samedi 16 septembre 2017

La brasse coulée



LA BRASSE COULÉE

récit



1990

















De nouveau l'aéroport de Nice. avec ses bacs de fleurs dans le hall de débarquement, débordants de pétunias, de cyclamen, de ces plantes tigrées dont j'ai oublié le nom, qui ressemblent à un abcès purulent en passe d'être crevé. Et les plates-bandes de palmiers nains qui signifient qu'on est au sud. Ici, il n'y a que des vieux en conserve et des plantes forcées, si colorées qu'on les croit en plastique.
Sous la banderole de bienvenue, personne ne m'attend. Ma grand- mère est malade. Je ne viens plus ici que pour la maladie et la mort, ce que les autres appellent des vacances.

Le minibus rouge et Jaune longe la promenade des anglais. Première vision des touristes en short, des surfeurs bronzés: un semblant de Californie. Je descends à l'arrêt de Villefranche, mon sac de voyage à la main. Reste la côte à grimper. Au bout, les bougainvillées en fleurs qui tapissent le mur d'enceinte de la villa blanche où je suis né. Il y a vingt ans que je viens tous les étés sous prétexte de chercher la chaleur. Je n'ai presque pas d'amis, à moins de retrouver les parisiens qui descendent à la même époque.

Ma grand-mère n'en veut de ne pas l'avoir prévenue de mon arrivée; elle n'a pas pu faire le ménage, changer les draps de mon lit. Elle me supplie d'abandonner ma chambre dans les combles parce qu'il y fait trop chaud et que je vais tomber malade. Je la trouve vieillie, fatiguée, ridée.
La première nuit j'écoute sa respiration sifflante. Ses ronflements me rassurent parce que j'ai peur qu'elle meure.
Une fois déjà, un matin de Pâques, le jour de mon arrivée, j'ai trouvé mon grand-père au lit avec une grippe. Je l'ai embrassé, je suis descendu au salon ouvrir le piano à queue, et le temps de jouer les premières mesures d'un prélude de Bach, je l'ai retrouvé agonisant, incapable de prononcer le moindre mot, paralysé. Le docteur est venu en urgence. Il a appelé le SAMU. Les infirmiers ont découpé aux ciseaux ses sous-vêtements pour lut faire l'électro- cardiogramme. Ils l'ont assis sur une chaise pour le descendre jusqu'à l'ambulance. Dans leur tenue orange ils ressemblaient aux anges de la mort. Lui était encore assez conscient pour s'accrocher de toutes ses forces restantes à la rampe de d'escalier recouverte de velours rouge. Il ne voulait pas partir. Autrefois i1 avait été chirurgien. Il savait qu'il ne reviendrait pas. J'ai attendu ma grand-mère sur les marches froides de d'escalier de marbre blanc. Pendant quatre jours nous sommes allés le voir à l’hôpital. Il répondait aux pressions de nos mains. On lui avait planté un bout de plastique dans la gorge pour lui permettre de respirer. Le cinquième jour nous ne sommes pas allés à l’hôpital. C'est ce jour-là qu'il est mort. Mes parents sont repartis immédiatement après la crémation. Tout le monde avait apporté une rose qu'on a jetée dans la boite en sapin qui contenait son corps.

L'été, je ne descends jamais à la plage, il y a trop de gens, de familles, de chiens. Je n'ai pas le permis de conduire, Je me déplace avec les autocars et les trains. Avant, j'avais une mobylette d'occasion, toute déglinguée, mais on me l'a volée un jour que j'étais sur la plage de nudistes de Cap d'air. Les gendarmes ont bien rigolé quand j'ai fait la déclaration: « Ah ! T'étais sur la plage des culs nus » m'a dit le chef avec un éclair dans le regard. J'ai menti, j'avais honte. La déclaration n'est jamais arrivée à l'assurance. Je n'ai pas voulu qu'on n'en rachète une autre.
Depuis que Je n'ai plus de mob, je viens moins souvent. A la maison, je m'enferme dans mon grenier, je sue toute la journée dans la chaleur, je me branle en sniffant du poppers sur les photos de sport que je découpe dans Nice-Matin. Ma grand-mère est abonnée et me garde les vieux Journaux.
Quand Je m'ennuie Je m'occupe du Jardin. Je connais chaque arbuste, c'est moi qui ai planté toutes les fleurs.

