mercredi 25 octobre 2017

I.M. Zelimkahn Bakaev

Si seulement tout ceci n'était qu'une fiction!

I.M. Zelimkhan Bakaev

https://www.youtube.com/watch?v=79azfAFLCHk




Dans son bureau de Grosny, en présence d'un Imam  légitimant la conformité à l'islam des nouveaux décrets sur le port du voile et la lapidation des femmes soupçonnées d'adultère, le président Kadirov reçoit le chef de la police, Magomed Dashaev. :
- Il faut détruire le camp d'Argun.
- Nous avons déjà nettoyé les caves de l'orphelinat des sourds.
- Nous allons prouver à la presse étrangères que les échappés mentent, ils ne doivent trouver qu'un camp de ruines où les graffitis écrits avec le sang des prisonniers et les restes humains resteront enfouis sous les gravats.
- Nous avons ouverts quatre nouveaux centres de détentions, mais les sous-hommes sont de plus en plus nombreux à y être confinés. Certaines familles à qui nous les rendons hésitent à laver leur honneur dans le sang. Nous avons besoin de la base d'Argun.
- Je vous ai donné Murad Amirev, votre champion de lutte, j'ai utilisé mes relations pour le faire arrêter dès son passage en Ukraine, pour le faire extrader de Biélorussie ; vous n'avez même pas été capable de lui faire signer le document accusant son frère d'avoir comploté contre vous.. Vos hommes perdent la main ?
- Nous l'avons torturé 83 jours menotté au plafond, battu à coups de barre de fer appliqué les décharges à ses couilles -nous pouvions lui toucher les organes génitaux sans nous salir, il n'était pas homosexuel. Nous avons utilisé les même type d'humiliation, il n'a mangé que ses excréments, nos restes sur lesquels nous avions pissé, on lui a donné des doigts coupés à ronger, les officiers ont joué au foot avec son corps. Après plusieurs simulacres d'exécution, à part lui couper les oreilles, on était à bout de moyens de persuasion, et on ne pouvait pas puisque vous vouliez le retourner pour la propagande.
- Et il fallut finalement organiser ces interview officielles pour qu'il démente tout ce qu'il avait craché aux médias occidentaux. Je pense que vous n'êtes plus l'homme de la situation .
De colère, Ramzan Kadirov bourre de coups de pieds la petite fille qui le suçait sous la table. Il se tourne vers l'Imam et ordonne :
- Amenez-moi la suivante, celle-là n'est plus bonne à rien. Et à Dashaev :Mettez là à la fosse.
L'Imam embarrassé, hésite :
- Et quoi ? Vous nous marierez comme les autres, j'ai bien le droit de me débarrasser de mes femmes. On n'a pas rétabli pour rien la polygamie dans ce pays, bordel ! Faites passer cette note à Karimov.

Alvi Karimov le porte-parole du Guide Suprême, déclare. « La paix est revenue en Tchétchénie, le terrorisme a été éradiqué, les gens mènent à nouveau une vie normale, c'est ça qui dérange les services américains. La moitié des peuples du monde s'étranglent dans le sang à cause de votre prétendue démocratie ; Vos organisations de défense des droits de l'homme sont un sommet de l’hypocrisie. En Tchétchénie, c'est la loi qui règne. Ceux qui la violent répondent devant elle.
- Mais, dit poliment le journaliste canadien, l'homosexualité, entre adultes majeurs n'est pas officiellement un crime dans la Fédération de Russie.
- Tous les rapports à ce sujet ne sont que des mensonges et de la désinformation, pour la bonne raison qu'il n'y a pas d'homosexuels en Tchétchénie. Et s'il y en avait, les autorités n'auraient pas à s'en occuper, parce que leurs familles les enverraient dans un endroit d'où on ne revient pas. Si vous suspectez qu'il y a encore de tels animaux, donnez-leur des passeports. On vous les vendra volontiers !
Tel avait été aussi la première proposition de Goebbels avant le génocide, vendre aux occidentaux les juifs et les dégénérés (il y avait même eu des annonces officielles dans les journaux) mais comme personne ne voulait les acheter, et puisqu'ils ne valaient rien, il avait bien fallu trouver une solution plus expéditive.
Kadirov lui même, interviewé par David Scott sur HBO clama en écho : « Il n'y a pas de gens comme ça ici. Pas de gays. S'il y en a, prenez les au Canada. Si Dieu le veut. Emportez-les loin de nous, qu'il n'en reste plus un seul chez nous. Pour purifier notre sang, s'il en reste, prenez-les : »

Invité au Kremlin pour renouveler son allégeance au pouvoir central qui l'a placé à la tête de l'état, Kadirov pleurniche devant Putin sur ces accusations qui reviennent au moins deux à trois fois par ans et qui salissent la réputation de son merveilleux pays où les hommes sont des hommes, battent leurs femmes et tuent leurs fils déviants, de façon à ce que la honte ne rejaillissent pas sur leurs frères, les empêchant de se marier par peur des mésalliances. Le porte-parole du Tsar de toutes les Russies déclare à la fin de l'entretien officiel que tous les témoignages de violences et étant faits sous couvert d'anonymat, ce ne sont forcément que des tissus de mensonges. Une fois les caméras coupées, il ajoute ; « les morts ne parlent pas, faites un effort pour surmonter votre dégoût et réglez les problèmes en silence !» Kadirov s'incline et répond « Si Dieu le veut : » Il rappelle sa promesse de livrer gratuitement quelques milliers de tonnes de pétrole de plus, des bataillons de vierges pour les politiques influents, même des garçons si on en veut, ça débarrasse.





Zelimkhan Bakaev était déjà une petite star avant même d'avoir atteint l'âge de 20 ans. Profitant de sa popularité naissante, Ramzan Kadirov s'était même fait photographier en sa compagnie, arborant tout de même un sweat-shirt Fight Club pour ne pas trop faire trop homophile. Malgré le succès qui l'avait amené au sommet des charts en Russie, les choses se sont peut à peu gâtées. Un si beau garçon, si sensible,  ne pouvait pas être totalement hétérosexuel. Sur la base de soupçons fondés sur le piratage de son portable et d'autres pistages informatiques, et peut-être aussi parce que son nom revenait dans la bouche des pédés torturés à qui on demandait les noms de leurs congénères, il avait fini par être interdit de scène en Tchétchénie.


Il comptait assister au mariage de sa sœur, le 8 août 2017, muni d'un billet de retour pour le 11. Trois heures après son arrivée à la gare de Grozny, il tomba dans une embuscade, et fut enlevé par un groupe d'homme habillés en militaires. A partir de là ; on ne sait plus rien ; il est à supposer que comme les autres on lui mit un sac sur la tête pour le bourrer de coup de crosses, on le livra à d'autres prisonniers pour le battre à mort affublé d'un nom féminin -les hommes de là-bas préfèrent ne pas se salir directement les mains - moins qu'ils ne l'aient selon leur coutume achevé à l’électricité car il survécut dix heures aux bons soins de ses tortionnaires. Il avait 26 ans.

Kadirov, chien de l'enfer, porc infâme souillé de ta propre merde, faire des martyrs n'est jamais à sens unique. Au lieu de mourir pour rien sous la torture, il se lèvera un jour un pédé oublié -car, contre toute attente, ils se reproduisent – un insoupçonnable ami russe, un militaire humilié, un garde du corps qui tapissera les murs de ton palais de ta cervelle. Il suffit d'une balle. Si Dieu le veut ! Souviens-toi de Kannegiser et Uritsky. Il suffit d'un peu de sang contaminé, et tu vas en recevoir des litres qui finiront bien par t'exploser dans les yeux.




J'aurais dû tenter de raconter l'histoire du point de vue de la victime ; mais je n'ai pas pu. Je ne pouvais adopter que le point de vue des rouages et des mécanismes mentaux qui l'ont écrasé, parce que je les connais, je peux en imiter la sauvagerie. Lui, a-t-il seulement compris qu'ils allaient l'exécuter, et quand ? Son corps a compris, vite je l'espère.Eux ne sont que le reflet du quotidien, d'une expérience qui va se poursuivre et s'étendre si nous ne nous levons pas contre elle, si nous n'utilisons pas contre eux le poison qu'autrefois ils ont introduit en nous. Ici, dans l'occident paisiblement fasciste des lois laïques (jusqu'à quand) nous nous croyons tranquilles, comme il l'aura cru avant que les services effacent ses traces et fabrique des faux comme à la plus grande époque des totalitarismes.

Nous nous leurrons, nous sommes les prochains : à moins d'avoir leur peau, mais le temps est compté.


Comme le reste de ce que j'écris, tout le monde s'en fout. Tant mieux!
Bonne vie dans l’indifférence.


samedi 21 octobre 2017

P(r)OSES

Considérant que personne ne lit; je peux utiliser ceci comme ma sauvegarde, même si ça n'a rien à faire avec le projet de départ? Il reste un certain désordre dans les retraits pas forcément faciles à retranscrire ; considérez que tout devrait respecter la même marge, du début à la fin.















P( R ) O S E s

Poèmes 1976-2006









© Ann Audin édition







I- L’ETE MARIN

FEUX



1. Le vent viendra
Il aura chassé le soleil
Et jusqu'à l'ombre du soleil dans tes yeux clairs
Son image inversée
Le vent viendra bientôt

Le vent viendra
D'abord un souffle sur la mer
Le vent viendra
De mer sur les sables des grèves
Sur les galets polis sur juin sur tes étés
Sur ton corps tes désirs
Le vent viendra sans doute
Sur tes bras alanguis dans la chaleur par août
Dans ton sang plus rapide aux plaisirs de la vie

J'ai quitté la cité par un matin pareil
A tous ceux où je t'avais appelé en vain
Alors demande encor qui je suis
Je l’ignore
Je t'appartiens
Demande encore et je dirai
Solstice du désir je n'ai pas de visage
Je suis l’esprit du vent
Je suis
l'été marin


2. Dans ma chambre d'enfant de petit garçon seul
Effrayé par le noir
Des ombres de tendresse viennent me hanter
Et tous ces grands amours que j'ai vécu rêvant
Toujours de mon côté

Il plane des odeurs salées de long silence
Dans le bruit de la mer
Feux de paille envolés en fumée sur l'enfance
Et son jardin désert
Que je voudrais pouvoir peupler de ta présence

Puisque devant mes yeux qui se ferment de fièvre
Et de sommeil
Je vois images floues arrachées à mes livres
Des villes d'Italie peut-être
Et les pays marins que baigne le soleil

Puisqu'il est temps d'ouvrir les yeux sur l’univers
De réveiller mes sens abusés par l'hiver
Et de sourire
Sur la nuit qui s'enfuit d'un trait je crois inscrire
Mon souffle sur ta peau comme un chant du désert




3. Dans ce jardin des souvenirs
Les allées croisent leurs détours
Pleines d'histoire à venir
De voyageurs en mal d'amour
Et de chansons pour l'avenir

Les marronniers y refleurissent
Au terme des mortes saisons
Les herbes malades jaunissent
Les amoureux sur les gazons
Se lancent des regards complices

Au théâtre de marionnettes
J'appris la vie comme un vieux truc
Gesticulant sur la scénette
Je mimais des rôles caducs
Qui finissaient en chansonnettes



4. Mon enfance est douce comme un enfant mort
Je fais son élégie à l'orée d’un autre âge
Je ne veux plus me pencher sur elle
Il ne faut pas la réveiller
Ses jouets sont brisés
Renversés ses châteaux de cartes

Au rythme des chevaux de bois
Sur lesquels on ne monte plus
Avec ses obsessions elle s'est enterrée
Je la hais comme on fait des êtres qu'on désire
Mon enfance est triste comme un enfant sage
Et je la hais de sa sagesse

Mon enfance est sombre comme un enfant roi
Au destin de despote
Qui n’a de distraction que voir tomber les têtes
Dans la rumeur blasée des rires courtisans

Mon enfance est malade et je la vois mourir
Je suis le meurtrier
Je tisse le linceul comme un drap blanc de fête
Qui ne s'agite plus Je suis l'infanticide
Je hais l'enfant de mon enfance
Je souffre de sa voix qui ne sait plus se taire
De son corps putréfié que décharne l’hiver

Mon enfance est obscène comme un enfant mort



5. Les immeubles terre de sienne
Les briques rouges
Du dispensaire
Piscine Station sanitaire
Paris un bouge

Je regarde aux fenêtres
Tout un long jour en pure perte
Je veux célébrer une messe
L'amour le vin le reste

Tout ce qu'on n'aura plus
En vain
Je veux que tout amour soit bu

Nous roulions à toute vitesse
A rebours de la nuit vers l'est
Dans l'aura de fausse verdure
Le sifflement bref des voitures
Musique douce un air anglais

Parle-moi les nuits agonisent
Les mouches bleues dans l'air se grisent
Les regrets vont au vent moqueur
Les feux de la Saint-Jean brûlaient
Un jour plein sur fond de légende
Idyllique pour qui rêvait
De beaux souvenirs à revendre

Jamais je ne dirai je t'aime
Entre nous les heures se glissent
Pour un dernier baiser
Le bel emblème
Bannière sous qui se quitter
Solstice


6. J'envoie messagers dans le vent
Ces caboteurs pâles étoiles
Bateaux de louage au levant
Qui hissent de fragiles voiles

Pour ma mémoire qui poursuit
L'image du garçon brun-blond
Sur les rochers dans le midi
Au sud où la terre sent bon

Le feulement chaud du mistral
Comme dans mon cou son haleine
Regrets sur le jour estival
Souvenir doux comme la peine

7. J'ai regardé le soir en face
Pas d'étoiles qu'un bleu profond
L’air froid arrêtait les chansons
Et je me suis vu dans la glace
Mon amour nous nous oublions

Je passais dans le temps sans vivre
Passager pour mon avenir
Non les mois me faisaient vieillir
Dans l'exil au milieu des livres
Sans jamais pouvoir en sortir

Mais la bête était là obscure
Tapie dans mon ombre ou en moi
Son souffle était chaud j'avais froid
Et dans les plis de sa fourrure
J'ai laissé reposer mes doigts


8. Sois tendre nous ne durerons
Pas plus que n'ont duré les autres
Ces amours n’ont qu'une saison
Pourquoi accorder plus au nôtre

Sois doux Demain est déjà là
Où nous irons porter nos peines
Solitaires vers d’autres bras
Tristes Mais à chacun la sienne

Sois beau surtout pour nous laisser
En guise de cadeau l’image
De nos vingt ans mal démêlés
Et puis nous tournerons la page







9. Va petit passe ton chemin
Va-t-en je t'aimerai demain

Ce soir j'ai l'âme aux découvertes
A lire aux livres d'avenir
Ce soir j'ai l'âme à repartir
Tu ne viendrais qu’en pure perte

Va petit passe ton chemin
Va-t-en je t'aimerais demain

Ne penche pas sur mon épaule
La douceur à redécouvrir
La nuit balaiera nos désirs
Je sais encor trop mal mon rôle

Même si tu es celui-là
Qui tend la main depuis des lustres
Dis-toi que je ne suis qu'un rustre
Que je ne te mérite pas

Console-toi si le temps presse
On s'est attendu si longtemps
Alors qu’importe maintenant
Que j’aie ou non changé d’adresse
Va petit passe ton chemin
Va-t-en je t’aimerai demain

Ce soir il faut des déchirures
De grand adieux de faux départs
Des passants croisés au hasard
Et le piment de l'aventure

Va petit passe ton chemin
Va-t-en je t'aimerai demain










10. Ce soir j'ai rencontré celle qui te ressemble
Il pleuvait j'étais seul et je l'avais suivie
Je lui ai pris le bras
Nous n'avons pas parlé
En nous rendant chez toi

Je voulais seulement
La coucher sur mon torse en pétant ton nom
Pour sentir sous son poids combien ton corps me pèse

Et ses cris dans l'amour qui imitaient les tiens
Ses mains qui se crispaient sur mon dos tout soumis
Et ton regard inquiet sous la pluie qui. s'arrête
Qui lançait des défis aux lits nous dormions
Qui disait "je ne t’aime pas"
Mes mains sur sa nuque aux cheveux ras
Ployée pour que je la caresse
Ton silence étonné

Ce ne sont ni les boulevards huileux les flaques
Ni les visages de indifférents qui m'affligent
C'est savoir que je peux aussi dans d’autres bras
Jouir des mêmes étreintes

Toi qui crois que la nuit est pleine de romances
Et des flons-flons des bals
Tu vas dormir sans moi
Maintenant tu vas t'endormir sans moi
Et le soir sur le soir refermera sa boucle


11. Que je regrette Montréal
Où je n'ai jamais mis les pieds
On voit dans l’eau des sabliers
S’effriter les carnets de bal
Avec les scories du passé

Que je regrette Montréal
Le jour je disais "je pars"
Il est des pays pour plus tard
On pouvait se quitter plus mal
Que de s’en remettre au hasard

Je regrette le grand canal
Des lacs qui s'épousent là-bas
Près des chutes du Niagara
Que je regrette Montréal
Sans connaître le Canada

Voilà le chagrin hivernal
Des glaces qu'on n'a pas ici
Tes pas sur la neige Ciel gris
Que je regrette Montréal
Sans connaître votre pays




12. C'est l'automne Les grillons sont venus
Dans cet ardent jardin paradait l'été
Hanté par le fantôme évanoui d'un homme
Qu’un souffle emporta nu tel un papier froissé

Le soleil est moins chaud Un songe qui s’éteint
Sans qu'on en ait eu la saveur
Les charmes se brisent trop tôt
Aussi
Plus vite que s'éteint la flamme dans nos cœurs

La brise au gré des vagues
Disperse les voiliers
Plis déchirés morceaux d'amour
Comme le vent infidèle divague
Chaque mot est le dernier
Toujours
























PLUIES



1. La pluie sur mes carreaux ruisselle et se reforme
Sur les montants de bois tristes comme l'oubli
Voilà
C'est la saison des pluies sur ma mémoire

Un chant a capella naissait de mon silence
Mimant la voix de celui qui m’était promis

Pareil aux amoureux latins j'allais de nuit
Au seuil des maisons de mes amants de passage
Surveiller si personne ne profitait
Du refus que l'on m’avait fait
Sous leurs fenêtres
J'épiais de loin les lumières vite allumées
Trop vite éteintes sur deux ombres découpées
Derrière les volets cassées dans leur étreinte

Et le vent balayait la terre avec son souffle
Un grand vent niveleur oui charriait les maisons
Qui sifflait en riant au travers de ma tête



2. En ce temps-là on s'essayait à l’inconscience
Pour mieux oublier que demain nous attendait
Dans le fond des cafés on bravait l’espérance
Devant des demis frais qu'on avalait d'un trait

Les bars faisaient fortune avec nos désespoirs
Avec l'entrain mitigé de nos soirs d'ivresse
L'alcool qu'ils nous vendaient était mauvais à boire
Et nous nous écœurions du vin de la tendresse

En ce temps-là j'avais dans les yeux les lumières
Écrasantes mais ternes des cours de lycée
Tous mes buts un à un me devenaient précaires
Mon passe-temps c’était de savoir m'ennuyer





3. Mes cahiers d'écolier étaient remplis de toi
Mes cahiers d'écolier où naissait la tristesse
Déjà je te faisais de stériles promesses
D'un amour partagé sous de tremblantes lois

Mon amour tout pouvait si bien nous réussir
’aurait été si beau que d'avoir le même âge
Si bien de se comprendre quand même visage
Nous étions deux moitiés d'un corps à réunir

Cour nue journée sans heurt On rentre C'est septembre
Lueur blafarde de faux cloître Plâtres morts
Les années s'écoulaient dans le même décors
Je me terre le soir dans un coin de ma chambre




4. Je t'emporte avec moi au centre de la ville
Ma cité écrasée sous le poids des sarcasmes
Aux couloirs sous-terrains parcourus de fantasmes
La toile d’araignée des avenirs hostiles

Aussi bon gré mal gré c’est toi qui m’accompagnes
Et fier de te guider je relève la tête
Les rues se sont peuplées de musiciens en fête
Aubade en liberté pour qui sortait du bagne

Où te cacheras-tu quel corps et quel visage
Chercherai-je à piéger hors des pages d'un livre
Je ne rencontrerai que des baladins ivres
Murés dans leur présent dépourvu de langage

Tout le ciel s'est figé sur la nuit fugitive
Des astres pâlissaient plus loin que la lumière
Soudain je contemplais le mouvement des sphères
Dans des horizons qui brisaient les perspectives

Je rêvais sur un banc glacé par la nuit blanche
Souriant vaguement dans un froid de carême
Je parlais de t'emporter loin dans mes poèmes
Au sein d'un monde à part
et nous étions dimanche







5. Quand je serai parti tu oublieras l'amour
Bagage inutile en voyage
Tout chagrin n'est que bref passage
Notre histoire avortée ne vaut pas le détour

Je ne suis pas l'amant je suis l'autre en toi-même
Et toi ce promeneur loin égaré
Le hasard nous a rassemblé
Je pars en emportant la moitié d'un poème

Mon pâle espoir les contes n'ont jamais de fin
Les rêves pas plus de morale
Reflet dans ta glace idéale
Le miroir nous détruit quand approche demain

Là nos désirs ne règnent qu'en un monde opaque
Et nous étions trop transparents
Silhouette au soleil levant
Nos doubles de papier comme les drapeaux claquent





6. Ce soir j'ai découvert que rien n’avait changé
La nuit conduit toujours ses blancs traîneaux de rêve
Vers des pays fantasques jamais explorés
Sans horizon pour arrêter nos courses brèves

Et de nouveau ma fantaisie sait recréer
Un instant entrevue la forme des visages
Les regards et les corps patiemment désirés
Oh qu'il est beau l'amour dans mon songe en voyage

Chaque vague brisée l'écume de demain
Passagers de la nuit voilà tous nos mystères
Nous avons cheminé un temps main dans la main
Buvant dans le sommeil ce que le jour doit taire

Je voulais réchauffer ma douleur à tes yeux
Ce soir il y avait de grands lacs sous la neige
Les mots étaient faciles j'étais amoureux
Dans le ciel bleu et blanc volaient des sortilèges





7. On m'a dépossédé Nuits bleues tristes solstices
Juin vous avez planté avec le souvenir
Dans ma vie au rabais de falots réverbères

Je me suis adossé au mur blanc du silence
Des restes de tableaux Des bribes de journaux
Accrochés aux clous déformés des amours neufs
Et puis je ne sais plus
Je ne me souviens pas

Dans les chemins bourbeux nos empreintes la trace
De ton appel au loin étouffé par les ans
Et moi dans les débris de nos palais brisés
De nos miroirs jumeaux comme des lits de noce

Arabesque d'un nom impossible à tracer
Inutile à rêver Idéal Puéril






  1. Ici pas plus qu'ailleurs il n'y avait de grilles
Mais dans la nuit polaire où tout disparaissait
Je cherchais de nouveaux geôliers dans d'autres mondes
Lisant à la lueur des lampes électriques
Comme un enfant en faute ouvrant dans le secret
Et l'abandon de tout les livres interdits

De la gloire déçue je m’inventais l'amour
Dégouttant de mon mal je t'écrivais des lettres
Un cahier tout à toi bleu au fond d'un tiroir
Fermé à double tour mes journaux à l'index

