant que cette occasion fut la bonne
M’enjoignait d’aller à la chasse au sanglier.

Des Dryopes floués ayant reçu la troupe
Il leur avait offert Eion comme Arsiné,
Interdisant que nous nous mêlions à leur groupe,
Mon Adonis et moi, et tous nos asinés.

A la mort de l’hiver sur les pentes neigeuses
D’Erymanthe, aveuglé par des destins jaloux,
J’ai suivi en hurlant bien plus fort que les loups
Le sanglier géant à la lippe ombrageuse.
Celui qui ravageait par les nuits orageuses
Les sillons de Psophis où ne croissaient que clous,
Dont les crins dépassaient en haut des cyprès flous
Sur l’horizon rayé de stries fuligineuses.
J’ai couvert de poudreuse une fosse en l’étang
Où la glace affaiblie par le naissant printemps
A cédé sous le poids de la piètre nageuse,
Demi-noyée déjà groguie par le glou-glou
Du naufrage, ma proie, fracassant cet igloo
A sauté dans mes bras toute raide et fangeuse.

Mais je vois qu’apparaît un sourire incrédule
Sur les lèvres de nos exigeants spectateurs
Plus je raconte et plus la confiance recule,
Ce ladre, ce mendiant est un mauvais acteur !

On me fait grief de l’identité trop vague
Empruntée au héros quand je suis seul et vieux
Je ne suis que le sale esclave qui divague
Au carrefour, et compte pour rien à vos yeux.

Vous méprenant encor, dans l’artiste comique
Vous n’avez reconnu que le fieffé cochon
Qui gère le bordel où les soldats forniquent
Et sert le vin coupé, agitant son torchon.

Comment suis-je venu en traversant les sphères,
M’incarnant à nouveau sous vos yeux ébahis,
Moi qui suis mort depuis plus de deux millénaires,
Ne laissant sur mes pas que des serments trahis ?

Quel désir me projette au travers de l’espace
Quand j’ai gagné ma place au musée des erreurs
Et pourquoi revenir sur mes humaines traces
Quand les dieux me voulaient compter parmi les leurs ?

Sur la fresque figée de l’Olympe immobile
Bras levé pour une éternelle libation
Que ne suis-je resté, auprès d’Hébé l’habile,
Le motif étonnant de votre admiration !

Qui dans la nuit m’appelle et fait vibrer son plectre
Sur la corde sensible en long bourdonnements
Suscitant mon apparition parmi les spectres
En sonnant le réveil dans son casernement ?

Un trouffion fatigué dans sa tranchée de l’aube
Prisonnier de la boue sous les tirs de mortier
Un reclus mal nourri de pain noir et de daube
Qu’à travers le guichet lui jeta le portier.

Mais qu’un seul parmi vous désespère des hommes
Et je saurais franchir la barrière des temps ;
Je suis l’Adam premier qui croqua dans la pomme
Je suis Eve éplorée et je suis le serpent.

Les temps sont revenus que s’achève le monde
Et dressé pour la fin je suis votre mentor
Celui qui sans fierté se vautre dans l’immonde
Effrayant les puissants de ma voix de stentor ;

Toi en mieux, je suis le combat et la mitraille
A travers la vitrine de la création,
M’élevant main à main, pied à pied, je bataille
Présage de la dernière déflagration.
…………….
-Voici enfin venu le moment de l’entracte,
Chocolats glacés ou bonbons, à emporter
Pop-corn sucré, salé, mais que dis-je –dont acte,
Le maïs n’a pas encore été inventé !

L’heure s’est arrêtée au cadran de ma montre,
J’ai eu un écran bleu sur mon ordinateur
Bref j’ai pété les plombs hâtant notre rencontre
Et je suis en jet-lag stoppant mon bi-moteur…

Ah ça ! c’est tout les dieux, dans leur fringant jeunisme,
De ne plus trop savoir de qui l’on faisait cas,
Pardonnez spectateurs à mes anachronismes,
Et trinquons en mêlant le gin à la vodka !
………….
Les lumignons éteints ont plongé la taverne
Dans l’obscurité du changement de décors
Les ombres confondues aux murs de la caverne
Ne laissent que le bruit du frottement des corps.

Il semble qu’à tâtons se heurtent quelques formes
On entend le murmure des halètements
Par-dessus la rumeur parfois un cri hors-norme
Traduit le choc violent de leur contentement.

Aveugle redoutant qu’approche la menace,
Ecoutant le piétinement des spectateurs,
Pensant qu’on va venir nous séparer, j’enlace
Mon compagnon de geôle d’un bras protecteur :

« Avant que le rideau ne tombe sur la pièce »
J’ai dit « Frère il est temps d’offrir au fiancé
Cet anneau inviolé que j’ai entre les fesses,
Je suis prêt à danser dessus ton balancier.

Avant que les premières enchères s’annoncent,
Entre d’un coup de rein dans le couloir étroit
S’il en jaillit du sang et que je crie, enfonce !
Car je veux le premier t’en concéder le droit.

Allons sans plus tarder arme-toi de courage,
Nul ne meurt qu’on lui entre au fourreau ce poignard,
Dans mon cul déchiré viens épancher ta rage
Et je t’élargirai de mon pieu revanchard.

A l’intérieur de moi coule-toi fort et ferme
Que chacun puisse voir comme l’on m’a baisé
Que s'échappe en ruban du trou béant le sperme
Qu’y a laissé la queue qui m’aura déniaisé.

Qui souffre de nous deux le plus, quoi que je dusse
Tendre à tes coups ce fion qu’on n’a jamais ouvert
Cela vaut-il le feu qui brule ton prépuce
En t’étranglant le gland dans mes poils à l’envers ?

Amour achève en moi ta violente tâche
Que je libère en toi ce que tu m’as donné
Il faut que promptement dans mes boyaux tu craches
Sans que j’explose en trois sursauts désordonnés.

C’est à toi maintenant, le devoir te retourne,
Présente-moi ton cul, ouvre sans résister,
Pousse fort, attention car dans l’instant j’enfourne,
Mords dans mon bras plutôt que te manifester.

Fais-moi honneur frérot en gardant le silence,
Je connais la douleur qui t’a plié en deux
Tandis qu’à ton oreille je chuchote, pense
Que c’est le mal d’amour qui te paraît odieux.

C’est pour te protéger que sans délicatesse
Je laboure ta chair avec brutalité,
Pour qu’aucun autre après prétendre entre tes fesses
Avoir pris le trophée de ta virginité.

Frère, tu es pareil à moi quand je t’encule,
La rose de ton con prend mon gland comme un gant,
Les lèvres de l’anus me font un réticule
Où je cogne en forçant à l’envi sans onguent.

O céleste jumeau dont l’intestin vorace
Réclame que la vie se répande en rampant
Dans l’humide redoute où ton anus m’enlace
Dont chaque poil dressé me caresse en passant.

Le jus de ta jeunesse inonde mon étrave
Je suis ouvert comme la corolle au bourdon
Dans ma cire amollie ton stylet d’acier grave
Des vagues du désir l’improbable cordon.

La hampe du fuseau où le fil s’accumule
Comme un sabre me fend sous ton corps de vainqueur,
Tu me cabres cheval léger sous ta férule
Ta queue dans mon colon hoquète en haut-le-cœur.

Baise, j’ai de nouveau les cuisses à l’équerre,
Mon chibre se redresse à sentir les détours
De ce nœud que tu tisses dans ma bouche arrière
Patiemment construit comme une lettre d’amour. »