Comme c'est le début des vacances scolaires. Claude a appelé.
C'est le seul ami que j'aie sur la côte. Je ne sais pas trop quel âge il a. Je crois qu'il a passé la quarantaine. Je n’insiste pas pour en savoir plus. Chaque fois que Je vais chez lui un passeport différent traîne sur la table, autrichien, anglais, allemand, américain. Je l'ai rencontré il y a sept ans dans les jardins du port de Beaulieu, avant que le conseil municipal ne les transforme en golf miniature. Ce soir-là, on s'était parlé en anglais. A l'époque Il était marié à une cantatrice irlandaise. L'espace d'un été j'ai peut-être été amoureux de lui. Une dizaine de fois nous avons fait d'amour. Depuis, ses attitudes efféminées me fatiguent, comme son crane dégarni et sa moustache qui grisonne. Nous n'avons plus envie l'un de l'autre. Lorsque j'ai le courage de marcher jusqu'à chez lui, deux kilomètres sur la nationale, nous jouons à la scopa avec des cartes espagnoles, nous buvons du whisky et du gin en écoutant Haendel ou Rossini, musiques dont j'ai également horreur.

Ce matin j'ai pris les jumelles pour observer le bateau dans la baie, un porte-avions américain. Au téléphone Claude a dit:
- Il y aura des fruits de mer ce soir.
Les fruits de mer, ce sont les marins; parfois Claude va les chercher jusqu'à Cannes. Alors nous partageons le fruit de ses rencontres puisque nous n'avons plus aucun d'autre plaisir à ensemble.

J'ai mis mes patogas noires, des chaussettes de tennis, un short moulant ridicule en satinette rouge où on lit Beaulieu-sur-mer à gauche de ma bite, une chemise hawaïenne qui ferait honte à un touriste américain. Avant de prendre la route j'ai retrouvé dans mon tiroir fermé à clef la boulette de tosh que j'avais planquée à la fin des vacances présidentes et j'ai fumé un gros joint.

Quand Claude ouvre la porte je m'attend toujours à le trouver enroulé dans un peignoir de bain, prêt à 1'action. Pantalon pied-de-poule et pull de pure laine vierge, Il donne plutôt dans le genre gentleman-farmer. Il a encore perdu des cheveux. Sa calvitie et ses yeux bleus un peu louches lui font un air de moine lubrique. Il à m'embrasse. Dans le salon, sur la bergère Louis XVI où personne n'a l à le droit de s'asseoir, surtout moi (« Tu vas la faire craquer »), trône le gibier du jour, un Jeff bien en chair à moustache blonde qui a troqué uniforme contre un vetours à côtes qui lui comprime le paquet haut sur la cuisse.
Claude sert trois verres d'un mauvais whisky qu'il a s'habitude de transvaser dans des carafes de faux cristal pour qu'on ne voie pas la marque. Comme on ne s'est pas vus depuis longtemps, il me fait admirer son dernier jouet, la platine laser, et commence la démonstration à l'aide d'airs de Haendel où les falsetti rivalisent de vocalises et de roulades. Jeff se marre et les imite à petits cris en faisant le geste des ciseaux en l'air. Claude répond parfois d'une phrase en anglais avec un air entendu et un froncement de sourcils.
On abandonne Purcell pour la salle à manger où le tapis de feutrine verte recouvre la table ronde. Pas de dîner ce soir, on est venu pour autre chose. Claude sort les cartes. Les vannes volent ba s: celui qui perd se fait enculer, et nous regardons tous deux le marin avec ironie puisque nous sommes incapables, Claude comme moi, d'en arriver là. Tout le monde trouve que la partie traîne en longueur, malgré les efforts de Jeff qui fait tout son possible pour perdre rapidement.
Quatre whisky plus loin, Claude propose de visiter la chambre qui est à l'étage. Dans l'escalier pendent de petits sous-verre, photos dédicacées d'artistes lyriques, coupures de journaux, vrais et faux ex. Sur chacun Claude a une histoire. Il dit: « ma femme », le marin lève un sourcil soupçonneux. « Un danseur de l'opèra de Nice, un pois-chiche dans la tête, mais des mollets de taureau !.. »
Jeff déboutonne sa chemise à carreaux texane devant les volets fermés par lesquels filtre la lumière de la rue qui le couvre de zébrures. Il s'arrête pour regarder sur la table de nuit la collection de zippos où sont gravés les noms des différents bateaux qui ont fait escale ces dernières années en méditerranée. Il dit:
- Moi aussi j'ai un cadeau pour toi.
Il enlève son fut. Dessous il porte un gros slip bandalaise, en coton blanc, avec la poche pour pisser.
- Les sous-vêtements de la Navy, normalement on s'en sert comme chiffon à poussière. Je savais que ça te ferait plaisir !
Claude range la précieux trésor et me pousse dans la salle de bain ; mesure obligatoire, on ne baise pas si on ne s'est pas lavé avant.
Quand je reviens le marin est déjà renversé sur le lit, le corps maigre et velu de Claude s'est abattu sur lui et bouge en cadence avec la radio qui égrène du Gershwin ; ça sent déjà la sueur et le soupers.
Jeff n'est pas un canon, il est trop gras, trop blanc, sans poils, à part la touffe rousse qui cache un sexe encore mou. Je le suce et sa queue en trompette durcit entre mes lèvres. Je fais des efforts pour me convaincre: « cest ton fantasme, ça y est, t'en en train d'en sucer un, de marin américain ». J'ai beau me le répéter, je bande mou.
Maintenant Je suis allonge sur le lit, et Jeff, tête-bêche, est à quatre pattes au-dessus de moi. Claude, l'entrejambe au-dessus de ma tête, s'enfile un préservatif vert. Sa trique est monstrueuse, c'est l'incroyable Hulk jusque dans la couleur. Le marin ne bronche pas lorsqu'il s'introduit en lui d'une seule poussée lente et régulière. Il écarte simplement ma bouche de sa queue. Je reste là, coincé sous eux, les yeux à hauteur du spectacle, le gros cul blanc du marin s'ouvre et se referme sous les coups de boutoir.
Je continue à prendre du poppers. Parce que Je suis très raide sans doute, j'ai l'impression que la cavalcade dure des heures. Avant que Claude jouisse, je sens trois gouttes chaudes qui s'écrasent sur mon ventre. C'est fini, je ne baiserai pas le marin. C'est normal, priorité à l'hôte.
- Jeff va rester dormir, dit Claude qui me signifie par là mon congé.
Il m''offre quelques cassettes, des lieder de Schubert qu'il n'écoute jamais, un vieux Village People sur lequel je réenregistrerai du classique.