Dans ma chambre au secret la vérité s'estompe
Le réel est flottant plus encor que le songe
Et dans le corps je n’ai pour ombres tutélaires
Volutes inspirées des fables du désir
Déformés par l'hiver qu'éphémères visages
Je ne survis charmé du jeu de mes mensonges
Que dans le songe creux de vies imaginaires









LE PONT




1. Comment dresser un pont entre ce que je fus
Ce que j'ai cessé d’être
Ce que le vent apportera demain
Puisque éternellement je mourrai pour renaître

Et comment modeler ses arches de mes mains
Avec l’argile humide
Sur ce sol décharné aux silhouettes nues
D’arbres gelés à cœur au sein de nuits arides

Comment pétrir la terre en étant moins que glaise
Vouloir bâtir des voies sur l'eau
Tracer des routes dans le ciel Rester rivé
A l’espace à l'instant au jeu du vide en haut



2. Demeurer ce fantôme
Le promeneur qui se souvient du lieu
Rue Cortot sur les maisons basses
Alors que dans le ciel les projecteurs déjà
Cherchent dans les nuées les oiseaux militaires

Je n'ai jamais franchi les portes de la ville
Le ghetto de ses rues c'est mon pays d'enfance
Et les auras des réverbères
Sur les tons chamarrés des habits des civils
L'unique souvenir en moi de la lumière

Ce fut en plein midi que cela nous frappa
Ce jour si éclatant que j'en devins aveugle
J'ai encor dans le cœur l'aboiement des sirènes
Les hommes étalés dans l'asphalte fondu
Et la nuit qui suivit chaude comme un été

Dans ma cave je n'entendais que leur rumeur
Et le bourdonnement des vols irréguliers
Puis le silence froid sur nos douleurs
Comme lorsque la mer bien loin s'est retirée



3. Au bout du pont finit l'histoire
Il suffit de passer la rue
Que donnerai-je pour un soir
Pour des peines d'amour perdues

Au bout du pont sur l'autre rive
Où tu n'es plus qu'un corps sans feu
Un tronc coupé à la dérive
Dans l'eau grise sous le ciel bleu

Et tout le temps de ma jeunesse
Au gré du courant sur la barque
Vide divague au vent qui tresse
Les blancs môles d'où l'on embarque




4. Jusqu'à ce soir je garderai
Le goût de tes baisers d'adieu
Au fond du cœur au fond des yeux
Et demain je nous oublierai

L'odeur de ton corps sur mes draps
Et de ta sueur sur ma peau
Le sel de la nuit de nos mots
Rien entre nous ne renaîtra

Je vais m'endormir l’âme égale
Déjà je te parle de loin
Et ton ombre a passé le coin
De la rue Tu es en cavale



5. Tu m'as cherché longtemps sous les néons des villes
Longtemps tu m'as suivi dans l'entrelacs des rues
Essayant de laver la tache indélébile
De mon départ de ta venue

Tu m’as cherché longtemps égaré en toi-même
Longtemps tu m'as suivi dans l'aura des miroirs
Comme je te perdais à l'envers du poème
De mon désir de ton espoir

Mais nul reflet de nous qu'en des patries de rêve
Citadins enchaînés aux miracles faciles
Vie docile
Vie brève

Les étoiles sont loin dans nos ciels clairsemés
Nous mal enracinés dans la finitude
Solitude
Secret

Déchire les images
Les bars qui te retiennent au bord du voyage
Les passants enlacés qui traversent les ponts
Et puis moi-même au fond
Qui ne suis que ce nom entendu au passage




6. Dans la boue de demain dresserons-nous des gerbes
Les soirs de casino où l'on a trop joué
Nous ces corps disloqués comme phrase sans verbe
Les signes des prisons sur nos bras tatoués
Dans quel bouge égaré boiras-tu jusque l'aube
L’œil hagard sous l’opium soulevé de hoquets
Désespéré et las vêtu de pauvres hardes
Sans toit pour les nuits à venir

Tu traverses l'allée aux arbres parallèles
Tu respires l'odeur de l'argent sans frais
Des soldats en virée te rouent de coups de bottes
Tu roules sur le pavé noir de la ruelle

Dans les pas qui s'enfuient tu reconnais le mien
Tu titubes le long des escaliers de pierre
Vers le port et ses bars où jusqu'au soir prochain
Tu te prépareras à notre rendez-vous

A l’odeur d’amande âcre et amère
Du sol mouillé et de la boue sur ta chemise
Au long déchirement des mondes qui s'éloignent
Au rire dégrisant de ceux qui s'en iront



7. Va c'est le dernier jour les thrènes vont finir
Le chariot de l’an mort dissoudra ses étoiles
Et la nuit de nouveau fera sa brèche en toi

Et puis les voyageurs attardés dans la ville
Auront la même ivresse des temps qui s'achèvent
Ils brûlent les regrets sur l'autel de l'an neuf
Ils jettent les douleurs de la séparation

Comment passerons-nous le pont
Moins boiteux moins rompus des retombés du rêve
Moins comédiens plus oubliés plus silencieux
Indifférents peut-être aux clameurs du parterre

Mais le jour à venir ne nous suffira pas
A étancher la soif Nous perdons l'équilibre
Le monde ce matin ne recommence pas

Je sais déjà la facilité de cette nuit
Les adieux et les abandons
Et puis le reniement à la pointe du jour



8. J'avais cessé de croire au pouvoir des fétiches
Aux mots vides de sens qui meublent nos discours
Aux illusions floues de l'amour
Au jeu des vérités malgré soi l'on triche

J'allais l’esprit ouvert à toutes les rengaines
Fort des chansons qu'on m'avait apprises trop tôt
Menant mes chevaux au galop
Pour emballer mon cœur qui restait à la traîne

Je m'écrivais des contes de pâles légendes
Tout ce qui pouvait mettre entre la vie et moi
Profond comme un acte de foi
Le rideau de fumée que les rêves sous-tendent

Je t'appelais toi qui naissais de mon poème
Et j'attendais béant ces tristes vérités
Créées par notre identité
Par ton image à peine arrachée de moi-même

Je ne savais pas que j'invoquais des fantoches
Mon trésor personnel égoïstement clos
Depuis j'ai tout jeté à l’eau
Magicien sans talent j'ai retourné mes poches













SABLES




  1. Que la sève s'écoule entre mes poings ouverts
Sablier des amours où la nuit fit son lit
Collines étirés d’un instable désert
Sur les décombres dans ma mémoire écrits

J'ai besoin des degrés rompus des pierres hautes
J'ai besoin de tes nuits qui déplient le passé
Et des flancs du volcan sous un ciel d’Italie

Sur quoi ouvriras-tu toi la porte des cendres
Quel monde au sud du sud bat fort sous tes allées
Oh seulement si ce matin je m'en allais
Au sud du sud au cœur du cœur descendre

Oublie le soir oublie la nuit oublie l'aveu
Jette du sable dans les feux
Les brasiers vont bientôt mourir
Je n'avais voyagé que sur le souvenir
De moments mal vécus dans des chambres à deux

Autrefois il y a bien des ans
O tristement parés
Nous aurions promené sur les forums en ruine
Notre mélancolie de touristes blasés
Mais maintenant la nuit pareillement s'achève
La longue nuit des pierres où l'oubli froid te vint




2. Parle-moi de la voix des vieux soirs
De la voix modulée et grave de l'été
Avec des mots trop pleins pour dire l'essentiel
Dis-moi les banalités de l'amour
En inventant le mot nous comblerions l'abîme

Enivre-moi d'alcool de musique et de nuit
De pluie sur mes carreaux et du bruit du bois sec
De vœux proscrits par la longueur de notre deuil
De peines étranglées qu’un seul espoir consume
Transporte-moi
Sous les soleils finissants Dans l'ambiguïté
Des parfums de verdeur
Dans la paix des matins d'avril
Dans ce que ces matins sont dans mon souvenir
Une berceuse murmurée aussi facile que nous
Le chant des oiseaux morts qui gonflait les buissons
Le long du pré du premier amour






    3. Je m’éveillerai dans la forêt indispensable de l’été
Plus la nuit sera claire
Plus je serai frappé de la splendeur des arbres

Je mangerai des baies qui sentiront l’anis
Le genièvre et la forte bière
Et alors me croyant dans des contrées connues
Je prendrai le chemin qui s'incline

Sans m'arrêter au seuil de la maison de bois
J'ouvrirai la porte en disant
La vie n'a pas changé
Et je m’endormirai jusqu'au prochain orage




4. Dans la maison carrée dans la maison blanche
Où j'écoute la nuit agiter ses reproches
Les cris des animaux emprisonnés
Je remue souvenirs proches entassés
Dans des malles fermées à clef
De brûlants étés des dimanches

Dans la maison blanche la maison carrée
Le jardin d'hiver a cédé la place
Aux parterres mal arrangés
Et le parfum des fleurs coupées
Aux senteurs des herbes fugaces
Romarin thym sauge et laurier

Dans la maison blanche un jour retourner
Habiter les lieux où l’on a erré
Vivre les nuits des jours trop chauds
Parler à mi-voix du repos
De la lumière prolongée
De l'ordre des palais apparus sur la mer





5. Dans cette solitude extrême
Dans cette nuit où je t’attends
Échauffé par le moindre chant
Où par deux fois l'on dit je t'aime
Dans cette nuit de sable blanc
De spectres ruisselants et blêmes
Sous le ciel traversé de gemmes
De feux de Bengale au levant
Je crierai inlassablement
Lançant les mots comme l'on sème
Sans prendre garde à tous les vents
Cris dans l'amour noms de baptême
Les prénoms mêlés des amants
Dans cette solitude extrême
Dans cette nuit où je t'attends
A chaque moment différent
Autre et pourtant toujours le même








6. S'accouder à l’auvent de la maison
Pour écouter le bris irrégulier des flots
Et croire aussi
Que ce carré de sable entre l'herbe et la mer
Serait comme la propriété du cœur
Un coin d'exil et de patrie
Loin des maisons de Dieu et des villes des hommes

S'accouder à l'auvent de la maison
Sachant qu'on n’arrêtera pas la chaîne
Que la nuit nous charrie comme des troncs coupés
Contraints de ne laisser que bouts de prose morte
Les fils enchevêtrés de l’inachèvement

S'accouder malgré tout à ces piliers de bois
Pour écouter le vent transporter les déserts
Couvrir de sable fin les reliefs de la table
Où je pris avec toi notre dernier repas
Ce plateau tailladé à nos chiffres
D'où ne montera plus la fumée des thés chauds

S'adosser au pilier pour observer au loin
Les brumes se former sur ce qui fut des îles
Ces murs trop fins ne passeront pas 1’été

Des visages encore
Photographies devant la mer
Fenêtres sur le monde à l’envers et ses rues
Fenêtres s'accouder pendant le long hiver
A l’auvent de la maison
Sous le soleil voilé
N'ayant plus faim pour le prochain repas
Jouant à des jeux vains tant que dure le jour




8. La rose des sables


Dessine-moi
La plage l'horizon et la ligne des dunes
Obscurcissant la mer et les arbrisseaux secs
De l'été Sous un ciel à l'orage La lune
Les astres De nouveau le matin comme un soc
Qui laboure les restes des secrets du soir

Un court bateau chargé d'une voilure épaisse
Un navire romain armé sur ses deux bords
La route des frégates au loin qui s'efface
Le chemin poussiéreux qui descend au rivage

Tout de ce que l'instant s'efforçait de détruire
Dans le bruit du ressac sur le silence épais
Le dormeur innocent de ce jour à construire
Sous la lumière oblique effleurant ses paupières

Son corps abandonné sur les rochers crayeux
Solaire et déroulé comme un serpent des sables
Blond aux yeux noirs venu d’un nord hypothétique
Dessine tout ce qui reste indéfinissable


(Il s'éveille)

Un feu vivant jusqu'ici a brûlé dans l'ombre
Sur la plage aux rencontres
Par l'été démultiplié
Partout quand nos jours étaient sombres

Si la nuit m’accueillait la chaleur était pauvre
Aucun bras n'entourait mon cou ni mon épaule
Le seul souffle qui ressemblât à une haleine humaine
C'était la brise qui pérorait

(Il tend le poing)

Comme un chant oublié sur les lèvres des hommes
Comme un hymne amputé au creux du souvenir
Je voudrais identique à l'océan mourir
Et renaître sans cesse à tout ce que nous sommes

Quand tu me promettais des côtes des falaises
Des routes ignorées divertir nos jours
Des calvaires aux croix des chemins de l'amour
Nos songes s'effritaient comme mottes de glaise

J'étais destiné à traverser des rivières
Triste chaland passif à promener l'ennui
En écoutant de loin se perdre dans la nuit
Le hurlement des flots qui dépeçaient la terre



(Pour se rendormir)

Alors si tu me vois regarder vers le large
Laisse vaguer les coques de noix de mes rêves
Elles couleront comme une bulle qu'on crève
Comme sombrent toutes les peines qu'on décharge

N'interrompt pas mon songe si le soir tombé
Verse un poison sucré sur mon cœur qui sommeille
Il est des nuits bien nues mon amour où l’on veille
Souhaitant qu’un cauchemar veuille nous réveiller

Mais qu'il reste la plage et la page à écrire
Les pas d'un étranger le long des rails sonores
Que demeure le jour si la mer se retire
Et les voix de l'été nous parleront encore


(Quelqu'un parle)

Ce monde est le tremplin des terres endormies
Des continents de l'impossible
Le silence et l'oubli sont leurs gardes en armes
Comme les nefs vers Dieu lancées comme les barques
Prenons navires d'avenir
Tous les galions tous les vaisseaux où l'on embarque
Naufragés de la terre épris
Nous dresserons le camp sur ces coins de patrie
Nichées au cœur de nos dérives

La plage au clair soleil où je dors est si proche
Au revers des marées cachées
Au rebours du décor au détour de l'été
Tends la main voyageur dont l'ombre se rapproche







































II- DANS LA CHAMBRE FROIDE





SENSIBLERIES



1. La maison dans les vignes


Dans la maison dans les vignes
Les trains toute la nuit défilent
La radio de mamie vibraphone du jazz
La fumée de l'usine en bouquets de nuages
Floconne sur le ciel aux astres clignotants
Je ne peux plus dormir dans le bruit des wagons
Quand le collier carré des fenêtres mouvantes
Charrie les vacanciers vers l'arrière-saison

Dans la maison dans les vignes
Des fantômes de pas parodient l'épouvante
On n'a presque pas le ternes d'avoir peur
On ferme à peine un œil et c’est déjà demain
La boule orange et feu entre les branches des pêchers
Atterrit lentement sur le parquet ciré
De la chambre décolle le papier peint des murs
Jaunit les doigts comme le tabac qui s'envole
Dans les rideaux à fleurs qui imitent l'été

Dans la maison dans les vignes
Les cloches de l’église appellent au repos
Ouvrent en deux moitiés suintantes les fruits mûrs
Répondent aux grillons qui chuchotent en groupe
En cercle très fermé La nuit le jardin ouvre
Aux chats-huant aux poissons-lune aux pigeons-voyageurs
Qui se réchauffent au soleil des tournesols
Rehaussent le silence de leurs appels discontinus
Je ne peux plus dormir au loin les caravanes
Brinquebalant cahotent sur la nationale

Dans la maison dans les vignes
La forêt vêt les murs du salon de reps vert
Le piano aquatique abrite des grenouilles
Sous le regard condescendant du trisaïeul à barbe grise
Qui se détache avec d’infinies précautions
Du cadre pour fermer les fenêtres qui battent
Dans la nuit qui cavale il est seul silencieux
Les esprits malicieux ferment sur lui leur farandole
Je ne peux plus dormir Les tracteurs du matin
Entre les rangs fleuris dans la chaleur s 'étiolent
Il est cinq heures ce n'est ni l'aube ni la nuit
Juste l'été qui s’étire comme un chat docile
Dont l’œil miroite avant de s'assoupir repus




2. Intérieur

Eléphants d’ivoire et tigres d'ébène
Défilent sur le lac gelé
Dans la poussière on voit à peine
Les reflets sur la cheminée
De mes animaux pétrifiés

Gazelle géante et licorne naine
Dans une défense sculptées
Le nez allongé comme un fourmilier
Encornées de serpentins de carême
Fuient le chasseur noir aux sagaies cassées

La lampe-otarie porte sur son nez
Le soleil couchant éclairant la scène
Les remous du fleuve arrêté
Sous mes animaux pétrifiés

De marbre et de bronze la reine
Sous le palanquin incliné
Lit comme une bohémienne
Dans la boule à ses mains rivée
Le sort qui pour l'éternité
Veut qu’immobiles se promènent
Au-dessus de ma cheminée
Dans le miroir la longue chaîne
De mes animaux pétrifiés



3. Alangui je voudrais rêver
Allongé dans la paille humide
Contre ton corps je veux errer
Dans la chaleur de l'autre monde

Un pays qui commence aux frontières de moi
Extravagant mais exotique
Où rien n'est incertain même les mots qu'on boit
Où tout discours n’est que musique

Dans la moiteur sucrée des archipels arides
États sous haute dépendance
Je guiderai nos pas d'explorateurs timides
Pour qui tout aveu est silence

Pas de violence ni de heurts
Le brouillard qui succède aux drogues
Je veux me replier sans peur
Au creux du fus de la pirogue

Sur les lacs que tes mains ouvertes
Exposent aux soleils levants
Allongé sur la moisson verte
Je veux dormir jusqu'au printemps




4. J'allais triste et nu
Dans l'hiver venu
Je ne savais ras m'habiller le cœur
De blancs oripeaux
Collaient à ma peau
Vestiges glacés au vent des rancœurs

Je voyais les soirs
Succéder aux soirs
Sans pouvoir surseoir au triste manège
Des papillons bleus
Dansant sur mes yeux
Givre au fond du cœur par les jours de neige

Je mangeais sans faim
J'écrivais sans fin
Des mots déchirants sans destinataire
Je ne savais pas
Que le moindre pas
M'éloignait de ma course solitaire

Je buvais la mort
Noyant sans remords
Ma vie sans effort dans le premier verre
Fatigué de vivre
Fatigué d'être ivre
Trop mauvais acteur pour être sincère




5. Nuit et jour
Dans le jour qui m'éloigne de toi
Le petit jour pas bien levé obscur encor
Dont pendent les lambeaux aux gouttières des toits
Ce jour de quai de gare enveloppant mon corps
Qui me colle à la peau que je ne veux pas vivre
Quand je regarde loin vers le soir écoulé
La nuit qui t'appartient et défile à rebours
Au rythme haché des rails Ce jour lent mauvais rêve
Dont m'éveillerai dans le train du retour
En voyant le rideau du couchant qui se lève
Sur aujourd'hui qui sans toi fut du temps perdu

Nuit et jour
Dans la nuit sur mon désir venue
Pour guérir tous les maux aggravés par l'absence
Les plaies du corps du cœur et les plaies du langage
La nuit où je voudrais voyageur sans bagages
Me dépouiller de tout pour sommeiller toujours
Dans la nuit qui dessine sur mon oreiller
Des cités de Titans éboulées sous leurs arches
Des lagons où bercer nos cauchemars d'amour
Qui fait des champs carrés pour nos ambitions mortes
Qui parle avec ta voix Dans le train qui m’emporte
Et qui me fait songer à la minceur du jour
Ce jour neuf triste et gris que l'on a pris en marche


6. Avant toi j’étais mort
Je ne valais pas
Le clou sur la route
Le pneu incendié
La fumée d'un joint

Je n'avais dans le cœur
Que le musée des vieilles choses
Les livres empilés toujours clos par paresse
Les disques que je n'écoutais pas jusqu'au bout
Ces tableaux retournés centre le mur blanc sale
Par goût des collections
Que j'effleurais des yeux sans découvrir lassé
Aussitôt qu'ils étaient entassés dans ma chambre

Avant toi j’étais mort
Je mangeais par dépit
Je fumais par ennui
Fatigué que tout fût possible
Et rien désirable vraiment

Je n'avais dans les yeux
Que le petit matin de fer et de grisaille
J'écoutais le chant des oiseaux
Derrière les volets fermés
Pour savoir que le jour renaissait pour les autres

Je n'avais que des murs pour borner l'univers
J'habitais un quartier froid de la nécropole,
Mes draps étaient pareils aux dalles des tombeaux
Les voix qui m’appelaient
J'ignorais leur musique
Et pour passer le temps
J’inventais des chansons adressées au silence
Et je me nourrissais de l'orgueui1 d’être seul



7. Hôtel

Il y a dans le champ un tas d'herbe qui fume
Dans la chambre d'hôtel je fume j'herbe aussi
Les îles au soleil se noyaient dans la brume
Les rochers émergés brillent sous le ciel gris

Je me sens tout petit dans la nuit de bitume
Je me sens si puissant dans mon fauteuil assis
Dans les mots alignés où mon désir s'allume
Comme aux fenêtres loin les reflets de minuit

Car je plane sans but en papillon nocturne
Me heurtant aux carreaux de ce monde fermé
Aux parois du bocal où je suis désarmé
Magicien impuissant confiné dans son urne



8. Sables Brumes de sable
Rocs nus maisons brûlées
Soirs de glaise et de grès
Ciels roux et terres noires
Je vous devine à peine et je marche à tâtons
Aveuglé par le feu roulant dans mes yeux clos

Son ombre seulement me parle et je souris
Car le jour se brisait comme au reflux la vague
Le cœur de l'univers résonnait sous nos pas
Leur écho dans mon corps racontait les couleurs
Du temps du ruisseau vert des maisons sur le port
Que j'avais désappris de voir
Le beau comme le laid tout m’était lettre morte
Puisque je me sentais le fanion dans la brise
L'instrument de la dérision
Et la corde sur l'arc sans le trait ni la cible


9. Quand sur ma vie qui n'est que cendres
Le vent soufflera par ta bouche
L'oracle de ma dispersion
Quel oiseau mort aux yeux crevés
Chantera pour la renaissance
Les larmes sourdes du pardon
Quelle main maladroite et froide
Mêlera les reliefs de nos rires perdus

Et si mon corps n'est pas le blé vert sous la brise
Toi la boule roulée sur l'écran noir du ciel
Dans quel éclatement d'azur
Nous efforcerons-nous de croître l'un dans l'autre
Dans le pain mélangé de blé noir de la vie
Dans quelque fleur fanée que l’été bleu ranime
Ailleurs partout fatigués d'être en vain
Et voyageurs tous deux dans un temps sans aiguilles


10. Cette aube répandue sur la mer qui s'éveille
Ce vol d’oiseaux pareils aux bateaux qui s'en vont
Sur le miroir troublé du temps qui recommence

Ailleurs où que ce soit nous les retrouverons
Et le décors planté comme un mur de théâtre
Prendra de l’épaisseur dans les yeux d’or d’un chat

Je te regarderai du balcon de mon rêve
Je marcherai sans peur dans les sables mouvants
Le même arbre penché dansera sur le ciel

Je ne douterai plus de sa réalité
Car tu auras jeté comme une brassée d'astres
Dans le sillon de mon sommeil la certitude

Que pour toujours même égaré je serai deux
Quitte à changer de lieu de corps et de langage
L'esprit délié des fers de notre incarnation