Dans la cour de la villa, au milieu de l'herbe brûlée, il y a un althea mal taillé qui n'a pas fleuri.

Je n'ai pas joui. J'irai bien faire un tour dans les jardins du casino, mais la tête me tourne. Chez moi ma grand- mère dort seule et je culpabilise en imaginant qu'elle pourrait passer
.
Je fais du stop le long de la nationale, le short remonté le plus haut possible pour dégager mes cuisses, chaussettes blanches rabattues sur mes patos. La route est déserte, les rares voitures qui passent filent sans s'arrêter. Sur la chaussée en face un mec en cyclo dévale la pente en pétaradant à toute berzingue. Cinq secondes plus tard il fait demi-tour et s'arrête à ma hauteur.
- Tu vas loin? Il est boutonneux, la peau trouée par endroits, les cheveux longs. Son jean s'effiloche et ses mains sont sales.
- Non, pas loin, et puis on tiendra jamais sur ta chiotte.
- Elle monte à 80, je l'ai trafiquée. On peut toujours essayer.
Je m'assois sur le porte-bagages, je passe les mains fermement autour de ses côtes, il est maigre, dix-huit ans au plus. Sa pétrolette tousse nais ne démarre pas malgré tous ses efforts pour pédaler droit. On va se casser la gueule, j'accroche mes mains à ses hanches. Deuxième, troisième essai. rien. Sa bonne volonté devient plus fatigante que sympathique.
- Fait rien. C'était gentil d'essayer. Je suis plus très loin... Tu veux de la bière, J'en ai une dans mon sac à dos?
On s’assoit sur le muret qui délimite l'accotement et on se repasse la bouteille pour prendre chacun une gorgée. Il boit comme un gamin en serrant le goulot entier dans la bouche. Rien à se dire.
- Tu fumes?
- Ouais, des brunes, c'est moins cher.
- C'est tout?
Il jette un coup d’œil incrédule quand je sors le papier à rouler.
Je fais un petit joint. Il fait chaud pour une nuit de Juillet. Le point rouge qui brille dans la nuit nous envoie valdinguer dans les étoiles. Sa brêle qui n'a plus de béquilles est couchée à nos pieds comme un chien paisible ?
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Vacances...
Ça le laisse sans voix. A quoi bon lui expliquer que dans la vie je ne fais rien, que je me traîne?
- Moi je prépare un C .A.P. de mécanicien, je deale un peu aussi...
- J'ai pas envie que tu me racontes ta vie.
Silence. On tire chacun son tour une dernière tiffe en avalant beaucoup d'air. Les pierres du mur me grattent les cuisses.
- Tu sais pas on on peut trouver des filles par ici?
- Payantes ?
- Eh ? tas vu ma gueule? J'ai la tête à raquer ?
- Des filles, non. Des couples si tu veux, en bas, au bout de la plage.
N'a pas d'air intéressé.
- Faut que je pisse ma bière...
Il s'est retourné vers moi de trois quart en se déboutonnant.
Avec une flexion des genoux, il ramène à l'air une longue bite molle.
Il éclabousse le mur et quelques gouttes en ricochet s'écrasent sur mes mollets. Je trique, le bout de ma queue a trouvé le chemin dans la jambe gauche de non short et pointe la tête. Il la regarde d'un air bête, à pas savoir s'il va rester ou s'il ne vaudrait pas mieux me péter la gueule tout de suite.
- Toi, t'en cool. Il était bon ton shit, la bière aussi.
Il tend vers mol sa bite qui commence à raidir. Je le branle, l'air un peu dégoûté, histoire qu'il pense que je n'aime pas ça mais que je lui rends service. Il s'agenouille dans la terre humide, là où il vient de pisser et ses mains fouillent dans mon short étroit.

Je me sens plus léger pour remonter la côte qui mène à la villa.
Je m'arrête un moment dans le jardin pour regarder les fleurs qui ne s'ouvrent que la nuit .
La clef tourne difficilement dans la serrure ou bien c'est ma tête qui tourne encore . Je m'agrippe à la rampe pour monter au premier , j'entrouvre la porte de la chambre de ma grand-mère qui dort , un bras ballant , son chat roulé en boule sur le ventre . C'est bien, je peux monter me coucher sans crainte . L'escalier de bois du deuxième craque à chaque pas. En me retournant j'aperçois une bande de lumière sous la porte qui prouve qu' elle s'est réveillée , qu'elle a regard »l l'heure à laquelle je rentrais , qu'elle s'est dit qu'elle aussi maintenant pouvait dormir en paix.
Je me lave la queue au lavabo de la salle d'eau. Dans le miroir je regarde ma gueule bouffie par l'alcool, mes yeux rouges et cernés éclatés par la drogue. Je me sens soudain très malheureux , sûr que je ne romprai jamais la solitude qui me pèse .
La nuit, sous les combles, on ne peut pas coucher autrement qu'à poil : même les draps sont de trop dans la chaleur moite . Je me réveille toutes les heures , mais dès que Je ferme les yeux le rêve amorcé se poursuit comme si on avait relâché la touche pose d'un magnétoscope .
Je cherche derrière les livres de ma bibliothèque la bouteille de gin italien que j' ai cachée et qui sent le parfum bon marché plus que 1'alcool de grain. J' en avale une rasade , Je sniffe un coup de poppers et je prie Dieu de me laisser dormir sans rêve.
La dernière chose que j'entends à la radio qui marchera en sourdine toute la nuit, c'est Prince, Sign of the Time .
Cette nuit c'est mon anniversaire : demain matin je me réveillerai avec vingt-cinq ans et l'impression de glisser un peu plus sur la pente fatale.

Je n'ai pas entendu la sonnerie du téléphone,seulement la grosse clarine de vache qui sert à m'appeler d'un étage ai 1'autre et la voix sonore de ma grand-mère qui crie : ' « Frédéric, téléphone pour toi !»