11. Je marche dans la ville
Et je bande en pensant à toi
Je bande d'abandon
Je bande du bonheur
De m’être abondamment donné

Loin dans d'autres banlieues
Je traverse le centre commercial
C’est samedi après-midi
Il fait chaud les enfants pleurent
Les hommes et les femmes
Ont le visage fatigué des travailleurs du stress courant
Je plains leur agitation de bêtes soucieuses
Je les entends gémir lorsqu’ils frottent leurs yeux
Et je lis le désir s’éteindre dans leurs rides

Soudain autour de moi quand je reprends conscience
La foule des passants s’est retirée
Les six branches de la place de l’Europe
Me dispersent vers d'autres déserts
Dans l'un des parcs clos en triangle
Il y a un rosier que Manet a dû voir
Que je contemple tous les ans
Et ses premières fleurs sont mes dernières larmes






12. Amour toujours joli charmante marionnette
Combien d'heures perdues à vous imaginer
Amour toujours si laid dans la réalité
Pourquoi existez-vous en dehors de ma tête

Je voudrais vous salir avec mes mains qui saignent
Vous user en pissant sur votre cœur de zinc
Mais vous vous retournez et d'un revers de baigne
M’envoyez valdinguer jusqu'au seuil des bastringues

L’inaccessible seul stimule mon désir
Que ne suis-je l'enfant du cinéma muet
Qui voyant s'embrasser des acteurs désuets
Grimace en murmurant « Bah ça me fait vomir »










13. La mèche de coton brûla
Le sang perlait à mon bras nu
Sa bouche collée à mon sexe

Dans la salle aux poudreux gravas
Nos corps crayeux sont devenus
Au tableau noir nombres complexes

Dehors les orphéons jouent mal
Des hymnes de bourgs désertés
Restons ensemble jusqu’au jour

Les vedettes sur le canal
Des flics par la peur escortés
Egrènent mes chansons d’amour
Voici la berceuse immobile
Qui convient à mon cœur flétri
La mélodie aigre du manque

Quand la nuit est douce et facile
Et que l'on n’a pas fait le tri
Des beaux jours qui restent en banque




14. Cette nuit je voudrais pleurer
Les larmes que n'ont plus mes yeux
Ce qui meurt c’est son image en moi
Le portrait que je m'étais fait seul
Ni lui ni moi pourtant quelqu'un qui nous ressemble

Rien ne saurait valoir une nuit sans sommeil
Tu ne m'aimes plus je m'en moque
Alors pourquoi la comédie du jour levant
La cérémonie des adieux dans l'alcool
Le mensonge de ta douleur
Le baiser esquissé échappé à tes lèvres

Puis-je tirer un trait qui déferait hier
Je peux oublier les phrases prononcées
Mais non me garantir de l'ironie de l'avenir
De ces mots innocents attachés à ta bouche
Comment réduirai-je au silence
Ce morceau détaché de moi que tu construis
Ce membre gangrené qu’il faut que l'on arrache

La gangrène est en moi
C'est le nom de mon amour
Je ne renais jamais que semblable et infirme
Réclamant la douceur de la consolation
La torture de nouveaux refus





15. Je ne dormirai plus
Je mourrai seulement
De ne pouvoir fermer mes yeux bouffis d'alcool
Ni mes membres bleuis par la peste qui couve
Tout mon corps sec vidé de sanglots inutiles

Je ne dormirai plus
Je vivrai de semblants
Je travaillerai du bras gauche
Je fermerai les yeux pour être près de toi
Si des mains inconnues veulent toucher ma chair

Je ne dormirai plus
Je veillerai sur toi
Sur ton sommeil qui croit me chasser de tes rêves
Sur tes mains qui me repousseront encore
Quand je voudrais me rassurer par ta présence

Je ne dormirai plus
Je prendrai des pilules
Roses vertes et blanches pour mourir un peu
Jusqu'à ce lendemain qui n'arrive jamais
Où tes bras s’ouvriraient à mon inexistence
Où je pèserais la solitude dans tes paumes
Nos fardeaux réunis
Je ne dormirai plus
Je déteste les rêves
Et je voudrais tenir pour instrument d'union
Dans mes poings moins tremblants
L'arme qui percera dans le mensonge d’être
Le trou par où le monde se vide de toi
Et de ce qui brillait dans ton ombre portée





16. Séparation

La même nuit aura le ventre plein
Versera doucement le mal dans mon sommeil
Exultera de l'inertie de bête morte
Du corps brisé l'esprit vague et si peu veille

Je te dis tous les mots qui éloignent
Je prétends ne pas faire de déclarations
La joie le désespoir à la gorge m’empoignent
Le silence est leur expression

Nous existons chacun pour soi
Dans l'autre rien à reconnaître
Nous nous lassons du plaisir répété
Et nos mots sonnent aussi faux
Que les accents de la renifle
Au lendemain d'un jour de fête

Quel regret ne jamais chanter
Et pareil à l'enfant dans le bois de sapins
Jouer avec les formes du destin
Avec la vie en vain
Vidée comme un lavabo qu’on débouche

La douleur s'est lovée dans mon ventre et s'étire
Ses bras flous de fumée ralentissent mon cœur
Elle bat dans mon sang
Égrène les secondes
Arrache les pétales de cette fleur fanée
Notre séparation



17. Rien L’écho des brisants le ressac
L'instant inanimé qu'on élude
Les apparences non fondées le bric-à-brac
Tout qui meurt dérisoire et semble encor prélude

Entre nous les siècles de glace
Pour moi le sommeil des forêts enchantées
La ruche de la vie qui toujours se déplace
Autour de mes chambres hantées

Je ne te chasse pas tu refermes le vide
L'empreinte de tes doigts sur le verre ébréché
Contient demain comme la goutte translucide
Sur nos lèvres sitôt séchées



18. Rapidité de tout quand plus rien ne nous reste
Que ce désert de vert et gris
Pistes les avions décollent
Que ce désert de blanc et bleu
Espace vers quoi l'on s'envole

Rapidité quand rien ne retient nos gestes
On passe en un instant
Du pays froid des pleurs au pays chaud des larmes
Comme tout nous désarme
Et l'on reste le cœur battant

Or je partais ou bien je revenais
Comment savoir
La mer roulait ses marbres
Sous de froides aurores
La brise balançait dans les branches des arbres
Les bourdonnants essaims des mouches de la mort

J’étais indifférent à tout même à l’horreur
Des lendemains plus vides que ne sont nos cœurs
Et je voulais avec des courses harassantes
Fatiguer le désir comme on trompe l'attente



23. Prière

Oh que sur l'horizon la barque chimérique
Ne disparaisse pas et nous serons heureux
Donnez-nous les rameurs des vaisseaux oniriques
Et les cyprès funèbres sous le ciel si bleu

Cet automne apportant d'autres fruits que le doute
Pour mieux nous aveugler un soleil plus radieux
Et la septième étoile éclairant notre route
Dans l'âtre abandonné s'éteignaient nos feux

Versez-nous la liqueur pour l'oubli des rancunes
L'amer philtre effaçant hier demain aujourd'hui
L'existence réglée par le cycle des lunes
Epargnez-nous aussi les serments de la nuit

Conservez-nous le cap sur cette île entrevue
Rivage défendu par brisants et récifs
Pour nous qui voyageons tant bien que mal à vue
Assoiffés et fiévreux sur nos frêles esquifs

UTOPIES







1. Rouge sang l'hibiscus et les pâles ombelles
Des fleurs adultérines de la destinée
Traçaient sur le soleil des torsades nouvelles
Et des taches de vin sur nos peaux calcinées

C’était dans le pays où meurent les Chimères
Où se boit sans souci l'eau sombre du Léthé
Où l'on mâche avec joie la coca et l’amère
Liqueur de citron vert distillée par l'été

D'un geste las nous repoussions ces nourritures
Enviant les voiliers par la mer agités
Des deniers de Judas j’achetai l'aventure
Au crédit je jugeais d'emblée sans hésiter
Volage et invalide aujourd'hui je regrette
Tous les ciels oppressants dans l'acier blanc noyés
Les allées du jardin font d'austères arêtes
Et les marbres rongés sont trop bien nettoyés

*

Irons-nous méditer dans le jardin de pierres
Contempler l'univers immobile et serein
Et l'orbite figée des astres métalliques

Nous voyagions à la périphérie des sphères
Jusqu'alors nous n'avions visité que nos poches
Et nos corps irrités dressaient autant d'obstacles

Nous suivions dans l'azur des yeux mais point de l’âme
Les envols migrateurs des oiseaux de l'exil
Sans pouvoir atteler nos chariots aux comètes

Et lorsque la lumière intérieure mourait
Nous nous retrouvions seuls au cœur de chambres vides
Dans des palais glacés recouverts par les eaux







2. Je voudrais revoir les îles de lave
Où j’ai laissé mon petit cartable de collégien
Les lettres éplorées de mes amours de tête
Et les bourgeons violets des printemps pourrissants

Je voudrais retourner dans les villes de cendres
Sous les coupoles bleues des métropoles neuves
Dans le verre et l'acier des ruines d'aujourd'hui
Dans les hôtels de passe où j'ai laissé mon sac
De marin voyageur égaré dans les terres

Moi qui n'ai pas bougé plus qu’un roc sur la rive
Un loir en son terrier par un hiver de gel
Je voudrais m'en aller où il n'est rien à faire
Que regarder tourner les oiseaux prédateurs
Et les hommes danser leurs ballets de fantoches

Je suis trop fatigué pour découvrir encore
Je voudrais seulement retrouver les lambeaux
De non petit cartable de cuir
Et les lettres brûlées de ceux que j’ai trahis





  1. Je n’irai jamais à Punta Ala
Où les chiens ont des museaux en cônes
Pareils à des joints stylisés
Et des queues en clous de tapissier
Au bout de leur maigre squelette

Leurs maîtres esseulés traînent dans la pinède
Foulent les escaliers qui mènent à la mer
Entre les blocs modernes de la marina
Laide avec ses immeubles bas
Les chiens de Punta Ala
Anguleuses marionnettes
Sur les panneaux d'interdiction
A l'entrée de la marina
A l'orée de ce bout du monde
Peuplé de richards en vacances
Un peuple réuni à l’écart des campings
Qui n'a pas droit aux chiens et fait fort peu d'enfants



  1. Il y aura le rythme et le temps élargi
Un battement étranger au cœur
Il y aura des feux et de pleines aiguières
De la glaise à faire les statues
Il ne nous manquera que l'air

Dans les dunes salées sous l'orage de sable
Les oasis de toile accosteront des quais
Bordés de cactus nains de pourpier des déserts
Et je ne saurai pas que coulent des fontaines
Un lait de plante grasse écrasée dans la main
Que brillent des colliers à la noire encolure
De celle qui dit "non" et "oui" et "je le sais"

Sous un dais noir et feu brodé d'argent liquide
Elle attend avec la sérénité des bêtes veules
Elle a mis des flambeaux à l'entrée de la case
Et le couvert pour six au banquet des adieux


5. L'auberge du serpent-qui-fume
Barre à moitié la route au lieu-dit « sans souci »
La serveuse a la lèpre et ses enfants malades
Perdent leurs doigts dans le repas des voyageurs
La pension n'est pas chère et la paillasse est fraîche
Lorsque l'on a sué dans les mines de plomb
Le salon décrépi enjambe la frontière
Dans le jardin devant s'effeuillent des pavots
On est prié de sortir par le cimetière

A l'auberge des boit-sans-soif
Des chat-huant des corps perdus
On a pour s'abriter trois planches de guingois
Et l'ombre calcinée de la montagne noire
Il est toujours cinq heures le thé est mauvais

Ce casino de pacotille
Les chercheurs d'or l'ont délaissé
Ils ont mangé leur pain de pierre
Avec des femmes à volants
Ils sont fichés comme des clous
Dans le parquet où l'herbe pousse
Des mannequins de cire molle
Aux yeux et aux membres fondus

A 1’hôtel du scorpion-qui-danse
J'ai ma chambre au numéro treize
Mon nom est gravé sur la borne
Le lit est un peu dur mais j’ai payé d'avance

A l'hôtel des faiseurs d'orage
Des passeurs de vent des marchands d'oubli
On se rate toujours de peu mais ça suffit
On n'a qu'un mauvais drap pour s'habiller de blanc
On y vient seul et nul ne parle
On peut se reposer sans que rien vous réveille
On peut jouer en paix du trombone et du bugle
La nuit ne vient jamais et les voisins crient peu



6. A force de marcher sur le bord des canyons
Nous voici à l'endroit où se perdent les fleuves
Où les arbres-totem hantent le marécage
Parés de feu-follets qui sont leurs fleurs éteintes
Là nous dressons le camp

Explorateurs armés de couverts en fer blanc
Nous allumons des feux pour chauffer nos conserves
Avec les pages arrachées à nos livres secrets
Nous tapons sur le dos des casseroles des gamelles
Pour éloigner les lions car les serpents sont sourds
Nous contons dans la nuit des histoires idiotes
Rire pourrait nous réchauffer
Et nous échafaudons des sociétés fragiles
Dispersées par le poids d'une aile de fourni

Nous avons emporté nos moulins à prières
L'alcool notre sorcier nous fait du cinéma
Sur la toile des tentes où dorment nos doubles
En veilles alternées Nous oublions les langues
Pour mieux garder le camp

Des sauvages vêtus en costume-cravate
Des hordes qui galopent à dos d'éléphants
Nous bombardent avec des avions en papier
Promettant le supplice à ceux qui les attrapent
Nous défendons le camp

Car le matin se lève et la faim nous tenaille
Le café refroidit dans la salle à manger
Des hôtels apparus dans nos plus mauvais rêves
Nous remâchons le temps perdu notre poison

Le pain perdu jeté aux oiseaux qui s'égarent
Jusqu'à ce que nos besaces soient vides
Puis nous levons le camp

Ceux qui ont survécu nous demandent des comptes
Nous n'avons à offrir que nos poches percées
Le ciel de plomb fondu qui incendie nos têtes
Ici s'achève le voyage organisé
Dans les chiottes de l'aéroport j’avale
Les pilules contre le mal de l'air la poudre
Blanche échangée contre un bijou clinquant
La plaque qui porte mon nom mon matricule
Au cas où j'oublierai en faisant mes bagages
De remballer le corps qui m’apportait ici




7. Cette ville est le plus sûr asile
On n’y est protégé de rien
Les miliciens flingueurs
Retournent contre nous
Les armes censées nous défendre
On fait la course avec les plombs perdus
Les visages des gens ne vous regardent pas
Ils n'ont pas d'yeux pour voir ni de mots pour parler
On vit dans l'ignorance on meurt dans l’égoïsme

Sur le zinc blanc des bars
Nous façonnons le monde
Il ressort toujours pire
De nos verres vidés
Celui que je connais est le meilleur de tous
Car il n'a aucun sens
Je suis issu de sa substance
Mon seul engrais fut son fumier

Cette ville est le plus grand marché
Tout y dort étalé à portée de la main
La faute à qui ne sait pas prendre
Et demeure transi sous les néons frileux
Car il fait toujours froid et nos quatre saisons
Sont la prolongation des longs hivers polaires
Nos nuits durent plus que les jours
Les passagers au bastingage
Clignent de l'œil vers les fenêtres
Le ventre chaud d'espoir trompé

Cette ville est un croulant musée
Sous elle son passé fermente
Entre les murs des cimetières
Qui font des villes à nouveau
Comme autant de hordes d’insectes
Dégringolant de la colline

Je m'y suis installé dans un décor cossu
Au rendez-vous des imbéciles
Hôtel meublé toujours complet
La porte ferme mal ça crie dans vingt-trois langues
Je n'entends rien à leurs dialectes
Et eux n'ont pas le temps de m'apprendre les gestes




8. Je suis revenu du pays sans mer
Dans des bateaux rouillés
Sur le cargo "Regrets" rongé par les vents chauds

Je suis revenu des colonies de sel
Aux arbres bleus de sang
Les murs tremblaient au passage des camions
Les facteurs et les flics frappaient seuls à ma porte

Je suis revenu des patries du désir
Le cœur haché menu
Pour la curée des chiens de l'avenir

Sans doute je reviendrai de la mort
Un linceul déchiré formera ma chemise

M'accompagneriez-vous pour ce dernier été
Malgré tous les châteaux qu'il vous reste à construire
La vie qui tourbillonne et vous emportera

Vous allongeriez-vous dans la chaleur languide
Pour vous habituer à ma disparition
Quand mon corps sera devenu cassant comme le verre

Me diriez-vous les mots que je n'ai pas souhaités
Et sauriez-vous me mortifier avec vos rires
Comme avant l'on aimait à se blesser par jeu

M'accompagneriez-vous comme on suit les cortèges
Dans d'anonymes limousines de cérémonie
Nous chanterions nous danserions comme à la fête

Je vous laisserais seuls partager mon chagrin
Poseriez-vous le pied sur le cargo funèbre
Où je m'embarque avec les mariniers fantômes









9. In Paradisium

Dans les paradis de la lune
Il y a des mers pour le désert
D'autres lumières que le bleu
Qui oblitèrent le soleil
Des croissants et du miel au petit déjeuner
La forme qui est un but à nos quêtes
Mais pas la main de Dieu
Ni le vol lourd des astronautes

Dans les paradis de V6nus
Il y a le chant des sirènes
Le sabbat des sorcières sur le mont pelé
L’argent qui pourrit le plaisir
Les somnifères lactescents
Mais surtout pas l'amour
Qui s'est ouvert le ventre avec ses flèches

Sous les alizés de Mercure
On extrait le métal au litre
Il se fractionne en billes ailées
En infinités de planètes
Habitées autour des volcans
Qui expulsent dans un hoquet
Les novas vers les univers
Où la vie n’est que minérale

Dans les paradis de la terre
Il y a de l'eau à plus soif
Du sang et des graviers sur la voûte du ciel
Des champs de croix et de rosiers
Des théâtres de pantomime
Mais pas de vérité pour rassasier nos faims
Rien que fragments enchevêtrés dans les miroirs des télescopes










PERFIDIES






1. Nous parlons la langue à l'envers
Des éveillés et des noceurs
Nous ne vidons jamais nos verres
Toujours trop pleins comme nos cœurs

Nous regardons de notre lit
Mourir les enfants de la Chine
Tout ce qui est loin nous ravit
Nous voyageons dans les machines
Nous accordons foi aux mensonges
Colportés par notre ignorance
Nos livres contiennent le monde
Que de progrès quand on y pense




2. Au turf

Le train du petit matin me sépare
En deux parts chacune ennemie
Le train de la petite nuit construit
Ces personnages ovipares
Plus raides sang froid et contrits
Ignorants de toutes mes tares
Garants du souverain ennui

Maigre sérieux petit salaire
Cinq jours par semaine on consent
A ressembler au fonctionnaire
Que l’on est le reste du temps

Ainsi je reprends 1'uniforme
Pas dessaoulé entre deux vies
Nageur dans la goutte de pluie
Difforme






3. Cinq heures la nuit n’est pas franche
Le brouillard neige dans les yeux
De ceux qui n'ont pas de dimanche
Au comptoir du bar des adieux

Ils réchauffent leurs doigts de pierre
A la vapeur de leur café
Rougeauds sales et l'âme fière
Clopin-clopant mal attifés

La nuit les broie le jour les brise
Ils n'ont que propos indigents
Devant les gens qui agonisent
Nous on fait les intelligents

Les cadres cul serré démarche
De mecs dressés par le dégoût
Sautent de leurs wagons en marche
Faut trimer dur pour le ragoût
Plus de misère que du drame
Dévorons-nous par ambition
Le beau spectacle messieurs-dames
Ce chantier de démolition
Chacun sa croix chacun sa crise
Dans l’esprit chacun son agent
Moins d'entregent que d'entremise
Nous on fait les intelligents




4. Elle a le visage taché
Ouvert comme un marron qui craque
Les cheveux repliés en nattes
Sous son turban orné d’un soleil tropical

Ses joues sont lacérées par les griffes des tigres
Les ongles des sorciers les ont fendues en deux
Un vieux lion a croqué ses oreilles sans lobe
Qui forment maintenant de fragiles dentelles
Petits lambeaux de chair pointes de tentacules
Déchiquetées où pendent des boucles en toc

L'enfant emmailloté sommeillant dans son dos
Porte déjà la marque des stylets rougis
Une croix de toile empesée
Soutient mal ses seins qui s'affaissent
Sur son nez les épingles des mâles
Ont tatoué l'épaisse ligne bleue
De son appartenance

Le métro la secoue
Son rire fait froncer le sourcil des gens bien
A qui l'on n’a pas dévoré le visage
Dont l’expression se fend jusqu'à de vraies oreilles
Mais qui ne rient jamais qui vivent dans la nuit
Qui sont gris noirs et verts toujours vêtus de deuil
Qui n'ont pas sur leur tête le soleil jaune
Sanglant et déchiqueté du souvenir




5. Au jeu des ombres sur le mur
Qui étions-nous dans l'autre vie
Pleurions-nous sur les mêmes fleurs
De froids sanglots de crocodile

La main du magicien de l’aube
Nous a projetés par hasard
Dans cet univers de papier
Où nous errons sans consistance

Parfois nous nous croyons vivants
Et par le trou de la serrure
Nous regardons avec effroi
D'autres mondes en formation

Là-bas aussi le ciel est noir
Comme un écran de cinéma
Quand le film n'est pas commencé
Mais qu’on a éteint les lumières





6. Chant des couteaux

Les bâilleurs dans la nuit balancent
Leurs pas latins d'éléphanteaux
Par la musique et par la danse
Célébrons le chant des couteaux

Les badineurs qui noctambulent
Somnolents las vont sans dessein
Semer des serments majuscules
Sur le sentier des assassins

Qui cherche la bonne fortune
Étendu dans le caniveau
Dans les nuits de la pleine lune
Célébrons le chant des couteaux

Par nombre pair ils s’acoquinent
Pour le plaisir toujours quelqu'un
Dolent ou noceur se dessine
Sur le chemin des assassins

Va divagant suivre leur trace
Dans les mâchoires de l’étau
Gibier qui crois partir en chasse
Célébrons le chant des couteaux




































CRANERIES



1. Après avoir bu le poison qui fait rapetisser
Je me suis faufilé par la serrure au nez rouge
Par ici ou par là le chemin est le même
Le seul à m’égarer conduit à la maison de mon repos

A mesure que je marche vers le lieu du rendez-vous
Je sens que les poils me poussent
Ma voix s'éteint
Car le char de Chester m’a castré
Avec son sourire suspendu dans l'arbre

Un peu plus tard je bois trente-six plantes d’oubli
Et j'ai perdu le nom de l'ombre que je cherche
Je tiens serré dans la main gauche un bout de voile déchiré
Devenu plus petit qu'un timbre-poste
Où son portrait tracé s’efface à la lumière

Je suis nu maintenant dans la forêt des mères
Je n'ai plus besoin des reliques
La reine me déchire en habit d'as de pique
Car j'ai battu le roi au rami marseillais
Bientôt je suis couché sous le champignon vénéneux
Le bout du narghilé pénètre dans ma bouche
Serein je resterai là dans l’œil du cyclone