On trouve difficilement sur la côte une ville plus laide que Cannes. Derrière la façade blanche des grands hôtels, un enchevêtrement de rues étroites et sombres toutes les devantures de magasins sentent le piège à touristes, des blocs de béton vite élevés entre deux baraques qui penchent, le tout cerné par la vole rapide. Il suffit de voir la gare, un tunnel ajouré en forme de bunker post-nucléaire, on a visité la ville. Eric m'attend sur le parking dans la voiture d'Orrna.
Chaque fois j'imagine qu'il aura encore sa tête du collège et he suis surpris de le retrouver grand, pas beaucoup plus que mol en taille, les traits coupés, carrés, sec de corps comme en parole.
Au-dessus des portes de la voiture, un break bleu qui tremble à partir de 60, Orna a apposé diverses sentences en hébreu. Eric m'explique que c'est la voiture quileur sert à transporter les vêtements sur les marchés. Quatre mois qu'il fait ça, lever à cinq heures, bagarre pour l'emplacement entre clandestins; ils vendent des lots de chaussettes et de T-shirt défectueux.
Il y a deux mois ils ont loué un bungalow sur l'arrière de Golfe-Juan. La maison du propriétaire, un maçon italien, est juste en face séparée par un chemin de graviers. De l'autre côté, un cube de béton identique, aux cloisons minces, abrite d'autres locataires non déclarés.
Dans la cuisine-séjour, Orna est en train de tailler une robe sur le mannequin. Je trouve son accueil un peu froid. Le fond de la pièce est encombré; de cartons recouverts d'une toile cirée à fleurs. Au-dessus trainent une chaîne stéréo, des livres de compte, des boites de bière et de coca vidzs.
Orna prend la voiture et file vers le centre-ville:
- C'est rien; elle crise parce que je travaille pas assez et que je rapporte pas d'argent. Les proprios sont ravis, ils croient qu'on est un couple marié. Ils nous appellent Monsieur Eric et mademoiselle Orna.
On transporte la table sur la dalle de béton devant la porte et on Installe des caisses de bois pour servir de sièges. Le soleil tape. On partage les derniers comprimés de Xanax qui traînent dans mes poches pour accompagner le assis. Le berger allemand des proprios vient secouer ses puces autour du barbecue. Eric le chasse d'un coup de pied discret.
Une 4L blanche, avec le nom de Baldi, plombier, écrit sur le côté, passe le portail. Deux ouvriers en sortent
- Un des fils des patrons. Il ne me parle jamais. Ressemble pas aux autres. Encore une histoire louche ! Le frère conduit une alfa-roméo et tient un garage. Chemise ouverte sur toison épaisse à chaîne d'or-à haine d'or il se pavane avec une blonde fade qui ne doit pas l'aimer pour ses beaux yeux.
De la maison principale s'élèvent des cris toutes les cinq minutes et des bordées de jurons. C'est le repas familial du samedi.


Dans la pleine chaleur nous nous dirigeons à pied - Orna n'est pas revenue - vers la plage, deux kilomètres en longeant la voie ferrée. Eric raconte qu'il attend l'automne pour remonter à Paris! qu'il n'a encore rien dit à Orna, qu'il voudrait apprendre le japonais et partir pour Tokyo.Moi je ne sais jamais très bien quelles nouvelles donner. Pour l'instant je suis en vacances, bientôt en congé maladie. A vingt ans je voulais travailler, j'ai passé le concours qui m'a bombardé prof. Depuis je vais voir deux fois par 'semaine un psychiatre, j''en change tous les six mois, je me suis rendu compte que mon enfance n’avait pas été aussi heureuse et insignifiante qu'on voulait me faire croire. Quand Je m'ennuie j'écris de la musique, je dessine, je ne sais pas très bien ce que Je fais le moins mal. Un morceau m'occupe subitement l'esprit quinze jours pleins ; après, pendant trots mots, plus rien, je lis,j'écoute la radio, Je m'endors devant la télé. Ma vie est comme un interminable feuilleton brésilien sans la moindre intrigue. Un temps, l'ai cru que le bonheur était la, sur la côte. à me niquer la peau au soleil, sous les palmiers. Maintenant ça me parait aussi idiot qu'un catalogue de voyages organisés; je préférerais rester entre mes quatre murs, et que personne ne me dérange sous proteste qu'il y a une fête ou qu'il manque un cinquième au tarot.