Les jours seront assurément étranges
Quand miaulent les crapauds et qu’hululent les chats
Certaines nuits dans mes cauchemars d'opiomane
Je te verrai à travers les lianes des ficus
Bras chargés de serpents poitrai1 nu

Tu me tendras les mains et je devrai choisir
Quel fruit donne la mort lequel porte la vie
Et je me tromperai quelque soit mon désir

Je sortirai tout plat du tin de mon miroir
Son eau dans mes cheveux coule les fils de l'âge
Les éclats aiguisés de ma prison étroite
Entreront dans ma chair
Quand je tendrai la main vers la sortie du puits





.2. Son ombre est sur mes murs
Aussi la mienne
Bougeant avec les diodes de l'ampli qui me regarde avec ses yeux de pierre
Rouges et gris
Avec son front d’acier aux chiffres bleue phosphore

Ses ongles blancs cliquettent sur le toit de zinc
Ses cris la nuit n'ont jamais la même voix
Dans ma rue devant le commissariat
Ses habits sont les rideaux de mon âme

Quand je suis seul je l’entends rire
Frapper des coups dans le piano
Monter la gamme à la guitare
Ouvrir les tiroirs à secrets

Son agitation me fait peur
Je tremble à chaque courant d'air
Alors je mets de la musique
Pour ne plus sentir dans mon cou son haleine
Et je m’endors

Au matin quelqu'un a rangé ma chambre
Posé mes pantoufles sous le radiateur
Et son silence est pire que mes cauchemars
Quand je sens sa présence et que rien ne répond

Il faudrait se tuer pour que l'ombre s'en aille
Ne tende plus les bras par les lézardes de mes murs
Cesse de haleter au bout du téléphone
Et d’imprimer son corps en creux sur mes draps blancs



3. Il flotte des lambeaux de chemise aux fenêtres
Entre les barreaux des salles d'eau étroites
Le linge n'est jamais que gris-beige et humide
Des poissons argentés nagent sur les carreaux

Les thermes ont fermé et l'on respire à peine
Entre les murs chaulés de nos prisons malsaines
Sous la buée je vois l'arrondi d’une épaule
Dans le miroir taché de noir aux coins cassés
ça pue le parfum cheap et les relents de chiottes
L'animal confiné sous son maillot à trous

C'est l’été des chiens chauds et des faiseurs d'orages
Des morts d'épidémie sous le soleil plombé
On a collé du scotch aux rebords des fenêtres
On a appris à ne plus respirer à fond
Dans la ville du bas les soldats en chemise
Attaquent les convois de vivres de tabac
Les femmes qui s'en vont coiffées de sacs plastiques
Vers le quartier du port où s’échange l'argent
La mer évaporée n'a laissé que des flaques
Saumâtres où dérivent des têtards mutants

La cité des écrans abrite le marché
Le gibier jeune est servi frais avec ses chaînes
Fatigués par les jeux les enfants se déchirent
Leurs talons sont armés des ergots de combat

Des trains partent parfois la foule hante les gares
Les jambons les fusils encombrent leurs bagages
Et leurs mains décharnés s’agrippent en tremblant
A la cage d'acier de leurs chiens de combat

C'est 1'été des rats morts et des soigneurs de peste
Les prêtres défroqués prient des messies aveugles
On leur perce le cœur à coups de tournevis
On danse sur leur corps en priant les démons

Les parleurs d'autrefois sont devenus guerriers
Les princes renversés vendent leur cul au poids

Mon sac de toile bleue sourit au pied du lit
Je songe à la valise en cuir mou de mon père
Couverte d’étiquettes des hôtels allemand

Je voudrais retourner dans la chambre froide




4. Dans la morgue en carton de Trouducul-city
Sous les murs bitumés que le soleil fait fondre
Je suis allé rendre visite au cadavre de mon père

On l'avait enfermé avec les yeux ouvert
Dans le coffre de plomb des morts d’épidémie
J’avais passé la nuit dans un bar à gitons
On m’avait délesté du liquide et des chèques
De faux flics de vrais skins sortant de discothèque
M’avaient laissé gisant au milieu des piétons

Le gardien aux baskets blanches tachées de sperme
Le remit dans son sac avec des gants d’amiante
Je lui dis c’est cela les mêmes chairs tombantes
Ses yeux de noyé bleu Il répondit : « on ferme »

Je me suis dirigé vers la place aux fontaines
J'ai jeté quelques sous au marchand d'illusion
Et le poison de sable est entra en fusion
Rendant à mon corps froid sa forme presque humaine

Sans la poudre d'éternité je vais tomber
En poussière de plâtre au prochain carrefour
Sniffé par des camés aux narines de cuir
Et je voudrais rêver une autre nuit d'amour

Au Magic cinéma je trouverai le flic
Qui me fera danser au bal des assassins
Du bout de ses couteaux énucléant mes seins
M’exhibant humilié dans les parkings publics

Je le dépèce comme un lapin qu’on retourne
Je découpe des lambeaux de peau tatouée
Pour les adjoindre aux pièces de ma collection
Entre les tigres blancs les serpents et les roses



5. Coupé le bout de pellicule
La scène où les amants calculent
Le cour d'éclat de leur fiasco

Coupés les blés sous la faucille
Coupés les bœufs dans la charmille
Coupée la queue du chat qui chique
Du chat qui miaule en javanais

Coupés les cheveux blancs en quatre
Coupée la main de cœur aux cartes
Coupées les pattes de la mouche
Coupé l'arbre au ras de la souche
Coupé le beurre avec le fi1
Coupé le fil du téléphone
Tranchée la vie comme un citron,
Coupée la tête du clou plat
Le cou du coq et les caquets
Au clap du fil des longs couteaux
Coupée caboche


6. Et maintenant dis-tu
Pour la nuit qui viendra
Se tourner vers quelles chimères
Vers quelle fin hâter ses pas
De voyageur déçu
En transit sur la terre

Se pendre à quelle croix
Se prendre tous les jeux
Marcher toujours aveugle et fourbe
Fourbu courbé cassé en deux
Et blessé de surcroît
Se fondre dans la tourbe

Dans la boue des chemins
Toujours battre de l'aile
En pensant s'envoler d'un bond
Vers le vide qui nous appelle
Plus loin vers le matin
Percé par le soleil des plombs



7. Couché
Je mourrai étendu
Couché
Pareil que j'ai. vécu

Tous ceux
Qui croient tenir debout
Piteux
Pataugent dans la boue

Assis
Sur le bord du trapèze
Je suis
Moitié homme un peu chaise



  1. Je suis malade
Mon hôpital est blanc
Je suis malade
Des cargos gris vont divagants
Bousculent de vives lucioles
Dans ma chambre souffle le vent
Et tous mes vêtements s’envolent

Je suis tout seul
Je suis tout nu
Mon drap de nuit est blanc
Le lit a des barreaux d'acier
Froids comme les bras bleus des mortes
La lune au profil émacié
Glisse lentement sous la porte
Je suis éteint
La nuit est blanche
Je suis éteint
Comme une étoile disparaît
Comme 1’ampoule de la lampe
Clic clac arrêt
Les spots ont grillé sur la rampe

Je suis malade
Mon univers est blanc
Je suis malade
Malgré l'air ingénu du matin
La vie qui recommence ailleurs
Avec ses bruits de bus de train
Avec le vent pour niveleur
Avec la nuit dans la mémoire
Avec son noir de ventre avide
Avec son vide que j’entends
Le frottement des herbes fol!es
Dans un ruisseaux de froid printemps
Le battement de lucioles
Des feu-follets sur les étangs



9. Je hanterai dorénavant
Les couloirs nus des hôpitaux de brique
Dans l'odeur de 1'éther pour rêver à la mort

Ceux qui viendront
Auront les lèvres bleues la peau trop pâle
Et leurs baisers le goût pourri qu’ont les reg,ets

Je ne me plaindrai plus
Ils offriront ce que les autres toujours refusèrent
L'amour létal et meurtrier et maternel

Je boirai leur sang noir
Nous clouerons des couronnes d'épines
A la porte des survivants

Nous nous reconnaîtrons
A la peau desséchée pendant de nos squelettes
Nos yeux froids seront nos crécelles de lépreux


10. Bientôt je serai mort
Et la nuit inchangée tombera sur mes cendres
La mer emportera les bateaux loin du port
On fermera la porte de ma chambre
L'arbre continuera de croître
La ville de grandir
Obstinément la vie s'efforcera de naître
De forger tout ce qui destiné à mourir
Apparaît pour mieux disparaître

Bientôt je serai mort
Et le désordre cessera
Plus fort assis au sommet
De la pyramide absurde
Dont les escaliers s'incurvent
J'épierai tête en bas
Les convulsions des univers
L'écartèlement de leurs bris
L'implacable de l'accompli
Et l’inutilité de ce qui reste à faire


11. Cette nuit j'ai rêvé de la petite chambre bleue
Que j'occupais à l'asile de Rennes
Du lit de fer mal peint en blanc
Où je ne dormais que d'un œil
De l'autre lit vide à côté
Où se reposait mon fantôme
Je lui parlais souvent le soir
Il terminait mes repas

Cette nuit j'ai rêvé de la fenêtre aux barreaux noirs
Qui donnait sur l'impasse sale
Où les soldats pissaient leur bière
Je me suis souvenu de la paix du petit matin
Des oiseaux qui chantaient pour faire venir l'aube
Des fenêtres au loin qui s'éteignaient avec le jour
De mon étonnement devant la douceur d'être
Car j'étais convaincu que je mourrai bientôt

J'étais là sans passion sans joie sans inquiétude
Logé nourri blanchi servi comme à l’hôtel
On s'occupait de moi quand je n'allais pas bien
Encore une fois j’ai raté le coche
Et j'ai souri quand on m’a dit :"allez-vous-en"
Depuis je n’ai jamais pu poser ma valise
Ailleurs que dans les trains et les salles d'attente

Je cherche en vain un lieu où je serais chez moi







12. Cette ceinture qui me coupait en deux
Moitié homme moitié esprit
Ni bien vivant ni vraiment mort
Je l’ai nouée à la branche haute
A la poutre maîtresse de la maison
J'en ai tressé le cuir pour qu'il soit plus solide
Mes chambres étaient pleines de bouquets trop frais
De roses sans épines
Comme il n'y en a pas dans la vie
Leur parfum mensonger ressemblait à mes songes




13. Ironie du sort

Le pire dans la vie c'est qu'on s'y habitue
On n'a pas eu le temps de dire "j'en veux pas"
D'apprendre à espérer que ça fera moins mal
Ou qu'on saura un jour se faire plus mal qu'elle
En s'attaquant le corps puisqu’on nous noue l'esprit
Qu'on est aseptisé pour nous garder longtemps
Qu’en pensez-vous numéro tant?

On a de bons copains
De vrais et de faux-frères
On se ferait scrupule de les attrister
Quand on est jeune on croit le chagrin éternel
Ils nous tiennent la main qui porte le poignard
Puis on s'assoit près d'eux mais l'on ne parle plus
Parce qu'on a passé l'age des beaux discours
Chacun se fait son lit avec ses préjugés
On tient ses convictions au chaud
Qu'en pensez-vous double zéro?

On commence à chérir cette pauvre enveloppe
Si résistante à la douleur
On considère avec tendresse son ventre naissant L'argent est devenu facile
On n'a plus peur de se salir les mains
On se défend de tout avec des flots de bile
On s'éveille un matin et la peur est assise
Avec le chat sur le bureau
On n'avait déjà pas le courage de vivre
On a perdu jusqu’à l’ambition de mourir
On arrête l'opium et la vodka champagne
Que pensez-vous que l'on y gagne?

Le piège c'est vieillir le cœur se liquéfie
On recommence à forger des chimères
On se croit revenu à l’âge des discours
Bon à n'importe quoi utile à quelque chose
Tous les amis sont morts et l'on dure tout seul
Les journées sont devenues pleines
On dort moins pour regarder mieux le temps passer
On ne lit plus que les journaux
Et l'on freine des quatre où l'on piquait des deux
Que pensez-vous qu’ il advienne?




































III- MAISON CLOSE

DOMUS DOMINORUM




1. La clairière carrée des forêts pacifiques
S'orne de têtes réduites, de boucliers
Qui tendent vers la nuit le miroir chaotique
Des secrets initiaux appris puis oubliés.

Les impétrants ont dû chevaucher les troncs d'arbres
Tandis qu'on imprimait avec un clou rouillé
Les dessins imitant les écailles de marbre
Des animaux tabous, sur leurs deux flancs souillés.

La feuille sédative a desséché leurs lèvres
Quand glissa sous leur peau la lame du couteau,
Et leur corps infecté se débattant en fièvres,
En rêve les brinquebalait, comme bateaux.

Vides, légers, souffrant, dans le jour mal à l'aise,
Ils ont chassé, tout nus, les animaux violents;
Ils voulaient enjamber d'un seul bond les falaises
Quand l'aube les surprit, noirs et sanguinolents.

Vers la porte du jour, en file maladroite,
Les vieux les ont conduits, tremblants, au rituel,
Projetant de broyer menu leur couille droite
Ou d'ôter de leur gland le pli conflictuel.

Les mâles déroutés par la vie insultante,
Écoutant les gourous qui convoitent leur fric,
Construisent, dans les champs civilisés, les tentes
Où ils suent en commun et triquent en public.

Comme les chiens ils pissent autour des racines,
Enserrent l'écorce des bouleaux dans leurs bras,
Avalent les potions des hommes-médecine
En récitant tout haut des abracadabras.
Comme ils croient que faisaient les indiens, ils se pendent
Par les seins au sommet des tipis, rassurés
Que leur être effacé vers la douleur se tende,
Aveuglé dans l'éclat du soleil fracturé.

Ils sont entre eux, ils se suffisent, l'un dans l'autre,
Ils font les gestes qui abolissent le temps:
Dans le vestiaire au stade, hurlant "il est des nôtres",
Raides comme au gibet, culs, corps et cœur content.


2. Nous, orphelins, les héritiers
Nous avançons à reculons,
Traversant les corps de métiers,
Visseurs de culs et de boulons.

Nous sommes les liquidateurs;
Le feu privé dont nous brûlons
Ronge la foi des zélateurs
Étroits que nous émasculons.

Nous sommes les porte-étendard,
Nous, les pourfendeurs de colons,
Zouaves, poilus, grogneurs, soudards,
Branleurs sans armes,au bras long.

Chantant l'ordure et le dégoût,
Toujours vers vous nous basculons,
Sans cesse aux aguets, dans l'égout,
A la porte de vos salons.

Entendez-vous dans vos cités
Le chant d'amour de nos canons?
Au fronton des palais hantés,
Flottent les drapeaux à nos noms.

Nous exploitons vos pollutions,
Sans bruit comme nous avalons,
Fomentant la révolution
Dans le fond de vos pantalons.




3. Par l'encre, par la craie, le graphite et la gomme,
Par l'empreinte du grec au flanc du vase antique,
Par la plaque nitrée et l'épreuve argentique,
. Nous construisons la maison des hommes.

Par le long défilé des soldats de Sodome,
Bataillon, Unité, corps, troupe, bande, équipe,
Au fil du temps qui coud le groupe avec nos tripes,
Nous construisons la maison des hommes.

En désirant sans fin mordre à toutes les pommes,
Tristes corps que la nuit sans égard manipule,
Avec poings en truelle et pioches en virgule,
Nous construisons la maison des hommes.
En buvant au goulot nos fioles de rogomme
En pissant sous la lune, en arrosant de sperme
La terre battue des caves qui nous renferment,
Nous construisons la maison des hommes.

Avec le gars en bleu, l'imprudent, l'économe,
Avec tout ce qui veut, même dans la traîtrise,
Charpentiers et maçons œuvrant avec maîtrise,
Nous construisons la maison des hommes.

Subjuguant les puissants, pauvres bêtes de somme,
Criant sus à qui tourne le dos à l'obstacle,
En gravant dans nos dos les étoiles pentacles,
Nous construisons la maison des hommes.

Avec le jardinier et contre l'agronome,
Sur les buissons ardents que d'inconscients plantèrent,
Nous glanons les fruits verts trop tôt tombés en terre,
Nous construisons la maison des hommes.

Nous qui portons la vie et ce qui la consomme,
Serpents bisexués s'avalant par la queue,
Kangourou, hippocampe, otarie, hochequeue,
Nous construisons la maison des hommes.

Avec l'équerre, avec le flingue qui dégomme,
Usant pour tout levier, béquille ou couteau suisse,
Du vibrant balancier qui pend entre nos cuisses,
Nous construisons la maison des hommes.





4. Les hommes du matin

Le soleil déjà haut dans le jour encor froid
Fait vibrer l'air léger sur la colline aux cistes;
Les hommes du matin sont décidés et tristes;
Le regard affûté, ils ne marchent pas droit.

Ceux que la nuit n'a pas comblés, ceux qui travaillent,
Ceux qu'elle a satisfaits, mais pas à satiété,
Ceux qui n'ont pas tiré avant d'aller pointer
T'attendent, le short bas, de dos, dans les broussailles.

Leurs culs sont grand ouverts comme des entonnoirs,
Ils se font bourrer mieux que ne feraient leurs femmes.,
Au réveil quand l'envie d'être plein les affame
Et qu'ils larguent leur jus avant le petit noir.

Ils ne t'embrassent pas, ce n'est pas un truc d'homme,
Ils évitent de te toucher; leur frustration
Les pousse à réclamer de vertes punitions:
Tu sais vite tout d'eux sauf comment ils se nomment.

Sous la crasse ils sentent le savon bon marché,
Ils n'ont que l'intérieur de propre pour la fouille;
Ils ordonnent « plus fort » quand tu leur broies les couilles
Et te disent merci après qu'ils ont craché.







5. Quatre-piquets (negro spirituel)


Aux pieux plantés en croix comme sur la boussole
J'ai moi-même fixé les cordes de nylon,
Mais comment attacher, à moins que je les colle,
Mes deux membres restant sans l'aide des colons?

En glissant sur leur bras comme un piston s'échappe,
Pourrai-je me vider de tout ce qui pourrit?
Désirerai-je encor conquérir par étapes
Le paradis muet où les fauves sourient?

Je ne peux épouser ce monde inéluctable,
Il faut donc qu'on le rentre en moi à coups de poing
Pour qu'à l'issue du jeu je reste sur la table
Tendre, au soleil rôti, cuit comme un steak, à point.

Camphre, piment, citron, saturée de ces drogues,
Ma voix réclamera le hurlement du fouet:
Que, semblable au marron l'on m'arrache à ma bogue,
Pantin éviscéré dans la malle aux jouets.

Après je serai mort à l'orgueil et au crime
J'aurai expié: vivre est, en soi, le châtiment.,
Et je ferai avec mes sanglots de victime
L'éloge des bourreaux qui furent mes amants.




6. Paper-roll piano (souvenir de Corigliano)


Allongé sur le souffle annonciateur d'orage,
Bercé par la dérive infime des nuages,
Comme si je jouais du piano mécanique
Et que flottait au loin la mélopée bornée
Du Tango d'Albeniz, je me laisse emporter
Vers l'été qui déploie sa splendeur chimérique.
Comme si je jouais du piano mécanique,
Comme si je pissais dans l'ouïe d'un violon,
Comme si je battais les tambours héroïques,
De concerts avortés en mal de conclusion.
Oh ce vacarme hideux d'orchestre qui s'accorde,
Ces accords hérités de pianistes défunts,
Ces rouleaux de papier usés jusqu'à la corde,
Danses qui n'ont gardé que l'aigreur pour parfum:
Ces scies de music-hall substituées aux mots,
Comme si l'on jouait du piano mécanique
Font s'imbriquer les rouages fantomatiques
Et les circuits rouillés de mon corps de robot.







7. Voilà trois bons jours pleins que chantent les cigales,
C’est que l’été flamboie sur le foin des chardons,
C’est que la chaleur tue lorsque le cœur s’emballe
Et que le soleil blanc irradie sans pardon

Sur les toits en alu chapeautant les casernes,
Sur la maison en toile où chauffe le goudron,
Sur les clochers rongés où les drapeaux en berne
Comme de rouges focs incendient l’horizon.

Clair août, tant désiré, je redoute ta laisse,
Je suffoque étranglé sur le bord des rus secs
Chaque éclat de mistral comme un rasoir me blesse
Et je n’ai que mes pleurs pour boire à mes échecs.

Tandis que hurleront les sirènes des plages
Une sueur glacée coulera dans mon dos
Car c’est en plein hiver que mon esprit voyage,
Patineur égaré dans le flot des badauds.


8. Bordée

Marin, crache dans tes mains
Pour que gonfle le foc et se tendent les drisses
Pour raviver le feu qui rougit les machines
Verse sur les pistons l'huile de vaseline
Et serre à l'étrangler le manche de ta pioche.

A la croix des coursives, l’œil blanc, aux aguets
En heurtant aux boulons le front du mousse envieux
Marin crache dans tes mains
Pour élargir sans heurt le quartier-maître hideux
Gras comme un fruit d'orient grêlé par la vérole,
Étroit comme un lit d'oued asséché au désert

Marin crache dans tes mains
Dans la soupe aux cuisines
Où tu pétris ton pain de sueur et de sel
Au retour de la nuit dans la chambre commune
Pour ramollir ton cal
Marin., crache dans tes mains et astique ta pine



9. Le soldat a besoin d’amour
Dès qu’il n’obéit plus aux ordres ;
« Pour l’amour c’est chacun son tour » 
Sa tendresse ne sait que mordre.

Il lui faut des piliers de bar,
Des inconnus prompts aux rencontres,
De brefs ébats, fruits du hasard,
Des poupées pour se chauffer contre.

Son impuissance aux sentiments
Le met sans cesse à l’exercice.
Ce n’est jamais qu’à lui qu’il ment
En bafouillant comme un novice.

Dans ses villes de garnison,
Comme il s’ennuie quand c’est relâche,
Avec ses amants de prison
Dans ses transports il dit : « La vache ! »

Il sait aimer à en mourir,
Car il crève sous la cravache :
C’est ça de pris sur l’avenir !
Sa passion meurt quand on l’attache.

Il se fait mettre sans façon,
Te prend comme un cheval de somme,
Mais ce n’est qu’un petit garçon
Aussitôt qu’il se croit un homme

Sa vie c’est La Grande Illusion,
Du tra-la-la et des costumes,
De l’or en galons à foison,
De l’honneur, des bijoux, des plumes.

Il a le cœur sec des vainqueurs,
Et l’égoïsme de l’athlète,
Ô mon handicapé du cœur,
Ma majorette, mon Trompette.

Il ne sait se donner qu’au corps,
A l’arme, au groupe ou à la troupe;
On n’obtient jamais son accord
Qu’à coups de pompes dans la croupe.