On passe sous la voie ferrée par un haut tunnel glissant. En contrebas s'écoule un filet d'eau malodorant. Près des plages de nudistes on ne sait Jamais très bien si ça tient de l'égout, du torrent de montagne, ou des deux.
De l'autre côté sur le sable rare et les rochers aigus, c'est Paris-plage, les mêmes tronches que sur les pelouses des jardins publics et les quais, les mêmes Ray-ban ridicules, sauf qu'ils sont tous à poil.
Je pose ma serviette à côté des moins moches qui regardent immédiatement ailleurs, vers Eric par exemple qui ne retire son maillot que pour se baigner.
La plage. c'est une activité en sol. Je ne comprends pas les gens qui emportent des livres. Quand on en a assez de mater, on reste étendu jusqu'à ce que la chaleur vous fasse bander.
- C'est là-haut que ça drague: mets ton short, on va voir.
Sur le large talus le long du chemin de fer s'élèvent deux bunkers de béton pourvus d'un sous-sol. Eric me fait remarquer les crochets scellés dans le plafond, on lit les graffitis, pas tous obscènes. Un moustachu dans l'ombre se caresse entrejambe au moment on passe. Devant les bunkers des dizaines de meus arrêtés dans des poses de statues font semblant d'observer l'horizon. La plupart prennent l'air méprisant de ceux qui n'y touchent pas. Une bonne moitié porte alliance, genre père de famille en goguette, car le chemin ne se voit pas d'en bas, de la plage où sont restées les femmes et les mômes. Je les laisse s'exciter à suivre Eric entre les rochers, Je traverse pour aller ne perdre dans les hauts bambous qui masquent les dunes. On devine les corps étendus sur la plage au travers des feuilles. Je m'installe dans la clairière, le short sur les chevilles. Ceux qui tournent regardent sans s'arrêter. Le premier qui vient a du poil blanc, un solide corps de travailleur. Le deuxième porte un short en jean déchiré, il est plus jeune; je n'aime pas ses lunettes noires ni ses cheveux gominés mais il suce. Le cercle se resserre autour de moi, je tire de ma poche le flacon de poppers. Ma vue se brouille: quand j'ouvre les yeux, un seul corps à cinq têtes, à vingt mains, tourne autour de moi, les tiges des bambous plient, ondulent commune des serpents. Un instant je sens que j'existe, que je suis plus réel que le monde tout autour. La bouteille passe de main en main, l'atmosphère devient chaude, éruptive. Entre deux cillements Il me semble apercevoir au loin la silhouette d'Eric. Mes genoux cèdent, je tombe. J'ai joui ; encore une journée de gagnée !

A moitié raide, courir à l'eau, se nettoyer la queue sous le regard déjà plus allumé des moins moches.
Eric demande où j'étais. J'explique.
- Je pourrai jamais, comme ça, en plein jour !
- On reviendra cette nuit.
- Ce qui m'est arrivé de mieux ces derniers temps, c'est un mec qui m'a emmené dans la grande villa là -haut sur la colline. Tu vois ?
Je vois pas, le décors, je n'en tape.
- Il m'a mis tout de suite une cagoule sur la tête, et à partir de là, l'extase !
Les images se pressent dans ma tête.Je voudrais qu'il en dise plus mais nos confidences sont toujours avortées.

Sur le chemin du retour on achète des bières en boite. Devant le bungalow, Orna nous attend avec de grands paquets.
-  J'ai acheté un salon de jardin en kit au supermarché. Ce sera sympa devant la maison.
Eric me lance un regard idiot; amorce de fou-rire.
Penchés sur les tubes de plastique, on monte la balancelle.
- Elle se plaint de pas avoir de thunes et elle ramène que des trucs inutiles. Pour le temps qu'on va rester là ! Madame Baldi, suivie du chien, passe arroser ses fleurs:
- C'est bien joli ce que vous avez acheté là, .mademoiselle Orna !
Elle pense sans doute que pour des gens qui ont du mal à payer le loyer, on ne s'embête pas. Et justement, Orna souligne que le jardin est arrosé avec l'eau qu'on lui facture. Madame Baldi devient rouge et la traite de menteuse. Eric, visage flegmatique, ton indiffèrent, soutient qu'Orna a raison. La discussion s'envenime. Le père Baldi vient à la rescousse. Pendant qu'on monte la table, Orna continue avec lui l'engueulade financière. Ils se montrent des papiers, se menacent mutuellement d'Interventions policières. Madame Baldi, en pleurs, regagne sa cuisine car Il est temps de préparer la soupe. Le chien, assis sur le gravier, se gratte jusqu'au sang. Le mari finit par reconnaître que peut-être il a tort, qu'on lui doit moins d'argent que prévu. Eric et mol entamons la deuxième bouteille de rosée.
Orna ne boira pas de vin et ne mangera pas de viande ce soir. Son mec lui a rappela cet après-midi que c'était fête religieuse. La nuit tombe.