Il ne veut prêter son concours
Qu’à éteindre les feux d’urgence,
«Va, je t’en donne de l’amour,
Toi t’es verni pour la romance ! »

Le Soldat meurt seul au combat,
Il s’est tatoué sur l’épaule
« Maman, je t’aime » et puis, plus bas :
« Robinet d’amour pour les drôles. »






10. On va toujours à l’aventure
Le hasard épingle à tout coup
Pauvre corps et triste nature
Quand vivre nous vient par à-coups

Le temps quand on n’en fait rien s’use
Le moteur s’étrangle à tout va
Danseur sur le gouffre on s’amuse
D’observer ce qui grouille en bas

Tout ce qu’on saisit se dérobe
C’est en vain que l’on s’y soustrait
Ce qu’on avale nous englobe
Tout est possible rien n’est vrai


11. Je suis mort hier
Toujours à ma montre
Le temps des rencontres
S’égraine à l’envers

Ne m’en veuillez pas
J’étais las d’attendre
Et de me suspendre
En vain à vos bras

Sans jamais pouvoir
Filer à la voile
Rejoindre l’étoile
Qui luit dans le soir

J’étais un fruit sec
Au bord des fontaines
Et la vie hautaine
M’a cloué le bec





12. J'entends dans mes poumons
Le souffle embarrassé de ma voix qui s'éteint,
Ce jappement de chien, ce ronflement de braise,
Qui chuinte et siffle, rauque, à travers les goudrons.

Ma cheville qui craque,
Mon genou déboîté, ma sciatique chronique,
Confèrent à mon pas ce petit air comique
De vieillard claudiquant, sautillant et maniaque.

Par mes deux poings serrés
Je conjure le sang qui bat fort dans ma tête
Et ce raidissement nerveux de bête inquiète
Relance les sursauts de mon cœur déchiré.

Entre mes cuisses pend
Un bout de chair inerte, appendice apaisé
Que plus rien ne secoue, ni les regards croisés,
Ni la main fatiguée que parfois j'y suspends.

Je ne sais pas par où
Je tiens, par quels boulons restés par chance en place
Ni quel moteur poussif anime ma carcasse,
Ni quels étais branlants me maintiennent debout.

L'esprit vif et le corps débile,
Je suis porté par le vent froid des vanités,
Recollant les éclats du réel délité,
Uniquement ému, et mu, par l'inutile.



13. Lorsque je reviendrai à moi
Le monde aura changé et tout sera parfait
Ma volonté est morte et je veux désapprendre

Lorsque je reviendrai
Les murs seront en ruine
La nature cruelle aura repris ses droits
Les liserons en fleurs étrangleront la vigne
Et les outils rouillés des trimeurs maladroits

Si je reviens après avoir sauté
Dans l’inconnu lié à un bout d’élastique
Si je crois que l’on peut revenir sur ses pas

Lorsque je reviendrai après avoir ôté
Les habits éculés du pantin domestique
Si je voulais savoir et manger mon pain blanc

Si je voulais

Quarante années d’usure et n’avoir rien appris
Quarante ans de vacance et pas un seul projet
Tout pris tout digéré et sans objet épris
N’ingérer que la cendre et les fruits du rejet



14. Toi qui n’es pas de ma famille
Et que certains voient dans le ciel
Toi qui m’a apporté des billes
Des poupées des dattes du miel

Nourris la flamme qui vacille
Et le tissu cicatriciel
Eloigne du gui la faucille
Noies mon chagrin superficiel

La prochaine fois que je pleurerai
Sur d’autres sur moi sur après

C’est Noël que l’on déshabille
Si la sorcière avec son fiel
Arrache chapeau et mantille
Du front qui m’est consubstantiel

Il y aura des tirs factices
De pétards dans le ciel d’hiver
Des fusées de feux d’artifice
Et des bonbons d’orange amers

La prochaine fois que je pleurerai
Sur d’autres sur moi sur après

Il y aura dans mes armoires
Les cadavres de mes aïeux
Des fanions de proches victoires
Et des portraits en camaïeu
Des joncs dans les bijouteries
La coquetterie des adieux
Et dans chaque boulangerie
Les galettes des trois rois pieux

Il y aura de la musique
Pour les corps nus dans les pornos
Quelques complaintes romantiques
Sur le beat lourd de la techno

Des gladiateurs blessés sans risque
Mais qui circulent dans le sang
Des laits noirs suintant des lentisques
Au cabaret des trépassants

La prochaine fois que je pleurerai
Sur d’autres sur moi sur après


15. Seigneur, dieu des chrétiens, apportez moi la grippe
Vous attendiez le temps de rompre notre sceau
Mais quand la bave bleue me baignera la lippe
Je jouirai du sang dans un dernier sursaut.
Abrités par l’abside on se taillait des pipes
Enfants de chœur on s’enculait sous le boisseau
On s’enivrait de vin en se bourrant les tripes
Des fluides consacrés qu’excrétaient les puceaux.

Je prie pour ces fléaux qui sont votre vengeance,
Le déluge et le feu de notre délivrance
Pour les veaux étranglés dans les nœuds des lassos
En ce soir de Noël vêtu de pauvres nippes
A croupetons je viens comme un fieffé pourceau
Vous réclamer la peste à en vomir mes tripes





16. Ni le feu clignotant des petites étoiles
Ni les lampions frileux des dancings désertés
Ni les songes jetés sur les écrans de toiles
Ne rempliront mon cœur par l’hiver hébété

Fenêtres dans la nuit qu’avez-vous à me dire
Qu’un semblable horizon s’empourpre au loin ailleurs
Et que ce qui brûlait comme un éclat de rire
Luit toujours dans l’aura des soleils intérieurs

Que sur le chemin sombre on rallume des torches
Que dans l’obscurité se profile un veilleur
De l’épaule appuyé à l’arc-boutant d’un porche
Et qu’il promet du feu pour des matins meilleurs

Un ange qui met fin aux longues solitudes
Qui parlerait quand tout s’est tu avec douceur
Dissipant de sa voix les tristes habitudes
D’un geste dispersant les oiseaux jacasseurs

Toi qui n’existes pas ne mouche pas les cierges
N’éteins pas les bougies des frêles paradis
Écris dans mon esprit comme en un livre vierge
Les serments écrasés des désirs interdits






17. L'odeur de détergent, de foutre répandu
Où se mêlent relents de sueur et de pisse,
Ce parfum de vieux cinéma porno, de trou complice,
Obscur, où tous les corps, même mous, sont tendus,

Je l'ai, comme mon propre musc, dans les narines:
Elle monte vers moi des couloirs du métro,
Des massifs piétinés, des parcs municipaux,
Des impasses, des porches où, saoul, l'on urine.

Elle promet tout son pesant de bourses pleines
De coups de cinq minutes, l’œil vif, aux aguets,
De cris de jouissance étouffés, de paquets
Trop vite déballés et d'explosions soudaines;

Remugle de piscine emplissant les vestiaires,
D'humanité suant dans les fourgons de flics,
Senteur de panard chaud dans la grolle en plastique,
De chantier emboué aux toilettes précaires,

Imprégnée dans mes vêtements, sur mes semelles,
Je la traîne, comme un signal pour le passant,
Jusqu'au lit, où, cassé dans un spasme puissant,
Pour ne plus la sentir, je m'évapore en elle...









































Q .V .Q








1. Pénétrez-vous l'esprit de saignants cauchemars,
Mordez dans l'herpès purulent des lèvres mâles,
Du cul, du vrai, du cru, du sexe, mais du sale,
Les déchets que la nuit réunit au hasard.

Hôtel au mois,
Quasi de passe,
« A la réception passe
Courbé » ... L'autel:
Le lit aux draps puants,
Les cafards qui se coursent,
La plaque de beurre sur la fenêtre
C'est l'hiver,
Le gode caché sous la pile de pulls.

« Accroupi, froc bas, aux chevilles! »
Pas utile de commander.
Je dédaigne sa queue bandée;
Lui ne s'est même pas vidé
Pour s'offrir propre au jeu de quilles.
La marque du gland en plastique
S'imprime dans le beurre dur.

La tige de latex orange
Fichée à mi-canal,
Il gémit et avale,
Avide, la hampe du membre.
A coups de poings les demi-couilles
Forment la butée du désir,
Va-et-vient foireux où la merde
Lui dégouline au long des cuisses

Car c'est la dernière façon
De faire vibrer sa chair flasque;
Sans que j’aie fourré dans la vasque
Ma queue qui pend sans résistance ;
Je n’y colle pas un index,
Qu’il dépose dans son kleenex
Un jet d'urine et de semence.





2. Condylome et fistule

Le dermatologue
M'a regardé l’œillet;
A dit d’un ton rogue
« Allez voir ma collègue »
- Le docteur va vous prendre »
A fait la secrétaire
Du dispensaire
-Belle annonce!-.

Derrière son bureau
Une dame sourit ...
Non maman,
Je veux pas grimper sur la table.

Le froc bas,
A genoux,
J'attends
Qu'elle graisse son instrument.

Je sens à peine
Le bout froid
Du speculum
Qui pénètre.

Elle regarde:
« Il y en a
Aussi, dit-elle,
A l'intérieur ».

Mon pénis
Se rétracte
Un peu plus,
Chiffon mort.

La porte s'ouvre;
L'assistante
Stagiaire fait
« Bonjour », enjouée.

La joue sur l'oreiller,
Je dis «c’est rien »
Le médecin
Dit « Observez ! ».
Un œil banal,
Inquisiteur,
Scrute l'intérieur
Du conduit rectal.

Je serre les fesses
Sur la crotte dure
De métal, qu'elle laisse
Fichée au chaud

Le temps de rédiger
Pour le chirurgien
Son rapport. Puis
Je chie l'engin.

*
Le connard
Cravaté
Me demande
Si je suis pédé.

Je m'en défends:
« Je suis marié »
Il répond:
« Ça n'empêche pas »

Je dis:
« Je n'ai pas eu de chance,
Une fois,
Et voilà le résultat ».

Il dit:
« Quand on y a touché,
Un jour vient
Où l'on recommence »

Je n'ai pas la présence
D'esprit de faire
Remarquer
Qu'il est bien renseigné.

Il veut ensuite
Examiner le site;
Je sens ma bite
Et mon estomac se nouer.

Le pantalon
Sur les chevilles,
Je monte sur la couche
Sans ôter mes chaussures.

Il dit: « En position! »
Et « Écartez les fesses »
Mais, avec le stress,
Mon cul est en béton.

J'entends le frottement
Des gants de latex.
Il pousse son endoscope
Sans lubrification.

Je grogne qu'il fait mal ...
« Z'avez pas l'habitude? »
Insinue-t-il
L'air dégoûté.

« Trois verrues,
Loin, vers l'intérieur,
Et deux visibles
Sur les plis:

On va traiter
Ça au laser.
Si vous avez du cran
On le fait en local,

Mais soyez prévenu
Que beaucoup de patients
Tournent de l’œil
Quand on les pique;

Deux injections
Dans le rectum
Sont nécessaires
Pour opérer.

La dilatation anale
N'est pas une partie
De plaisir,
Vous savez! »

Je suis livide
Et je le sens
S'amuser
A me voir blêmir.

J'ai les foies,
Je choisis quand même
Une anesthésie
Générale...

Quand je serai
Dans les vaps,
Tout l'hôpital
Pourra me passer dessus.

La douleur me fait peur,
Je suis une lavette.
Qu'il se délecte
De ma face écarlate!

Il se garde bien
De prévenir
Qu'on déguste
Ensuite un bon mois,

Le temps que les brûlures
Au troisième degré
Cicatrisent
Complètement.

*
La vieille infirmière
A moustache
Me rase
Les poils du cul,

Évitant d'écorcher
Les reliefs
Sous la lame;
Je frissonne.

Le gel froid
L'acier bleu
Me donnent
Un début d'érection.

Je m'enferme
Dans les toilettes
Pour m'infliger
Le lavement:

Il faut que la zone
Opératoire soit propre:
Les docteurs n'aiment pas
Se salir les mains.
Il faut garder
Le liquide
Dix minutes,
Cul serré.
Je n'ai pas de talent
Pour le masochisme
Les chirurgiens
Vont m'apprendre.

Je me vide, c'est bon.
J'avale les pilules.
La tension tombe.
Je sombre.

*
Mon voisin dit:
« Ils ont ou peur,
Ils étaient tous
Autour de toi.

Z'ont eu du mal
A te réveiller » ...
Je me lève
Avec la perfu.

Dans l'escalier
Aux courants d'air,
Je fume un clope;
La tête me tourne...

Je reviens en métro;
Les vibrations m'empêchent
De m’asseoir sans douleur
Sur mon cul torturé.

Je ne peux plus dormir
Sauf à plat sur le ventre.
Parfois en pleine nuit.
Je m'éveille en hurlant.

Je rêve: on m'a fiché
Trois sèches allumées
Dans le boyau; au bout
Un sadique crapote.

Je bouffe des gelées
Pour avoir la colique.
J'arrête de manger
Pour moins chialer aux chiottes.

La branlette devient
Le seul analgésique,
Actif, un court instant
Après la jouissance.

*

Quelques mois plus tard
Un vieux blond me drague
Avenue de Clichy.
Il me chuchote:

« On a baisé une fois;
J'ai pris un super-pied.
Tu te souviens pourquoi?
Tu t'es fait enculer ».

Voilà que me reviennent
Les souvenirs diffus
Emportés par l'ivresse:
Je le revois sur moi

Avec sa queue râpeuse
A la couronne ornée
Sur le pourtour du gland
De petits grains en crête.

Je tourne les talons,
Je n'ai pas le réflexe
De lui bourrer la gueule
Pour mon cul boursouflé.

Après tout, c'est ma faute
Je ne suis qu'une lope.
Désormais après boire,
Je serai moins salope.

*
Je porte mon anus
Comme l'autre sa croix;
C'est pire cette fois,
J'ai le trou plein de pus.

Les toubibs avec moi
Se sont montré gentils
Et ne m'ont mis des doigts
Qu'avec parcimonie,

De peur probablement
Que de bons hurlement
N'affolent leurs patients
Dans la salle d'attente.

C'est génial, l'hôpital
Est au métro Gaîté:
Pour finir charcuté
C'est l'endroit idéal.

J'informe l'infirmière
Que je chie dans mon froc
A l'idée des douleurs
Que la taille provoque.

« Ça fait pas mal
Les condylomes:
Une fistule du rectum
C'est pas la mort du petit ch'val!

On donnera
De la morphine
Si ça va pas,
Soyez tranquille. »

Couché sur le dos
Dans mon lit d'hosto,
J'ai tout le loisir
D'en rire.
Je touche du doigt
La plaie que creusa
Le scalpel en moi
Et qui cicatrise.

Entier devenu
Mon seul trou du cul,
J'ai toujours en vue
Qu'on me sodomise.

J'ai hâte de voir
Comme un jouet neuf
Si mon œil de bœuf
S'ouvre à vos boutoirs;

Prêt à l'essai,
Je tends, lecteur,
Aux pieux épais,
Mon postérieur,

Et je t'invite
A venir vite
Clouer ta bite
A l'intérieur.




3. Nuit chienne


Nuit noire,
Nuit blanche,
Sous les branches
Des marronniers.

J'ai tiré
Trois fois
Mon coup
Sans faiblir.

L'africain
Qui sent bon
M'a sucé
Sans dégoût.

J'ai rendu
La pareille
Au circoncis
Par politesse.

J'ai tenté
De m'assoir
Sur le noeud
Du coiffeur,

Près du lac
Aux canards,
Dans les massifs
En fleurs.

Son bout dur
M'a tout juste
Ecorché
La rondelle.

Appuyé
Au muret
De briques
Face aux voies,

Je respire
L'odeur
Acre et aigre
De pisse,

J'inonde
De poppers
Le petit jour
Levant.

Je tripote
A travers
Mon short troué
Ma bite

Pour happer
Le premier
Qui voudra
Y goûter:

Un vieux con
Bedonnant
A l'haleine
Fétide

Qui tient
En laisse
Son clebs
Idiot.

Je sors ma queue;
La bête pose
Sur mon gland rose
Sa truffe humide.

Le maître dit
« Lèche » et la langue
Tête et lape
A sa demande:

Lippe troussée,
Babines hautes,
Il est dressé
A l'ouvrir grand.

Je demande
Au débris
Si son bâtard
Le bourre.

« Ma femme
M'en empêche.
Lui a le dard
Trop court ».

Je branle
Le cabot
Qui gémit
Et qui tremble:

Un passant
Me surprend
La paume
Sur son membre,

Hésite
A s'arrêter
Pour se joindre
A la scène,

Et je jouis
Enfin
Sous son regard
Obscène.

Tous quatre
Nous pissons
Arqués
Contre les grilles

Tandis que
Les trains filent
Dans l'aube
A l'unisson.


4. F.F.


Je suis devenu peintre
Pour avoir mis mes poings
Dans le cul épaté
De Jacques le sculpteur.

Je me souviendrai longtemps
De l'atelier aux grenouilles,
Des fleurs factices, des miroirs,
De l'odeur de la glaise humide.

J'avais dit: « Je suis pas violent »
Au téléphone, et lui, inquiet:
« Tu peux rentrer la main fermée? »
- Oui, les deux mêmes, si tu y tiens.

J'avais trop fumé, trop couru
En remontant la longue rue:
La porte encadrée de faux pampres
S'ouvrit. Le barbu me dit « Entre ».

Torse nu dans son jean,
Il ne m'attendait plus;
Suis-je le bienvenu
En lui léchant la pine?

Au fond, près de la douche,
Une porte à secret
Dévoile une autre couche
Et des instruments prêts,

Des godes noirs et blancs
Dont la taille croissante
Devient à chaque rang
Plus menaçante.

Plus que tout je respecte
L'homme offert sur son dos
Plus que l'athlète,
Plus qu'un héros,

Le magicien contorsionniste
Qui sait s'embrocher sans broncher
Sur le faîte d'un double fist
Fiché dans son cul, mains croisées.

Tu es la porte de mon monde;
Ton oeil noir m'a hypnotisé.
Moi j'incarne la bête immonde
Que ta bouche n'a pas crachée.




5. Ciné-moche



Je demande son âge:
Il répond dix-neuf ans.
Il y a bien longtemps
Que ça ne m'est pas arrivé ...
C'est lui qui a voulu
Qu'on s'isole dans la salle,
A l'orchestre et aux premiers rangs;
Moi la lumière de l'écran
Me gêne, mais me voir l'emballe.

Il me rend ma pipe enthousiaste
-Il y avait longtemps aussi-.
Pourquoi ai-je déjà joui
Avec des vieux à la queue flasque?
Il est tellement amical,

Et moi si froid,
J'ai de la peine,
Je vais vite venir, et mal:
C'est gâché, Ça vaut pas la peine!

Orgasme douloureux et bref,
Pourquoi m'ôtes-tu tout plaisir
En me rappelant les ficelles
Qui ont étranglé mon désir?
Une famille à la maison,
Un amant jaloux, et l'horaire
Qui m'autorise à peine à faire
Un tour pour cracher, et basta.

Et lui, je lis dans son sourire
L'attente avide du savoir,
Plus qu'à la chair, l'appel à l'âme,
Que je ne peux pas assouvir,
Et j'assiste muet au drame,
Impuissant à me retenir
Quand ma queue éclate en sanglots.
Parfois, malgré la bonne baise,
En quittant le ciné porno
Le coeur noué, on l'a mauvaise
De retourner à ses fourneaux.




6. Un mort dans la famille

Rien n'égale le frisson
Des nuits en plein air
Dans la ville en fête-
Un qui meurt de froid
Un qui meurt d'ennui
Un qui meurt de manque,
Les animaux
Puants, asociaux
Occupés seulement
A tirer sur leurs chaînes


En ces temps d'agonie
De sapins crucifiés
Les fêtards aux souliers ferrés
Regrettent les hoquets
Provoqués par l'alcool
Qui ne les rend plus ivres.

On l'avait trouvé dans sa chambre
A demi asphyxié nageant dans son vomi

Pour me défendre de mourir aussi
N'être qu'un sac vidé
Soulevé par le vent d'un poumon synthétique
J'avais pour seul projet

De m'étourdir de monde
M'affranchir de la jugulaire
De l'imagination destructrice.

Alors je me réfugiais
Dans les métros bondés
Sur le pavé mouillé des jours de gréve
J'agitais des drapeaux noirs et rouges
Hurlant avec les chœurs d’hommes à l'unisson
Chez les débitants de burgers
Ma faim était inextinguible
Du gras, du steak de vache folle
Avant les tuyaux de l'hosto
Le régime sans sol
La laisse à oxygène...
Je me joignais au grouillement
De la vie qui foisonne
Dans les égouts obscurs
Pullulement de rats
Contorsions de lombrics affolés par la proie
Jetés au fond d'un trou dans la terre stérile
Dans les caves des sex-shop
Seul remède à la tristesse
Une branlette à la sauvette
Un tremplin pour la frustration
Viendra? Viendra pas?
Le sportif aux muscles de bois
Protégeant de trois doigts
Sa bite ridicule
Accueillant la mentule
D'un vieillard maigre au teint cireux
Spectacle croqué sur le vif
Comme sur l'écran vidéo
Le son hurle réglé trop haut
Couvrant le râle alternatif
De cet accouplement d'exclus
Dont l'adieu est définitif
Dès qu'a jailli le premier jus.
On aurait pu avoir ceux qui n'ont pas voulu
Et l'on s'est refusé aux quémandeurs avides
Jeu douloureux du vide épreuve primordiale
Mensonge quotidien
Tout qui s'éveille et qui s'éteint
Comme on froisse un vieux mouchoir sale

Dans mon atelier sous-terrain
Se déshabillaient des lutteurs
Les soldats nus sortaient des douches
S'unissaient à des rugbymen
Marqués au poinçon des crampons
Atys hurlait émasculé
Déchiré par des mains ailées
Morcelé comme ma conscience
Par le peu de désir de vivre
Un jour oui, un jour non.

Lui, suffoquant sous penthotal
Crevait, la sonde dans la queue
Le ventre creux, enveloppé de couches
Englué dans le temps, muet comme une mouche
Tombée dans un milieu aqueux
Son souffle luttait pour quitter
Ce corps qu'il avait détesté
Pour n'avoir apporté que plaies paradoxales
Vivant, habité par la nuit
Errant déjà de place en place
On attend que le coup de grâce
Permette que sans bruit
L'on passe.

J'ai dit à l'hôpital: ça valait mieux ainsi
On n'aurait pas pu le laisser souffrir longtemps
Et au tenancier du sex-shop, « Un jeton s'il vous plaît »
Le sous-sol était vide
Et je me suis branlé tout seul dans la cabine.













7. Adieu au poème

Le poète a besoin d'extrême solitude
Et de regrets
Pour que l'ennui le pousse à faire des chansons.
Autrefois l'amour suffisait.
Derrière les volets clos,
En face de l'école où habitait Chopin,
J'en ai dit des sottises.
L'inspiration gisait au fond de nos culottes;
J'étais
Ce petit chef dont Sartre imagina l'enfance:
Nous faisions salon littéraire et One-Two-Two.
Le prof nous enseignait la métrique et le vice;
Nos éjaculations affolaient ses toutous.

Je me souviens de toi
Denis à la queue courbe,
Que l'on m'avait laissé comme un gibier piégé.
Je n'aimais guère les adolescents
Quand j'avais quatorze ans,
Mais mon désir ne connaissait pas de bornes.
Je me souviens comment, à Rome,
Je me suis acharné à vouloir te baiser
Quand, dès le premier soir,
Le patron de l'hôtel avait surgi en rogne,
Ordonnant méchamment qu'on tire le verrou
Pour faire nos cochonneries.

Je me souviens d'Hervé, montagne à la chair lisse,
Sumo distingué quand ce n'était pas la mode.

Je me souviens des pipes dans la cuisine
Sous l'évier où tu pissais tes calculs,
De tes sorties inspirées par la jalousie
Quand je sautais ton mec
En Normandie, dans la roulotte;
Gershwin passait à la radio,
Et toi tu réclamais
Qu'au moins je lime en rythme.

Je me souviens des chiens
Avides de lécher le sperme répandu
Sur le couvre-lit marron.
Je me souviens du jour où j'ai dit:
« Baise-moi » pour me rétracter aussitôt.

Je me souviens de la potée au chou
Que tu me servis un midi après la baise
Et du malaise
Qui me valut un jour de colle,
Parce que j'avais précipitamment quitté
Le cours de physique,
Cherchant dans la panique
Un coin discret où chier,
Avant que la récré ne remplisse les gogues.

Je me souviens de Camus, Pirandello, Duvert,
Lacan, Genêt, Apollinaire,
De tes propres romans qui inspiraient les miens.

Je me souviens de l'encre violette
Des lettres de vacances que tu m'envoyais
Dans la maison de ma grand-mère,
Que je cachais, craignant que l'on vît au travers
La promesse de fornications futures.

Je me souviens du calva à soixante degrés,
De cette ivresse dont ma mère profita
Pour me faire avouer mon goût des hommes
Vers deux heures du matin, une nuit
Que nous avions baisé à trois
Plus longtemps que de raison.

C'était le meilleur de moi;
Je ne le savais pas.
J'avançais à tâtons en aveugle lubrique,
Je pissais des vers comme une taupe hémophile...
Aujourd'hui, le poète a besoin de matière brute,
De l'odeur musquée des travailleurs manuels,
Des soldats dans sa tête,
Des aiguilles, du fouet,
Mais tout étant fantasme, il est devenu sec
Et n'ayant d'autre phrase à ajouter sur lui,
Qu' « A quoi bon »,
Il regarde de loin ce qui advint aux autres:












TROPHICULES
sonnets



"Les chevaux et les styles de race ont du sang plein les veines,
et on le voit battre sous la peau et les mots, depuis l'oreille
jusqu'aux sabots. La vie! la vie! Bander, tout est là."

Flaubert 15 juillet 1853




DEDICACES


1. Au Rubis-Cabochon, Jean Chouart, Jean-Jeudi,
A la pierre à casser les oeufs, à l'obélisque,
A la potence, au doigt sans ongle, au boute-bisque,
A l'aiguille qui croit et qui marque midi,
Au cordon de François, Saint-Agathon, Frappart,
Au manche du gigot, au robinet de l'âme,
Au trépignoir, au bogue, à la couenne du carme,
La cheville d'Adam, le fourrier, l'étendard,
Au sous-préfet comme au degré de longitude,
Au racloir, au canon et à la poutre rude,
Au carafon d'orgeat, à la clé qui délivre,
A la flûte à un trou, au drôle et au bâton
A un bout, à la sentinelle, au mirliton,
A la broque et au coin, j'offre en bandant ce livre.



2. Afin de ménager tes complexes, l'ami,
Je le dédie aussi à la triste lavette,
A la guiguite, au flageolet, à la navette,
A l'allumette de six heures et demi,
Au honteux, au mutin, fifre, mistigouri,
Au cornichon, à la chiffe, à la chanterelle,
Au pendiloche, au perroquet pour maquerelles,
Au petit voltigeur, au panais, au pourri,
Au spaghetti, au vermisseau, à la chenille,
Au petit doigt, au pis, à la courte à deux billes,
Au moineau, au biniou, au frêle poupignon,
Au hanneton, au berlingot, à la saucisse,
A l'ardillon, à l'amulette, au clou qu'on visse,
Au bidet atrophié, balançoir des mignons.









BEAU COMME L'ANTIQUE



1. Ce nain barbu et difforme, qui rit sous cape.,
Ôte-le sans tarder des mains de tes enfants:
Si son tablier rouge se casse ou se fend,
Il montrera, sans fard, qu'il descend de Priape.
Ce fils de Dionysos, porteur de lourdes grappes,
Cache sous son bonnet ses cornes; triomphant,
Aux rostres des galères, tel un éléphant,
De son membre il fendait les bateaux qui s'échappent.
Toi, comme l'âne qu'il chevauchait, pérorant,
Tu laisses tes gamins le flatter, ignorant!
Et dans l'épouvantail qui des blés mûrs émerge
Tu ne reconnais pas le dieu nu de Lampsaque.
Son écarlate aura n'est plus qu'un voile opaque
De minium qui le teint en te cachant sa verge.




2. MYSTERES

Quand il eut aux Enfers égaré Eurydice,
Orphée s'en fut apprendre chez les Égyptiens
Les épreuves des prêtres et des magiciens:
C'est là disent certains qu'il s'initia au vice.
A son retour, il enseigna à ses complices
Les cultes orientaux inconnus des anciens.
Vénérant l’œuf sacré dont tout sort, il fit sien
Le désir d'expier les péchés par les sévices.
Il avait assagi les fauves par ses chants,
Mais les femmes de Thrace, effrayées des penchants
Qu'il suscitait chez leurs maris, sans chant funèbre,
Jalouses et meurtries, armées d'outils tranchants,
Le dépecèrent vif, hachant et arrachant
Ses cinq membres qu'elles dispersèrent dans l'Hèbre.




3. PLAINTES D'APOLLON

Dieux cruels, vous m'avez chassé de vos enceintes
A coups de pied; vous vouliez me livrer aux loups.
La joie de mes bergers vous a rendus jaloux;
Le zéphyr estival m'a enlevé Hyacinthe.
La lyre que Mercure offrit sous la contrainte,
Je la pends à cette branche comme à un clou;
Sur la fleur j'ai inscrit en caractères flous
Le nom du bien-aimé qui résume mes plaintes.
Comme à Kouparissos, c'est sans le faire exprès
Que j'ai tué l'amant transformé en cyprès;
Qu'y puis-je si j'engendre à l'issue de l'étreinte
Un guerrier tout armé avec du poil au cou,
Si nos spermes mêlés font lever tout d'un coup
Sur les rocs dénudés, des champs de térébinthes.




4. LEG DE DIONYSOS A L'HUMANITE

Tu m'avais réclamé ton salaire en nature,
Prosumnos, pour m'indiquer le chemin ardu
Qui descend aux Enfers; je t'apportais ton dû:
Mon cul anticipait ton hommage immature.
Hélas de vils brigands, posant leurs mains impures
Sur ton flanc, t'ont percé de leur glaive éperdu,
Et je dois trouver un moyen inattendu
D'honorer mon serment, seul, sur ta sépulture.
Dans l'olivier qui pousse au pied du tumulus,
En souvenir de toi j'ai sculpté un phallus
Et j'ai dit, m'asseyant d'un coup sur la sculpture:
« Sur mes autels, posez ce cadeau ambigu,
Mortels. Il fait mêler aux pleurs des cris aigus
Et pousse à préférer au réel l'imposture.»
















HERCULE



5. D'HERCULE A HYLAS

Comme Ulysse ou Pélée, le protégé d'Acaste,
Au Pélion j'ai rempli l'office puéril:
Dans l'antre de Chiron je fus passif, car il
Enseignait la musique à tous ceux de ma caste.
Las! le Centaure à qui l'on m'avait confié chaste
Me tira de l'enfance à grand coups de pénil;
Je n'ai cessé depuis de me mettre en péril
Afin de retrouver sensation aussi vaste.
Si tu trouves mon neud trop rugueux ou trop long,
Songe à l'épreuve que m'infligea l'étalon.
Sur le mur de la grotte, écris, en ce jour faste
Un graphiti vôtif, c'est l'usage civil:
" Hercule m'a baisé, mais dans l'assaut viril
Ma bravoure égala celle de mon éraste. »






6. HERCULE AU VIOLON

Poète n'attends rien de l'animal féroce:
L'Art ne le pare pas plus qu'un colifichet,
Les flèches de l'Amour sur lui font ricochet,
Et pour remerciement, il ne te rend que bosses.
Vraiment c'était, Linos, un trop grand paradoxe
Que d'apprendre à Hercule à manier ton archet;
Au géant musculeux en vain tu reprochais
De jouer du violon avec des gants de boxe.
En gourmandant l'élève un peu trop vertement,
Tu reçus en pleine tête ton instrument,
Et pour prix de ton érudition, le colosse
T'a écrasé entre ses poing comme un hochet;
Des cordes du violon, il a fait un crochet
Auquel il t'a pendu, emmanché sur ta crosse.




7. LES CERCOPES

Ils croyaient que le coup viendrait de leurs sujets,
D'un singe de leur race, habitant Pithécuse,
Car leur mère avait dit: " Les Dieux de vous s'amusent,
Votre vainqueur arrive au terme du trajet.»
Il a la cuisse noire et son poil couleur geai
Souligne l'éclat froid de son regard de buse. »
Les simiesques jumeaux tentèrent par la ruse
D'abuser malgré tout de l'hôte qu'ils logeaient.
Tandis qu'il les pendait par la queue à sa gaule,
Ils virent, mais trop tard, courir sur les épaules
D'Hercule la toison de funeste couleur;
Aux plaisantins , le sort fait trop souvent la pige:
Le proverbe grec dit: " Prends garde au mélampyge! »
Car on ne sait jamais d'où surgit l'enculeur.

8. MORT D'UN STRATEGE

"Tout notre espoir se meurt" dirent les généraux
Au quadruple vainqueur des guerres helléniques.
Ton génie reconnu demeurera unique;
Tu nous laisses sans descendant et sans héros.
- Je lègue, en plus de nos ennemis massacrés,
Ce corps d'élite, le secret de mes victoires,
Ce régiment d'amants qui méprisent la gloire,
Les guerriers invaincus du Bataillon Sacré.
Si la peur de la mort un court instant les touche,
C'est qu'ils tremblent pour ceux qui partagent leur couche.
Thébains, pour m'honorer vous n'aurez qu'à jucher
Les corps de ces soldats qui suscitaient ma flamme,
Entre mes bras, tout au sommet de mon bûcher."
C'est sur ces mots qu'Epaminondas rendit l'âme.

6. HEREDITE

Les Persans., les Indiens n'ont pu briser ta nuque;
C'est la grippe qui t'a renversé, Ephestion.
Je mettrai l'univers entier à la question
Puisque je n'ai plus rien, que Bagoas l'eunuque;
Avec lui je fais la volupté comme on truque,
Avec toi je faisais l'amour dans mes bastions,
" Alexandre c'est lui aussi » sans exception
Rétorquais-je aux envieux. C'est ainsi qu'on éduque
Les princes grecs; mon père par Pélopidas
Enlevé, fut le mignon d'Épaminondas.
De ce couple il apprit le rude art de la guerre;
Comme lui j'ai tenté, aimant trop les garçons,
De conquérir le monde, droit sur mes arçons:
On dit qu'à part ça je ne lui ressemble guère.







7. César, surnommé l'homme de toutes les femmes
Fut lui-même la femme de tous les maris.
Ses soldats triomphaux, menant charivari,
Derrière son char chantaient ces refrains infâmes:
"Nicomède t'a soumis comme toi les Gaules;
Que ne parade-t-il? Il t'a pris sans effort,
Toi, le chauve adultère, éjaculateur d'or.
En Bythinie, tu endossas bien l'autre rôle.
Non, ce n'est certes pas la crainte des anthrax
Qui te fait t'épiler les fesses au dropax".
Cicéron ne se priva pas de le reprendre;
Au Sénat, où César plaidait pour ce grand roi:
"Nicomède, dit-il, était donc bien adroit
De t'avoir donné plus que tu ne peux lui rendre".



8. Il servait le soleil, il avait quatorze ans:
Les soldats émus par sa beauté sans égale
Avaient fait empereur le prêtre Héliogabale,
Fils de Caracalla disaient les médisants.
Consacrant à Priape âne, coq et homard,
Il envoyait dans les bordels ses émissaires,
Ordonnant qu'ils ramènent pour le satisfaire
Les heureux possesseurs des plus gros braquemards.
"Comment aimer" dit l'historien en son courroux
"Un prince occupé à se remplir tous les trous
Et qui veut épouser ses garçons de cuisine?"
Au bout de quatre années de règne, avec mépris,
Ses assassins au Tibre ont jeté les débris
De son corps après lui avoir tranché la pine.












PARAPHRASES

1. Pacificus Maxime, Elégie 20

Ma bite n'est pas née ou a chu: minuscule,
Elle est si rétractée qu'à peine on peut la voir;
Le Sort m'a castré sans même user d'un rasoir.
On prétend que la queue pousse à ceux qu'on encule:
Les membres les plus gros m'ont fouillé les entrailles,
On m'a mis le cul en compote nuit et jour;
Elle devrait me pendre aux pieds: j'attends toujours,
Mais mes excès n'ont fait qu'en réduire la taille.
Car c'est le rêve ardent de tout jeune balourd
D'avoir la main remplie par son verêtre lourd,
C'est pourquoi, naïf, j'ai tendu le cul sans cesse.
Mais on m'a abusé, rien ne sert de s'asseoir;
Nature injuste agit selon son bon vouloir
Et c'est en vain, hélas, qu'on se fie à ses fesses.


2. Pacificus Maxime, Elégie 20 (2)

Ne vous soumettez pas à la façon des bêtes:
Vos bouches sans duvet suffiront aux ébats.
Triste est le sort de qui, démangé par en bas,
A l'âge adulte encore à tout bourreur se prête.
De là vient que sans cesse en grattant l'on s'écorche;
Fistules et verrues croissent aux culs usés
De là vient le poil dru de ceux qui, médusés,
Passent de blanches nuits à genoux sous les porches.
Ajoutez à cela le teint jaune safran
L'odeur de bouc des corps livrés au moins offrant,
La peau molle et marbrée qui se fond avec l'âge
Si bien qu'il faut souvent cautériser au fer
Les fesses crevassées: pluie plus soleil d'enfer
Font de même éclater les pommes de Carthage.


3. Pacificus Maxime, Elégie 14

Etruscus m'amena son fils aux yeux de braise
Et dit: "contre ton flanc, qu'il couche nuit et jour;
Les dieux veuillent que tu le chérisses toujours.
Il sera bien savant si souvent tu le baises."
Comme l'enfant rétif semblait d'humeur chagrine,
Je répondis tout net: "Béni soit le bailleur,
L'écolier parait bon, je le rendrai meilleur,
Par tous les bouts, il me sucera ma doctrine."
L'élève prend ma queue, je lui tâte le cul;
Etruscus s'en va satisfait et convaincu,
Seul homme sage dans cette ville, repaire
D'esprits étroits, de fesse-mathieu, de censeurs.
Ah vrai! L'heureux garçon qui m'a pour professeur!
Qu'il remercie le ciel d'être né d'un tel père.




4. Martial, Epigrammes I X, 44

Femme, tu cries en vain quand je baise un garçon,
Tu prétends avoir un cul pour mon membre raide:
Junon n'a pas guéri Jupin de Ganymède.
Quand Hylas sous Hercule pliait sans façon,
Mégare en les trouvant fit-elle tant de bruit?
Daphné la nymphomane avait aussi des fesses
Mais Phebus préférait aux charmes qui s'affaissent
Le séant d'Oebalius ce jeune et ferme fruit.
Briséis couchait bien sur le flanc mais Patrocle
Au bel Achille aimait mieux crever le monocle.
Tous tes raisonnements sont foireux et abscons.
Cesse de donner des noms d'homme à tes affaires:
Songe à te taire, femme, il n'est rien à y faire,
Car tu n'as pas de cul, toi, tu n'as que deux cons.




5. Martial, Epigrammes I 58, XI 72

Le marchand me dit: " Mille écus pour ce garçon! »
Je ris bien fort, mais Fabio dans mon dos approche;
Sans discuter, vite, il met la main à la poche.
Ma bite contre moi réclame sans façon.
Je réponds: « Lui l'appelle son petit jouet;
A ce compte Priape lui-même est un Galle! »
Avec ce monstre-là, la lutte est inégale:
Sa flûte a enroué souvent qui la louait.
Tu me blâmes, toi, en célébrant ses largesses,
Mais sa queue seule est la cause de sa richesse.
Pauvre chose, ta cotte est bien basse à l'argus!
Accomplis donc pour moi de semblables miracles.
Avant que de porter ce veinard au pinacle,
Rapporte-moi autant, je dépenserai plus ...






6. Bob Mizer P.P. 56

Il est parmi certains clans d'Afrique un précepte
Qui exige qu'on ne circule pas cul nu;
Aux Samoas, c'est le nombril qu'aux inconnus
On cache: mais se couvrir le sexe est inepte.
Ramses permit que du châtiment l'on excepte
Celles qui montraient leurs oreilles. Fait connu,
En Chine, la seule vision d'un pied menu
Faisait rougir les courtisanes. L'on accepte
A Tahiti les partouzes en société
Mais dîner en commun est une obcénité.
Chez l'Eskimos il ne faut pas ôter ses bottes.
Quand tu mets ton maillot de bain sous ton futal,
Ne te semble-t-il pas, sauvage occidental,
Qu'empaqueter ta queue n'est que prévention sotte?


LES FILS DE MERCURE

1. Le lutteur comparait, nu, devant le xystarque;
C'est la tenue pour le combat et pour le bain.
" A quinze ans, dit le maître, on n'est plus un bambin,
Les peintres, les sculpteurs, les drauques te remarquent.
Les fils de patriciens dans l'exèdre chahutent;
Ils n'ont appris chez nous que l'art de bien parler
Et quitteront bientôt la palestre. Sers-les,
Puisqu'on t'a destiné au métier de la lutte.
L'émotion sexuelle est nuisible à ton art;
Aussi l'anneau brisé te clora-t-il le dard:
La fibule est la condition de ta carrière.
Gladiateurs et acteurs connaissent ta douleur;
Leur prépuce percé n'est que demi malheur:
Comme eux saches trouver le plaisir par derrière. »


2. Ton corps huilé, luisant du sable de l'arène
Ecorche mon cuir dur quand tu es dans mes bras:
Jamais encor, lutteur, autant tu ne cambras
Ton cul d'éphèbe sous mes aines de Silène.
Ne t'a-t-on pas appris qu'il est proscrit de mordre?
Quand ton nouveau patron, ce soir, sous les flambeaux,
Frottera sa queue torse en toi, comme un rabot,
Tu regretteras fort d'obéir à ses ordres.
Cinède, malgré tout est un état flatteur:
Redoute de finir comme moi fellateur.
Ma queue saigne pour toi aux trous de la fibule.
Dans l'étuve, plus tard, quand tu m'auras vaincu,
Écartant des deux mains les globes de mon cul,
Je dirai: " Lèche bien, car c'est là que je brûle. »
3. Tu connais la ceinture à rebours et de face,
Le bras roulé, le tour de hanche, c'est beaucoup;
Tu maîtrises surtout l'enlacement du cou,
Le violent croc en jambe par quoi l'on efface
Par trois fois l'opposant pour qu'il demande grâce.
A poings nus maintenant sache porter tes coups:
Parfois c'est le lutteur vainqueur que l'on recoud
Malgré tout à l'issue du combat de Pancrace.
Ne te trouble pas trop si quelques spectateurs
Se masturbent pour toi: ce sont des amateurs;
Remercie-les, et dans le cercle, sans peur, entre.
Comme fit autrefois Diogène le cynique,
Ils répondront hautains aux détracteurs iniques:
" Ah, si la faim cédait en se frottant le ventre! »



4. Comme l'époux offrait lors des noces agrestes
La ceinture volée par Mercure à Vénus,
En te souhaitant santé, beauté, force et tonus.,
Pour vaincre avec éclat je te remets tes cestes.
Ces gants de cuir tressé alourdiront ton geste
Car les fers en saillie dont on les arme en sus
En déchirant la peau font craquer l'os, c'est l'us:
Le plus défiguré de sa valeur atteste.
Mais si tu te levais après le pugilat,
Vivant quoique vaincu, dénouant l’entrelacs
Des liens à tes poignets, crains que je ne m'empresse
De te coucher saignant, et n'use au maximum
Des lanières cloutées comme d'un flagellum
Pour te marquer le dos et t'étriller les fesses.



5. MERCURE

Ta bourse dans la main comme autrefois Priape,
Dieu des voleurs tu n'es plus qu'un génie déchu.
Ton manteau s'est mité et ton pétase a chu.
Enfants, mendiants, cul nu, se disputent ta cape.
Oublies-tu qu'aux danseurs tu enseignas la lutte,
Le pancrace, le pentathlon, les sports, les arts?
Tu protèges tous les tenanciers de bazar.
Les brigands à chaque carrefour te culbutent.
Au Cirque Maximus, qui vient solliciter
Ton conseil quand même tes prêtres t'ont quitté?
Dans l'arène aujourd'hui, pitre, l'on te destine,
A toucher de ton caducée chauffé à blanc
Les gladiateurs tombés pour voir s'ils font semblant,
Auquel cas on leur plonge un fer dans la poitrine.
6. LISTE

Arpin, Dubois, Faouët, Sabès, maîtres es ruses,
Marseille jeune, aîné, Pietro et Abdullah,
Kara-Ahmed, Osman, Pytlasinski, Nourlah,
Tobie de Toulouse et Doublîé de Vaucluse.
François et Buisson de Bordeaux, Franck de Montmartre,
Achille du Mont-Ventoux, Hackenschmidt, Hitzler,
Léon Dumont, Paul Pons, et de Bouillon Omer,
Ou Lagneau de Paris contre Etienne le Pâtre.
Ils étaient forgerons, maçons, soldats, vachers,
Lepy le géant, Raoul, Constant le Boucher,
L'Aimable, Dumortier, champions de la culbute,
Gambier, Crest, Van den Berg, Ganzouin et Fénelon.
Falguière les a mis torse nu au Salon:
En France ils ont écrit l'histoire de la lutte.

7. BORD DE TAPIS

Dans la salle où l'on a disposé quelques chaises,
Les lutteurs au repos finissent leurs sandwichs.
Ils s'étirent, prennent des attitudes kitsch
De vacanciers assis sur le bord des falaises.
Il rit, à demi nu, il a quinze ans ou seize;
De l'entraîneur, au loin, il n'entends plus le speech.
Remontant son T-shirt tout écrit en english,
De ses tétons durcis il écrase les fraises.
Puis, baissant sur ses cuisses son survêtement
Il montre à ses copains, fier douloureusement,
Le début d'érection dont la tension l'épuise,
Avant qu'un de ses équipiers, compréhensif,
Se dévoue pour apaiser ce rut excessif,
Sachant qu'il se bat mieux quand les fesses lui cuisent.

8. PASSIVITE

Le choeur des supporters se désole ou s'épate:
Au mot de «  bleu au sol » répond : «  Rouge passif! »
Jamais en aucun lieu tant de cris agressifs
N'ont réclamé qu'un gars se mette à quatre pattes.
Crispé et honteux, les pros de la carapate
Sont plus en danger dans leur zèle défensif
Que qui creusant les reins offre un cul expressif
Dressé au long limage et aux grands coups de latte.
L'adversaire appliqué à feindre le fouteur
Tremble sous la pression d'un pied inquisiteur
Et l'autre le retourne avant même qu'il bande;
L'apparence est trompeuse et le mot peu poli,
Mais au combat souvent, pareillement qu'au lit,
Celui qui est couvert tient ferme les commandes ...