Un de nos passe-temps favoris sur la côte avec Eric, c'est de chercher du shit, non pas que ce soit très agréable mats on se sent mieux à deux pour ce genre de courses flippantes.
A Cannes, les dealers se regroupent dans le square, entre l'embarcadère des îles et le commissariat. Sous le kiosque à musique, quelques punks couverts de tatouages bleus font semblant de se battre. Je lis dans les yeux d'Eric sa fascination pour le blond dont les bras disparaissent sous les dessins marine, comme s'il portait des manches de dentelle grossière.
- J'aime pas quand c'est en couleur: le mieux c'est le tatouage artisanal au gros bleu fait avec trois épingles.
''Psitt, psitt'' fait le maigriot chevelu à notre passage. Il nous met sous le nez une pochette d'herbe qui ne sent rien.
- On va la goûter plus loin sur le parking.
Déjà, c'est suspect. D'habitude ils ne proposent pas la dégustation. De l'étage supérieur du parking, on a la vue sur un bout de mer entre deux pignons d'immeubles crades. Je tire sur le pétard comme sur un ballon d'oxygène. Ça n'a pas trop le goût de l'herbe, ça fait tousser.
- T'es raide ?
- Non, Je crois pas.
- C'est de la cigarette Louis Legras que t'essaye de nous refiler, ça se vend en pharmacie.
- Tant pis pour vous. tout à l'heure quand vous serez décidés, y en aura plus.
Pas convainquant le mec, les yeux élargis par la coke.

J'attends dans un café pendant qu'Eric retourne à la pêche. Un pékin rentre et s'appuie sur le comptoir à ma droite. Il a la gueule complètement défoncée. un coquard qui lui mange la moitié de la joue gauche, des croûtes galeuses dans le cou, une main jaunie par la teinture d'iode sous les pansements. J'ai beau ne pas lut répondre, il me cause quand même, il veut absolument me payer un verre, Il sent d'alcool. Quand le patron demande « Vous le connaissez ? » Je me barre.
De loin, entre les arbres, Eric fait signe. On sait le dealer à travers les rues à touristes, entre les vendeurs d'eau de lavande, de glaces, et de soldes dégriffés dans les couleurs fluo de l'année dernière. Il fait le gentil. Eric, pas farouche, lui cause comme s'il le connaissait depuis toujours. Dans la venelle parallèle à la voie rapide s'ouvre un chantier sidence Les Palmiers, appartements de luxe du studio au 4 pièces. Entre les piliers de béton du parking, on avance dans les gravas: un drôle de silence après la bousculade entre les estivants de retour de la plage.
- Alors, t'en veux combien?
- Tu montres ce que c'est avant!
Mouvement tournant du dealer.
- Et toi, montre ton fric !
Une ombre surgit d'un piller, un bras bleu s'enroule autour de la gorge d'Eric tandis que le premier essaye de me coincer avec une clef de bras. J'ai jamais su me battre : ce que je crains depuis toujours est en train d'arriver. Seconde d'indécision, mon coude s'enfonce dans le ventre de l'agresseur, réflexe. La clef ne tenait pas. je suis dégagé, Eric glisse contre le corps de l'autre. Course, souffle coupé. Je m'arrête, me retourne. Bric gueule « Viens ! ». Les mecs, plantés sur place nous traitent de pédés, trop raides sans doute pour nous courser.
- J'ai d'abord cru qu'ils voulaient baiser.
- On trouvera rien ce soir.
On reprend notre souffle, à l'aise dans la voiture d'Orna. Un flic se penche à la fenêtre:
- Vous n'avez pas le droit de stationner 1à.
Au bout de la rue passe la silhouette flottante du type qui nous a traînés dans le chantier.
Les flics ont débarqué en ville. Ils cherchent la mime chose que nous. Il doit y avoir un gros arrivage de prévu. On contourne le square une dernière fois en voiture. Les bancs sont vides.
- C'est la voiture du mec d'Orna, dit Eric en me désignant une Mercédes qui s'arrête à notre hauteur.
Au volant, un play-boy sentier, le cou chargé d'or.
- Hazel a vingt grammes de coke ? Vous en voulez ? demande Orna.
- Non, on file à Nice.Gaffe aux keufs partout !
J'ajoute ai la cantonade:
- C'est pas interdit la coke les jours de fête religieuses ?