LEGIONS

1. MITHRA PARLE

Moi aussi je suis le soleil; je viens d'Iran.
J'ai voyagé avec les armées d'Alexandre;
Feu vivant, j'ai réduit mon créateur en cendres
Et coiffé le bonnet phrygien du conquérant.
Je promets aux soldats l'autre vie dans mon ciel
Pourvu qu'il mortifie en mon nom ses chairs tendres.
J'oins de miel, je baptise, et je pourrais prétendre
Que de l'Eucharistie j'ai forgé l'essentiel.
On dit que j'ai permis de sanglants sacrifices
Humains; mes concurrents m'attribuent tous les vices:
Mon astre en huit cents ans pourtant n'a pas décru.
Avec César j'ai émigré jusqu'en Bretagne.
Mes fantassins n'avaient pas besoin de compagnes.
Mes cavaliers velus savaient monter à cru.


2. INVITATION DU CENTURION

Sous la grille où le Père égorge le taureau,
Nous nous réunissons, compagnons de cohorte;
Nous scellons dans le sang l'union qui nous conforte;
Nos muscles sont aussi durs que nos pectoraux.
Corax, gryphus ou lion, tous soldats et héros,
Nous fixons nos manteaux, sur nos poitrines fortes,
Aux anneaux de nos seins; dans la grotte qu'importe
Que nous couchions à plat ventre sur le carreau.
Seuls les mâles sont tolérés dans notre culte;
Les chrétiens, nous pillant, nous abreuvent d'insultes.
Tu en sais déjà trop sur nos rites, benêt.
Au solstice d'hiver, nu mais ceint de lauriers,
Viens avec nous légionnaire, chibre dressé,
Courir les rues de Rome en criant: « Il renaît ».







3. PORTRAIT AVEC CHAR D'ASSAUT

Nulle autre confrérie n'a semblables coutumes:
Qui d'autre, par vingt-quatre, au pas s'en va pisser,
Et se veut élégant, fusil au corps vissé,
Le paquet comprimé dans un étroit costume?
Sans femmes dans leurs rangs, les armées, d'âge en âge,
Se reproduisent comme les fleurs du buisson.
Leurs belles traditions leur donnent le frisson,
Leur rêve fraternel se nourrit de carnage.
Trente siècles ont fait cette expression du beau
Qu'incarne le trouffion plaisantin et cabot,
Qui, assis sur le fût du canon, prend sa taffe,
Souffle par les naseaux le désir qui le tend,
Laissant à l'entrejambe une main trop longtemps
Sur sa queue qui raidit devant le photographe.


4. LEGIONNAIRE

Je n'ai aimé personne, et ce fut mon seul crime;
On ne peut pas prendre mon visage en photo.
A mon engagement, sur mes deux biscoteaux
J'ai tatoué en bleu la mention « anonyme ».
Mes chefs, mes compagnons sont ma seule famille;
Ils me donnent l'amour avec le châtiment;
De la douleur je suis l'impénétrable amant:
Je deviens orphelin quand je me déshabille.
Mon histoire s'écrit sur mon corps balafré.
Je sens le savon noir et le relent camphré
Du désinfectant que je répands dans les chiottes.
Ne me suis pas! L'usage veut, que, sans céder,
Je te casse la gueule avant le cul, pédé,
Et j'ai moins que tu n'espérais dans la culotte.


5. L'oeil bleu, cheveux blonds ras, moustache noire immense
Pour viriliser des traits par trop féminins,
Le général Lyautey, colérique et canin,
Ramena le Maroc sous l'aile de la France.
Bravant les ordres et le feu, plein d'arrogance,
Ce héros, cerné, dit à ses lieutenants: " Bien,
Récitez-nous des vers, ainsi si la mort vient,
Nous ferons jusqu'au bout assaut d'extravagance. »
Son harem de soldats le suivait où qu'il fût,
Et ses aides de camp entendaient le raffut
Des râles de leur chef à travers les persiennes.
Clemenceau porta ce jugement: " Invaincu,
Cet homme-là, vraiment, a des couilles au cul ...
Même si ce ne sont pas forcément les siennes. »



6. VOCATION

Autrefois, lorsqu'on ne collait pas à la norme
Et qu'on avait des femmes un goût modéré,
Aimant peu les enfants pour s'établir curé,
Avec empressement on vêtait l'uniforme.
Pour trouver des amants à ses désirs conformes,
Forts et respectueux, seuls et désespérés,
Rien ne pouvait valoir, horizons désirés,
Les lointains coloniaux aux sociétés informes.
«  En Afrique, à Alger, à Marrakech ou Souss,
Disait Lamoricière, nous en étions tous! »
Avec Vidocq, les flics pointèrent sur la liste.
Mais aujourd'hui où tout écart est toléré,
Pour vivre d'aventure en pays tempéré,
Il faut être pompier, rugbyman ou cycliste.









HISTORIETTES



1. Le très saint Père Sixte adresse cette bulle
Aux ministres de Jean de Latran: " Désormais,
Durant les mois d'été, soit à partir de Mai,
Considérant les effets de la canicule,
J'autorise la sodomie si l'on promet
D'en user qu'entre gens d'église mais jamais
Avec ceux qui sont placés sous votre férule;
Afin de limiter le désordre régnant,
Sixte rend votre apostolat moins contraignant
Mais, pour ne point choquer par la ville, stipule
Que son arrêt demeure secret, et, qu'au moins,
La chose soit toujours perpétrée sans témoin
Et qu'on fasse silence pendant qu'on encule. »





2. LES MARECHAUX D'EMPIRE AUSSI MEURENT D'AMOUR

Habite-t-on à deux une étroite mansarde
Des mois durant sans quelques moments de plaisir,
Quand général sans solde on a pour tout loisir
De voir brûler le seul soldat qui vous regarde?
Celui qu'on avait fait commandant de sa garde
Après Toulon, car il était beau à ravir
Ce blond sergent de vingt-deux ans sans avenir
Qui nourrissait son chef et nettoyait ses hardes.
Quand tu ne l'aimas plus, fallait-il qu'à sa femme
Tu te plaignes qu'il t'envoyait des mots infâmes,
Et qu'au soir de sa mort, craignant les tribunaux
De la rumeur, tu dépêches chez lui tes sbires
En leur recommandant pour le bien de l'Empire
De brûler tous tes billets d'amour à Junot?


3. Cambacéres, qui refondit les lois en France,
Arrivait au conseil avec force retard;
Il dit, comme on le questionnait de toutes part:
" J'avais un rendez-vous galant, et d'importance! »
Napoléon regarda avec insistance
Son archichancelier qui, vêtu en soleil
Se promenait suivi de tout un appareil
De gitons, au Palais-Royal de préférence.
La postérité l'a affublé du surnom
« Tante Urlurette » sans amoindrir son renom.
L'Empereur reprit: " A cette personne sotte
Vous ne manquerez pas de dire à l'occasion
Qu'elle mette un peu plus de précipitation
A ceindre son épée et à chausser ses bottes.»


MICHEL-ANGE

Certe, il était hanté d'un étrange tourment
Lorsqu'il sculpta ces corps noués par la torture
Et les torses de géants dont la démesure
Lui rappelait l'ardeur d'improbables amants.
La Sixtine achevée, vieux, misérablement
Il forgeait des sonnets de tragique facture
Et payait aux voyous en quête d'aventure
Le tribu du mépris des beaux au bois dormant.
On a tronqué ses vers et du voile du doute
On a couvert le sexe du Christ sur la voûte,
Car l'église a changé depuis que Jules II,
Clouant le bec aux détracteurs des sodomites,
Clamait: " Ce péché véniel n'a rien de hideux
Et on l'absout avec trois giclées d'eau bénite ».

ROMANTISME NOIR


1. Heureux temps où dans les académies d'artistes
Le corps nu féminin offensait la pudeur
Et qu'ouvriers, soldats, forts des Halles, rôdeurs
Posaient ficelés des bergers irréalistes.
Théodore traçait des esquisses adroites,
Tant, que le professeur disait élégamment:
" La figure ressemble à l'homme vaguement,
Comme un violon peut ressembler à sa boîte. »
Il les modelait tels qu'il voyait ses héros:
La croupe d'un cheval et le cou d'un taureau,
Les mains larges, des bras à manier la hache.
Bientôt il irait voir au cirque les dresseurs
Et, garde national, peindrait en connaisseur
Cavaliers blessés et lieutenants à moustache.


2. Fuyant la société des dames de Florence,
C'est à Rome tout seul dans un odieux taudis
Qu'il se bâtit un masque d'artiste maudit
Que la nuit livre à de périlleuses errances.
Les lettres racontant à ses amants de France
Ses émotions devant Michel-Ange, pardi!
Ont toutes disparues, et l'obscur paradis
Italien passe pour le palais des souffrances.
Dans le Trastevere, il croquait les vachers,
Les garçons d'écurie et les taureaux lâchés.
Dans le public des exécutions capitales,
Las de ne peindre que les couilles des chevaux,
Ecrasé par tant d'art dans chaque caniveau
Enfin libre, il goûtait aux extases brutales.


3. " L'annexe de la morgue est au faubourg du Roule »
Diront les rares visiteurs de l'atelier:
Têtes, bras mutilés, par les hospitaliers
Lui étaient apportés à l'insu de la foule.
Les rats hantaient la nuit ce repère de goules;
Ça sentait le cadavre dans les escaliers,
Jusqu'au fond du réduit où Jamar l'écolier
Offrait son dos zébré au maître sans cagoule,
Lequel pour mieux monter lui ajustait le mors.
Cinq mois reclus, en créant, ils firent la mort:
Tous les moyens sont bons pour que le génie fuse.
Car, étudiant les jaunes verdâtres des chairs
Et les muscles du nègre Joseph pour pas cher,
Il terminait Les Naufragés de la Méduse.

4. Le chirurgien ouvrit en désespoir de cause:
Il gratta l'os carié sous l'abcès de son dos.
Il opérait à vif: agrippé au rideau,
Le patient subissait la douleur lèvres closes.
Avec le mal physique, il était en osmose.
Rageant que la vie ne lui ait pas fait cadeau
De cinq bons tableaux, il ravalait son radeau
Au rang des vignettes que les journaux proposent.
Avant que de s'évanouir sous le scalpel,
Il vit tous ces projets condamnés sans appel,
Dans l'esprit relégués plus loin qu'en une cave:
Des vues d'assassinat, des portraits de gibet,
Estrapade, torture, et, sous les quolibets,
Les bourreaux flagellant de musculeux esclaves.






ROMANTISME ROSE


Dédiant ses valses aux comtesses poitrinaires,
Il faisait se pâmer les salons parisiens.
Le sens importe peu dans l'art du musicien;
La passion passe pour cri révolutionnaire.
" C'est le canon qui l'a guéri disait sa mère,
Sans savoir que ce canon qu'il avait fait sien
Nichait sur deux boulets entre les poils pubiens
D'un Hercule polonais et permissionnaire.
Il écrivait: "Je dis, quand tombent sous mes doigts
Les notes, cet amour qui n'appartient qu'à toi;
Je cache tes billets comme un ruban d'amante.
Sache que, loin de toi, en jachère, lopin
Qu'on ne laboure plus, en scherzi se lamente,
Titus Woycechovsky, ton Frédéric Chopin. »
















BOURREAUX



1. VEPRES SICILIENNES

Palerme avait connu trop de tyrans hideux:
Charles d'Anjou fut accueilli comme la lèpre.
Français, c'est votre glas que sonnèrent les vêpres
Du vingt-huit avril Mil deux cent quatre-vingt deux.
Le prétexte fut simple à ce massacre atroce:
Drouet, un soldat provençal avait fouillé
Une mariée qui voyant son honneur souillé
S'était donné la mort au matin de ses noces.
Un seul fut épargné de tout le contingent,
Pour qu'il pût raconter à son retour en France
Comment les siciliens exercent leur vengeance.
Et c'est ainsi, qu'au lieu d'anchois, pour leur argent,
Les marchands marseillais durant des mois reçurent
Des tonneaux de queues et de couilles en saumure.






2. LE BOURREAU DE NAPOLEON

Juin Mil huit cent: Barthélémy parvint au Caire
Le tribunal, cédant à l'usage local,
Voulait que l'assassin de Kléber par le pal
Subît devant ses pairs un supplice exemplaire.
Pour le bourreau aussi c'était une première:
Il élargit l'anus en taillant au couteau
Avant d'y enfoncer à grands coups de marteau
La tige à bout rond qui y disparut entière.
Souleyman el Habi au pied de l'Institut
Un demi-jour hurla avant d'être abattu;
Son cadavre a pourri, emmanché à sa poutre.
L'histoire ne dit pas si le bourreau, mandé
De France, regarda l'agonie sans bander,
Ou s'il souilla son froc de force jets de foutre.





3. Zeljko n'était qu'un petit flic dans le civil;
Son zèle lui valut d'être fait capitaine
Du camp d'internement d'Omarska: une veine
Pour un gars amoureux de son métier (si vil).
Bravant la pénurie, avec délectation
Il inventa des fouets en câbles métalliques
Lestés de lourds boulons et des gourdins phalliques
En branches d'épineux pour la flagellation.
Le spectacle commun du viol collectif dure
Peu par rapport aux délices de la torture.
L'amateur d'art en lui était écartelé:
Musique pour les cris, sang, balafres, peinture!
Aux exécutants mous, avec désinvolture
Il disait: « Cingle au sexe avec le barbelé! »


4. Dusko Tadic, gérant de bar, karatéka,
Deux enfants, faisait prof de gym avant la guerre;
Ses soldats étaient ses élèves de naguère.
il gardait ses voisins d'hier au camp d'Omarska.
Fikret le musulman excitait sa colère:
Il le fit mettre nu à coups de knout, et puis
Au sous-fifre sur lequel il prenait appui,
Ordonna de bien lui lècher la raie culière.
La victime insensible à cette humiliation
Exacerba un peu plus fort sa frustration:
Dusko dit: « Castre-le! Avec les dents, minus ».
Le soldat appliqua son ordre à la virgule;
Après avoir craché un sanglant testicule,
Il mit au prisonnier deux balles dans l'anus.



5. REMISE DES AILES

L'Amérique choquée découvrit, hypocrite,
Dans le journal du soir, à la télévision,
Comment chez les Marines, avec dérision,
On remettait l'insigne aux soldats émérites.
Les ailes qui paraient le poitrail des bleu-bites
Etaient fixées à coup de poing pour l'occasion;
Leurs pointes acérées laissaient des contusions:
Deux ruisselets de sang parachevaient le rite.
On a protesté haut et fort, un mois entier,
Puis plus rien; c'est le sort des armées de métier.
Personne n'a parlé des épreuves nocturnes;
Car les victimes sont les bourreaux de demain.
Sur qui, sinon les siens, se ferait-on la main
Pour les balais au fion et le jus dans les burnes
CYCLE


1. Champion de la pédale, en ton cuissard grenat
Dont l'élasticité révèle les moelleuses
Rotondités, la triple bosse avantageuse
D'une virilité que nul ne condamna,
Tu ne dérobes rien au spectateur acerbe
De ce que Dieu a mis entre les muscles durs
De tes cuisses nouées, et tes mollets sont sûrs.
Tu t'ouvres le chemin par tes jambes imberbes.
Pour fendre l'air, dit-on, tu te rases la peau,
Pour que le masseur glisse mieux quand, au repos,
Tu lui tends tes tibias légèrement convexes.
Que pour la selle tu te dépoiles l'anus,
Je comprends; mais dis-moi, macho, pourquoi, de plus,
T'es-tu senti forcé de t'épiler le sexe?


2. Le public t'applaudit, machine, homme-robot,
Emmanché sur ton cadre au bout d'un tube oblique.
Sans ton engin, tu n'es qu'un torse famélique:
Tu claudiques comme un citadin en sabots.
Au-dessus du nombril, sec comme un coup de trique,
Centaure ou Chèvre-pied, tu n'es qu'à moitié beau:
Tes jambes de titan, ton buste de nabot,
Ton bronzage en morceaux te donnent l'air comique.
Poussé trop haut trop vite, avec ton corps d'ado,
Tu es plus excitant quand on te voit de dos,
Quand ton cul frotte sur la selle qui le brûle.
Tes jarrets découplés contractés dans l'effort
Rappellent au voyeur qu'ignorant le confort
Tu te mets en danseuse aussi quand on t'encule.


3. C'est sous l’œil égrillard du docteur amical
Qu'on te prie de pisser à l'issue de la course,
Le cuissard aux genoux pour qu'on voie bien tes bourses.
A quoi penses-tu quand tu remplis ton bocal?
Loin les lèvres avides de ta femme ... Mon!
Tu rappelles les images qui te dégoûtent:
L'odeur crue des chambrées, le copain qui se shoote,
Les douches en commun dans un froid cabanon.
Les culs blancs finiront par te mettre à l'amende:
« Faites, que sur commande, ô Seigneur, je débande! »
Supplie l'athlète étonné de ses réactions.
Cinq minutes plus tôt sur la ligne fatale,
Croyait-il que le lycra de son cuissard sale
Suffisait à dissimuler son érection?


4. Tu souffres près de moi quand j'ai les grosses cuisses;
Nous faisons chambre commune mais lit à part.
Je vais te rechercher quand tu es en retard,
Je porte tes bidons et toi mon couteau suisse.
Victorieux, tu m'étreins, tu dis: « nous en rêvions »
Quand j'ai travaillé dur afin que tu t'échappes.
J'espère à l'arrivée une petite tape
Au cul; c'est moi qui plane quand tu fais l'avion.
Tu l'entends bien qu'en te parlant ma voix s'enroue.
Je voudrais faire mieux que de sucer ta roue
Quand je ne vois plus rien tête dans le guidon.
Dans le noir J'épie tes gestes quand tu te couches.
Pourquoi préfères-tu ton poignet à ma bouche
Quand tu peux te servir sans demander pardon.


5. Aujourd'hui le journal titre pudiquement
Que tu as « des problèmes de selle »: limpide!
La France est suspendue à tes hémorroïdes,
A ton prurit rectal, fruit de l'échauffement.
A la télé trois fois on a montré tes fesses
Quand le docteur t'a mis un doigt au fondement.
On l'a vu de loin tartiner copieusement
Ta raie rougie qui fait la une de la presse.
On parle des diarrhées qui t'irritent l'oeillet;
A la longue on croirait que la nuit, au maillet
On t'enfonce les godes et les plugs par douze.
Ne t'étonnes donc pas si un beauf attiré
Par le souvenir de tes cuissards déchirés
Tout en t'encourageant crie dans ton dos « Tantouze! »


6. Equipier, tire-le! pousse-le fort au cul,
Sur la pédale il a la socquette légère,
La selle lui rentre dans le fion: tout suggère
Que ton grimpeur, sec, a déchargé ses accus.
Tu es son fer de lance, tu es son écu,
Tu es le berger de ce prince sans bergère;
Tu baragouines mal dans sa langue étrangère
Où courage s'écrit avec B ou grand 0.
Tu travailles pour décorer ses étagères,
Son affection n'est qu'une crampe mensongère;
Tu le regardes comme un dieu, pauvre cocu.
Tu excuses sa défaillance passagère
En te disant (mais tu sais que tu exagères):
« Dans la côte le poids de sa queue l'a vaincu. »


SUPPORTER


1. Ses deux bras recouverts de poignards et de crânes
Serrent la poche à bière qu'est son estomac:
Il ne sait plus trop bien quand l'alcool l'assomma;
L’œil trouble, en beuglant des chants de chambrée, il crâne
Il traite d'enculés les joueurs et l'arbitre,
Il agite avec fierté son drapeau français
Lorsque Mohammed marque ou bien Karim, qui sait?,
Il crache sur le beur mais applaudit le titre.
La svatiska qu'il s'est fait graver sur le cul
Le cuit moins que la voix - vrai cauchemar vécu -
Qui répète obsédante et sur un ton allègre,
Sous son front bas rasé, dans sa tête sans tifs,
A voir les africains renforçant l'effectif:
"Quel goût ça peut avoir une bite de nègre?"


2. On a perdu: on a cassé, et les bouteilles
Ont méchamment volé au-dessus du public:
On a castagné dur pour repousser les flics;
La vidéo n'a vu qu'un bout de nos oreilles.
Après sur le touriste on a pissé nos bières
Et fait un feu de joie avec deux trois autos,
Puis les mecs dans le bar ont sorti les couteaux;
En vomissant, j'ai remonté la Cannebière.
Le reste de la nuit, dans des lieux successifs
Je me suis livré à l'abattage intensif;
Que fais-tu d'autre quand ton univers s'écroule?
Au jeu de boules, nu, près du parc Borelli,
Jusqu'au petit matin, seul, ivre, démoli,
Je me suis fait casser le cul par les bougnoules.


3. Je ne mérite pas, si tant est que je puisse,
De te lécher les pieds, de te bouffer le cul.
Grâce à ton coup de reins, aujourd'hui j'ai vécu
Le plus beau jour, buteur, grâce à tes fortes cuisses.
Dans la foule des fans en quête d'autographes,
J'ai effleuré d'un doigt ton short mouillé collant
Et j'ai senti ta queue et tes couilles ballant;
Toi, tu t'es laissé peloter sans faire gaffe.
Malgré ta chaîne en or qui vole par à-coups,
Malgré les cheveux longs qui te mangent le cou,
Ce n'est rien moins que Dieu pour moi que tu incarnes.
Imitant la posture humble du musulman,
J'attends que tu me fasses hurler méchamment
En me collant ton but tout droit dans la lucarne


MELEES


1. Héros aux bras robustes noués dans le môle,
Vos nez cassés et plats vous donnent l'air râleur.
Vos oreilles tirées ouvertes en choux-fleur
Sont des bijoux cassants martelés dans la tôle.
Vous avez le regard noir des gens qui s'enrôlent,
L'accent du sud profond, le ton vif et hâbleur,
Le ventre des buveurs de bière, la couleur
Rose des beaux bébés, mais du poil aux épaules.
Vos mollets à l'ovale charnu, ces ballons,
Jaillissent des bas comme de jumeaux melons.
Dans vos corps de géant un seul détail détonne:
Si vous abattez un mec d'un revers de main,
Entre vos jambes larges comme des colonnes
Ne se niche souvent qu'un sexe de gamin.


2. La bagarre est virile et les mêlées sont chaudes
Les coques en plastique frottent dans les poings;
La boîte à gifles s'ouvre à tout espoir de point.
Fourchettes et coups bas insidieusement rôdent.
Les piliers, se courbant, dans un « han » se taraudent;
La fumée des corps chauds flatte leur embonpoint.
On grogne, on pleure, on crie mais on ne cède point,
On se bourre au hasard de coups de pieds en fraude.
Le talonneur furieux a sèchement mordu
Une oreille, arrachant un bout d'ourlet tordu;
Son vis-à-vis s'est relevé saignant et pâle:
Le demi d'ouverture alors a chuchoté
Au fautif mâchouillant le cartilage ôté:
« L'arbitre n'a rien vu, cache la preuve: avale! »


3. C'est à l'homme et demi, au gros, au roc, au bœuf,
A la montagne à la pilosité trompeuse
Que je m'attaquerai, profitant des rugueuses
Altercations créées par mon numéro neuf.
Lui déchirant son short sous l'oeil inquiet des keufs,
Méprisant les sifflets de la foule houleuse,
Je lui mettrai un doigt au cul criant: « hein? Gueuse,
Je l'ai rentré profond, tu es plein comme un oeuf! »
Et si pas un de mes coéquipiers ne bronche,
A coups de pieds il me défoncera la tronche;
Mais tant pis, j'ai parié, je serai courageux.
S'il m'en laisse le temps, j'ajouterai, cynique,
Regrettant qu'il soit la victime et non l'enjeu:
« Si tu n'aimes pas ça, dis-moi pourquoi tu triques?»





4. LES GAGNANTS

Dans le bassin étroit la forte odeur de chlore
Se mélange aux vapeurs de champagne, d'alcool;
Les vainqueurs parodient les plongeurs de haut vol.
Les chants et les hoquets ont commencé d'éclore.
Les joueurs échangent des tapes indolores,
Se coulent par bravade et s'attrapent au col:
L'un se lave les dents en compissant le sol,
L'autre avec volupté lâche un pet inodore.
La presse vient jeter sur leurs ébats secrets
Un regard amusé mais par trop indiscret
Car serviettes et shorts ont glissé sur les lombes.
Le basque assis dans l'eau dit à l'interviewer
Tout en se masturbant sous son nez sans pudeur:
« J'astique après le match pour que la tension tombe... »




5. LES PERDANTS

Dans le camp des vaincus le vestiaire bourdonne
De propos échangés tout bas entre des pleurs.
Sur les torses velus des avants en sueur
Les jeunes se rechargent en testostérone.
« Je n'avais plus de jus » dit, pour qu'on le pardonne,
Le trois-quart qui s'est blotti contre le buteur,
Lequel, le consolant d'un index chahuteur
A travers le short lui caresse la colonne.
C'est ainsi que renaît dans ses yeux la lueur
De la fraternité. Un sourire tueur
Sur ses lèvres s'inscrit, et c'est l'eau à la bouche
Qu'il dit timidement en se déshabillant,
Posant en strip-teaser, mais le regard fuyant:
« Punis-moi en m'enfilant à sec sous la douche! »









FAITS DIVERS



1. « Monsieur le Président, j'ai dans le caleçon
La preuve indiscutable de mon innocence. »
L'accusé se dégrafe devant l'assistance:
Tout le tribunal est parcouru d'un frisson.
Autour du sexe on voit les circonvolutions
D'un serpent tatoué, un détail d'importance;
L'enfant, en ignorant l'imposante présence
Ne l'a pas signalé dans ses accusations.
« Que n'avez-vous plus tôt fait état de la chose? »
Dit l'avocat général figé dans sa pose.
« Si les jurés s'en remettent à mon avis,
Paralysé de peur, la petite victime
N'a pu mémoriser ce laid dessin intime:
Qu'on lui colle dix ans! » Les juges ont suivi ...


2. Il a ingurgité urine et excréments
Et même les mégots éteints sur sa poitrine.
Il s'est lavé les dents avec l'eau des latrines.
Les fils dénudés l'ont secoué vertement.
Sur son nez fracturé on a joui sciemment.
On a fait brûler du papier entre ses fesses.
Un pied de tabouret coincé avec adresse
N'a pas laissé de traces dans son fondement.
Sur les cinq mecs à cran partageant sa cellule,
Trois se sont tus. Les chefs disaient: « Il affabule,
D'ailleurs il est en bonne santé, et vivant! »
Les hommes sont méchants dès qu'on les met en meute.
Aura-t-il plus de chance avec les thérapeutes?
Il était déserteur. Il avait dix-neuf ans.


3. En décochant sa gifle, le maître de stage
Réprimande en public son apprenti retors:
« T'as pas honte, corniaud de gueuler comme un porc
Pour trois claques au fion et un pied de tringlage!
O.K. personne ne touchera à tes fesses;
Certains des ouvriers même tendront le cul;
Baise-les, tu n'auras plus à te préoccu-
Per du métier: tout seul, il rentrera sans cesse.
Va te plaindre: on rira! N'aies rien de plus pressé
Que d'apprendre la règle à ne pas transgresser:
Je donne du travail aux derniers prolétaires,
Sur la table je mets la viande et le hâchis,
Mais dans ma boîte chacun suce sans chichi,
Plombier, zingueur, couvreur, patron ou secrétaire! »






INVOCATIONS

1. C'est à ton avant-bras aux poils roux de renard,
C'est aux carreaux d'argent de tes Ray-ban, molosse,
C'est aux crins de ton cou, c'est à ta courte brosse
Que je parle ravi, mais pas à toi, connard.
C'est à ta voix qui a des doigts pour la cravache
Que je souris, c'est à ton alliance d'or blanc.
Dans ta bague serrée je m'écorche le gland,
Et je te baise parce que sur toi je crache.
La haine et l'abjection me poussent à jouir
De ta masse de chair qui a su m'éblouir:
La bandaison est très mauvaise conseillère.
Tu encaisses sans une plainte la douleur,
Tu as honte, tu tends le cul pour ton malheur:
Gerbe sur ton désir, vas-y, fais-toi mal, serre!



2. O Seigneur, donnez-moi des ouvriers balèzes,
Des flics au froc luisants tachés de points laiteux,
Des facteurs roux et des électriciens boiteux,
Des infirmiers pervers pissant sur les alèses.
Faites-moi des garçons-bouchers aux queues obèses,
Des camionneurs velus aux slips noirs et douteux,
De blonds plombiers vêtus de bleus moulant coûteux,
Et que ce zoo humain ne rêve que de baise.
Apprenez-moi surtout dans l'action à saisir
Ces astres, ces reflets imagés du désir
Que le hasard met à chaque instant sur ma route.
Bientôt je n'aurai plus la force de branler
Ma queue fripée, et au lieu de ces corps musclés,
Je n'aurai étreint que des espoirs et des doutes.














PHARAON



Voici que presque rien de ce fil ne me reste.

J.C.

1. Quelqu’un dormait ici : quelqu’un ? je ne peux croire
Qu’on sommeille innocent dans le sein des tombeaux,
Qu’on se couche en apnée dans la nuit provisoire,
Éviscéré et nu pour tromper les corbeaux.

Quelqu’un dormait ici ; mais au fait, quelle chambre
Aux murs de chaux, hantée de cauchemars laiteux,
Abritait le repos de ces corps qu’on démembre
Et qui se vident seuls de leurs fluides honteux ?

En silence, écoutant la mer briser ses marbres,
Ils ne peuvent crier aux vivants : « Ce sont eux 
Qui nous ont ligotés, droits comme des troncs d’arbre,
Sans le moindre silex pour rallumer nos feux. »

Les porteurs de flambeaux regroupés en cortège
Ont escorté au son des sistres aigrelets
Ce cadavre bourré de coton et de neige
Auquel tous les regards disaient : « Tu es trop laid ! »

Voici, fils du vent d’est, à l’issue des conclaves,
Que s’achève ton règne d’époux détesté ;
Comme un pou sur le peigne, enfermé dans la cave,
Tu dors dans le saloir, par le deuil empesté.
J’ai longtemps traversé les déserts de l’Égypte,
Ma peau de brique a cuit sous l’armure. Incendié
De désir sans objet, j’ai réclamé la crypte
Où les prêtres jaloux rêvaient de m’expédier.

Car un seul dieu, c’est trop déjà pour un seul homme,
Vif encor, j’étais un animal poussiéreux,
Brûlant de m’effacer, comme rageur l’on gomme
Un accent mal placé sur un mot injurieux.

Les guerriers de l’Empire, avec leurs poings d’ascètes,
M’ont bourré comme un sac de coups éblouissants :
Ils m’ont retourné comme une vieille chaussette ;
Je les ai remerciés en m’évanouissant.

Lorsque je regardais au fond de la citerne,
Je n’apercevais pas les dieux peints sur les murs,
La tête de Baptiste ou celle d’Holopherne ;
Il ne montait du trou que l’odeur des fruits mûrs.

Seul, le pourrissement des essences mortelles,
Le relent des nourritures de l’au-delà,
Des épis entassés dans la riche vaisselle
Qui chargeaient le vaisseau de mon prochain trépas.

Seul l’écho répétait la troublante prière
Que le soleil noyé pour son retour dicta ;
C’est en vain, qu’à témoin, prenant la terre entière,
Spirite, je disais dans le vide « Es-tu là ? »

Je rêvais, j’avais tort, rêver n’a pas de terme,
Et la nuit dans l’esprit porte mauvais conseil :
L’incube sur ma bouche ancrant sa lèvre ferme
Eteignait dans mon corps tout espoir de réveil.

Je rêvais de palais nés des ruines internes,
De bêtes au crin dur attendries par mon joug,
De soldats désarmants assis sur les poternes,
De fresques tracées sans repentir ni rajout.

Tous ces corps accouplés, au vibrant épiderme,
Dessinaient les vallées jumelles en amont ;
Je rêvais de morsure et de rosiers inermes,
De grottes habitées par de charnels démons.

Le soleil, attaché aux barreaux de ma cage,
Fumait, cierge odorant comme bois d’olivier.
Mes contrées se peuplaient de torves personnages,
Tableaux de fantaisie ébauchés en graviers.

Mon royaume tenait dans leurs bras qui se ferment,
Ils creusaient en pissant des fleuves encaissés,
Et les cités groupées nées de leurs jets de sperme
Coulaient sur le miroir des marais asséchés.

Dans la profondeur bleue tressant mes bandelettes,
Les orbites vidées par le bec des vautours,
Fantôme tâtonnant, je cherche les squelettes
Qui berceront ma nuit de grinçants mots d’amour.

Là, je n’entendrai plus danser les pieds d’argile
Des statues couronnées par le pschent, les bravos
De la foule attablée, ni les chants inutiles
Rythmés par le bruit sourd des souliers estivaux.

Comme les morts-vivants que la foudre ranime,
Tout danse et se répond à l’appel des tambours,
Hystériques amants dévorés de vermine,
Crabes entrelacés défilant à rebours.

Quelqu’un dormait ici, imitant l’écrevisse,
Quelqu’un qu’on a jeté dans l’Ebre ou dans l’étang,
Sous la fleur de lotus du Nil, ou les narcisses :
Il cueillait des roseaux pour sa flûte de Pan.

Dehors, devant la porte où la chambre s’entrouvre,
Dans le rayon radieux de la vie qui m’exclut,
Noctambule arpenteur de quelque vide Louvre,
Geôlier et prisonnier, je reste seul reclus.

Dans le vacillement des flammes des chandelles,
Je descends vers l’humide et sombre déversoir ;
J’efface à reculons les degrés de l’échelle,
Ignorant que la brise a rafraîchi le soir.

Les embaumeurs pressés qui m’avaient pris en grippe,
Par la blessure ouverte à mon flanc m’ont vidé ;
Ils m’ont, c’est leur travail, vraiment sorti les tripes,
Mais cette opération ne m’a pas déridé.

Avant de me couvrir l’abdomen de bitume,
Maniant habilement leurs crochets dégainés,
Pour me décerveler, comme on purge un bon rhume,
Par filaments, ils m’ont tiré les vers du nez.

Ils ont verni mon sexe à la peau colorée ;
Brisant mes os, ils ont placé, c’est leur devoir,
Entre mes bras croisés, dans la boîte dorée,
La verge d’Osiris, instrument du pouvoir.

Tel j’apparais, figé dans la pose immuable,
Parmi les miens égorgés par les zélateurs,
Et, des siècles durant, sommeillant sous le sable,
J’attendrai la venue des blancs profanateurs.

Leurs pioches, en ouvrant les huis des casemates
Répandront sur le globe en dépit du savoir
Les poisons mélangés aux subtils aromates
Dont je suis l’immortel et létal réservoir.

Mages et magiciens, profiteurs et prophètes,
Confondus dans l’étreinte intime du néant,
Nous nous envolerons quand passent les comètes
Sur l’étoile filante au sein des océans.

Nos atomes épars transformés en lumière,
Porteurs d’amours malsains et de pensers pervers,
Felouques transportant les matières premières,
S’en iront essaimer vers d’autres univers.




2. En fermentant, je n’avais plus, pour me distraire,
Que l’exemplaire orné du livre pictural
Qu’on déposa sur mon mobilier funéraire ;
Lui non plus ne m’a pas remonté le moral :

Tant que je brûlerai je ne serai point cendre,
Ma chair mal partagée gémira « Je me deux ».
Les morts en devenir ne veulent pas descendre
Des barques propulsées par les nochers hideux.

Sans cesse je succède à ma forme initiale,
Quelque nom qu’on me donne je suis toujours rat :
Contre moi le carbone nourrit sa cabale
M’empêchant de rentrer dans mon box, au haras.

Ah quitter les maisons dans l’incendie ultime !
Allumer des bûchers aux confins de l’orient,
Voler le feu d’étoile éclairant mal l’abîme ;
Ne plus recommencer mais s’abstraire en riant.

L’ennemi c’est le cœur, c’est le chantre impossible
Qui appelle au dernier balcon du minaret,
Ce chant de muezzin lorsqu’on n’est plus que cible,
Au sol, à croupetons, comme un chien, en arrêt.

L’ennemi, c’est le cœur, qui ne cesse de battre,
Avec la conviction de l’arracheur de dents,
Cet organe borné qui ne se met en quatre
Que dans le vil espoir d’un sort plus dégradant.

L’ennemi qui épie, c’est la matière brute,
La partition jamais achevée du désir,
Le corps handicapé qui continue la lutte
Et ne peut se résoudre à se taire et gésir.

Ne pas dormir, pour que le rêve se prolonge,
Surtout, ne pas fermer les yeux ; guetteur manchot,
A qui des bras puissants ont repoussé en songe,
Des bras pour arracher les grilles des cachots.

Ne pas manger, la faim, comme le couteau, tranche
Cette grappe de nœud dans l’estomac. En bas,
Ne vouloir se remplir que de paille et de branches
Comme l’épouvantail éventré au combat.

Rien n’y fait ! –ni la rage- il faut toujours qu’on morde,
Ni la lumière au bout des corridors secrets,
Puisqu’à hue et à dia on tire sur sa corde
De pendu débandé qui balance au gibet.

Promeneur renversé qui saigne sur la route,
Machine, tes tuyaux sont-ils enfin bouchés ?
Toi, l’idolâtre amant des abcès et des croûtes,
Quand, toute honte bue, pourra-t-on te toucher ?

L’émerveillement nuit et sa pâle étincelle
Me consume comme un mégot abandonné,
Propriétaire idiot de l’étroite parcelle
Où je pensais connaître un repos ordonné.

Car voilà qu’après trois mille années de silence,
On m’arrache au musée, pourrissant, paraît-il ;
On fourgue ma momie dans un cul d’ambulance
Et mon caisson plombé dans un avion civil.

Voilà que sur mon cas, des gens en blouse blanche,
Médecins, physiciens, se penchent à nouveau :
Pour mieux me conserver ils me coupent en tranches,
Dévidant du passé le fragile écheveau.

Semi-vie, demi-mort, habitent ma chair flasque :
Ne pas savoir choisir, c’est tout le drame humain ;
Les agents infectieux ont pénétré les masques
Des infirmiers penchés sur mes restes. Demain

Ils voudront me cloner et casser mes cellules,
Malgré les cris d’effroi poussés par les mollahs :
L’expérience ne sert de rien aux incrédules ;
Ils m’appelleront Koch, Marburg ou Ebola.

Moi qui n’ai pas aimé, ou sinon par paresse,
Cactus contemplatif satisfait du désert,
Je ne veux plus jamais, soleil, changer d’adresse
Ni me trouver mué en narrateur disert.

Je suis las de jouer seul dans des palais vides,
De retomber sans cesse en enfance, ivre et nu,
Las de toute émotion, aussi blasé qu’avide,
Las d’avoir décidé et d’être devenu.

Les Dieux m’ont convié au banquet: la table est pleine,
De fruits, de végétaux, d’animaux embrochés ;
Je ne sais pas saisir le sable de l’arène,
Qui s’écoule à mesure qu’on croit l’empocher.

J’étais enlacé à une effigie de glace,
La chaleur de juillet l’a fondue ; moins que l’air,
Son odeur sur ma peau n’a laissé d’autre trace
Que l’électricité transportée par l’éclair.

Aussi, renoncez au projet de me recoudre
Car je veux retourner à la brise d’été,
Immatériel photon, feu de suif, me dissoudre
Dans la larme de cire, informe et hébété.





3. J’ai rendez-vous avec l’inconnu, en voyage,
Avec le tribunal de mes actes manqués.
Je ne reconnais rien, pas plus le paysage
Que mon visage obtus, par les vitres tronqué.

J’ai rendez-vous avec quelque chose qui doute,
Qui halète, tapi à l’intérieur de moi.
J’ai rendez-vous avec l’accident de la route,
J’ai rendez-vous avec le dernier jour du mois.

J’ai rendez-vous avec la peur et la colère,
La certitude ne peut plus me consoler ;
Les aigles dessinées s’envolent de leur aire,
Le réel est comme un papier-peint décollé.

C’était dans l’ombre glauque infestée de moustiques
Qu’il posait à côté de son cheval de bois :
Pour un tour de manège à dix sous l’on s’applique
A mimer sans recul le chevreuil aux abois.

Un éclat de soleil de ses yeux en plastique,
Et le cœur dilaté comme une outre de vin
Pisse à goutte alanguie son acide acétique
Qui, pour chaque sanglot, creuse un nouveau ravin.

Goût pour toujours perdu de la première sèche
A l’approche incendiaire du baiser volé,
De ce jour si parfait qu’il alluma la mèche
Des bombes disposées sous nos pieds accolés.

Dire que j’ai raté ce qui s’est passé entre !
Je n’ai rien vu, j’ai seulement tremblé, fendu
Par le désir en trois, sans sentir sur mon ventre
La flaque de l’alcool trop vite répandu.

Incrédule j’ai dû frotter ma main gluante
Contre mon ombilic, ma lampe d’Alladin
Avant que monte en moi la voix tonitruante
Qui assurait : « Voici des fleurs de mon jardin ».

J’ai perdu mes dix francs : lac, oh mes dix francs, seize,
Telle était la réponse à la charade, et moi,
Pour conjurer le sort j’avais mis de la braise
Sous l’oreiller brodé du cercueil de son choix.

Lac, oh mes dix francs, seize, où un soir sans cravate
Il n’avait pu entrer qu’en nouant un foulard,
Pour voir les tragédiens se tirer dans les pattes
Et les soldats des rois se rentrer dans le lard.

Je m’étais dit : « Tu ne crois en rien. Comme à Rome
Pour ton passage je déposerai l’écot,
La pièce que Caron réclame aux meilleurs hommes
Pour traverser le Styx avec arme et paco. »

J’ai perdu mes dix francs, je n’ai pas mis l’obole
Dans ta bouche comme le veut la tradition.
Le coussin de satin a mangé mon symbole :
Tu cours après ta dématérialisation .

Dans le métro, en revenant du cimetière
J’ai trouvé sur les marches de l’escalator
Une pièce perdue, la même, mon salaire :
L’au-delà me rendait le prix de mon effort.

Il faut avaler. Rien ne sert de lutter contre,
Même si l’on n’a pas achevé le repas.
Je suis encore en retard, je n’ai pas de montre.
Pourquoi m’avoir appris, père, à marcher au pas ?

Je vais être en retard pour la prochaine extase
Comme le lapin blanc d’Alice pour le thé.
Mon univers instable a branlé sur sa base ;
Trembler n’est pas de mise à l’orée de l’été.

Le cœur est plus léger que le poids de la plume,
Ses contractions en vain agitent le fléau.
Mal installé entre le marteau et l’enclume,
Prince orphelin, je joue tout seul sous le préau.

C’était aux pieds du pâtre au chef couvert d’épines,
Et nous avions tous trois plus que deux fois vingt ans.
Je pensais « Tout est bu », et les voix sibyllines
Tambourinaient ; « Ne crois pas ce que tu entends ».

Il pleuvait de la paix en pleine canicule,
De la satisfaction, du rêve à cent pour cent,
Des pleurs de reddition, l’armada ridicule
Du bonheur à crédit souscrit au prix du sang.

J’ai saisi l’anneau d’or que renfermait la boîte,
Je me suis pris le doigt dans le trop bel écrin ;
La perle se dissout et j’ai le cœur qui boite,
Pendule déréglé suspendu à son crin.

Comme l’homme craintif reclus dans la caverne,
Je ne sais de la vie qu’un reflet à l’envers.
La tâche de soleil sur la grisaille en berne
Dans ma langue me dit : « Retourne dans l’hiver,

Tu peux t’approprier l’image, mais m’atteindre,
Ce n’est que l’illusion qui te pousse à marcher ;
Je brûle d’exister lorsque tu veux t’éteindre,
Nous ne pouvons passer qu’en trichant des marchés. »

La vie est devenue rapide, naine, étroite,
Rien ne mérite qu’on s’attarde à percevoir ;
Vers le plaisir sans fond les routes toute droites
Ouvrent sur des chemins barrés par les miroirs.

Je vais être en retard pour cette fin du monde,
Je vais être en retard au jugement dernier,
J’aurais dû me priver des ultimes secondes
Dans la douce chaleur qui monte des charniers.

Je vais être en retard quand s’ouvriront les portes
Du paradis moqueur du Dieu émasculé.
Nul ne lira le mot d’excuse que j’apporte.
Au seuil du temple étroit je voudrais reculer.

J’ai écrasé avec effroi sous ma fenêtre
Le scarabée venu de nuit me visiter ;
J’ai tué d’un coup sec le symbole de l’être,
Je suis cet arbre mort, stérile et dépité.

Et voici qu’un à un se lèvent les convives,
Me laissant attablé seul devant le festin ;
Ma langue est collée à mon palais sans salive
Les vers se multiplient dans mon bas-intestin.

Je vais dévorer ces membres excédentaires :
Mange une main et garde l’autre pour demain.
Je vais être en retard pour regagner Le Caire,
Sans avoir rien compris de ce qui fait l’humain.

J’ai misé sur le noir à la roulette russe :
A ce jeu-là, c’est sûr, on gagne à tous les coups.
Ah, pour me dissocier, un bataillon de puces
Ou de Lilliputiens me passant le licou !

Ma lyre en main, je rentre dans la pyramide,
Spectateur effaré de mon propre procès,
Au cœur du labyrinthe où dort la bête humide,
Ce moi, en mieux, à qui j’ai promis le lacet.

Quand je l’aurais tué, rêveur incorrigible,
J’appellerai tous les insectes africains
Pour bâtir des statues abstraites et nuisibles
Murmurant aux vivants : « Ici dormait quelqu’un,

Ici, dans cette tourbe, et ses bras dans la fange
Se sont enracinés malgré tous les refus,
Et lorsque dans l’été le désir le démange,
Il fait trembler la terre avec ses pleurs confus. »




Panama, Juillet 2000