Même décors, en plus grand ; dans la partie du parc Albert Ier qui donne sur la place Masséna, la mairie a fait poser une grosse virgule de tôle en guise d’œuvre d'art. Les allies qui la longent sont couvertes de rosiers en fleurs pleurant sur les arcades. Leur cœur poudreux répand des paillettes d'or sur les cheveux des rouleurs de joints réunis en cercle sur l'herbe toujours verte.
De jour, ici, c'est la foire aux vieux, une vitrine d'expo pour gérontophiles. Autrefois autour de la fontaine aux trois grâces, c'était plutôt le marché aux mecs. Mais comme d'habitude les bleus du commissariat en face ont fait la chasse aux pédés.
''Dope'! chuchote le dealer. Suffit de se promener d'air de rien et d'avoir la tête à ça. Tout seul, pour moi ça ne marche jamais, je suis obligé de courir aux renseignements, les mecs me prennent pour un flic en civil et m'envoient chier.
- Vous me suivez à trente mètres. J'ai pas ça sur mol. Je vais rue de France dans un rade. Tu me files les thunes discret quand j'entre. Après Je te serre la nain pour te filer la boulette. Et ciao!
J'interroge Eric du coin de l’œil. Il reste de marbre. On suit la bonne occase dans la rue piétonne. Je file cent balles sans confiance. Eric, toujours peu encourageant murmure:
- Deux chances sur trois qu'on le revoie jamais!
Mais le mec revient, me serre la pince et dépose une minuscule barrette que Je regarde à peine. Je tremble de tous mes membres.
On presse le pas.
- Je crois qu'on nous suit, remarque Eric à peu près aussi flippé que moi.
Je me retourne: dix mètres derrière deux gars à la mine pas rassurante règlent leur pas sur le nôtre. Deux mètres devant, trois flics. Je fais semblant de m'intéresser aux jambes des filles pour éviter de soutenir leur regard quand on les croise. On coupe à droite dans la rue déserte, au pas de course. Démarrage.
L'odeur de caramel et de chocolat brûlé envahit la voiture et ma poitrine. Des petites bulles de chaleur éclatent dans mon cerveau.
C'est vraiment l'été. J'ai roulé le joint dans l'obscurité pour ne pas attirer le regard des passants. J'ai dû m'y reprendre à deux fois à cause du passage de la camionnette des bourres. Ils ont filé sans s'arrêter, nous ont pris pour des amoureux en mal de chambre l'hôtel. Des morceaux de tosh incandescents tombent et trouent ma chemise. Eric demande si c'est bon.
- Je sais pas encore, ça monte...
- Faut pas rester Ici, dit Eric en me prenant le point. Où on va ?
Bordel! pas la peine de me poser la question. J'ai pas la réponse. Je dis qu'on est bien là.
- On va pas rester comme deux cons garés dans cette ruelle déserte. On va se faire goaler si Ils repassent.
Je m'en fous, c'est une torture de se creuser la tête ? Ni envie de draguer, ni de dormir, juste me laisser trimballer toute la nuit, bercé par les cahot de la route, sans parler puisque je ne sais plus quoi dire ?
- On monte sur la moyenne corniche on va regarder le paysage au-dessus du Cap Ferrat.
- Passionnant ! ironise Eric en tournant tout de même la clé de contact.
A mesure que la route monte, on s'envole. Les phares des voitures qui viennent en face papillonnent comme de grosses lucioles. Ils foncent sur nous comme des projectiles lancés à une vitesse folle, et le compteur ne marque pourtant que quarante
kilomètres/heure. Des bolides venus par l'arrière nous happent avec l'air qu'ils déplacent en dépassant.
Sur l'aire de dégagement prévue pour admirer le panorama avant le premier tunnel Eric gare la voiture. Le mur de pierres s'interrompt, remplacé par des barrières ajourées. Tout est noir, la mer comme le ciel n'existent plus, une seule feuille vierge de papier carbone; jetées dessus les paillettes dorées des étoiles, les lumières de Beaulieu et du Cap. Dans l'air rapide et chaud se fondent des fils de musique et ces tresses invisibles de nylon agitent la carcasse de lumière comme une marionnette de carnaval chinois. Le phare, le sonnet de la tête, brillent de feux tournants, diamants du troisième œil. A gauche la presqu'île Saint-Hospice, la gueule de la bête, ce dragon qui commence à se mouvoir sur le papier noir dans des ondulations d'hippocampe, d'avant en arrière comme nous nous balançons.
- Tu vois remuer le monstre, il vient sur nous avec ses yeux de braise.
- Oui, et je suis cloué au sol, je ne peux plus bouger.
- Toutes ces lumières qui sortent de mes yeux !
Le temps aboli â l'intérieur de moi. Elle, qui m'attend, si près, à peine deux kilomètres d'ici, qui va choisir ce moment pour mourir, parce que Je ne suis pas là.
- Il faut que je rentre. Tu veux coucher â la maison ?
- Non, Je vais retourner à Cannes. C'est jour de marché demain.
- Tu es trop raide!
- Je vais traîner dans les jardins jusqu'à ce que je redevienne clair. Il faut en profiter.
On se partage ce qui reste de la barrette. Manège, de virage en virage, la voiture comme par magie me ramène devant la villa blanche. Derrière les persiennes j'aperçois de la lumière. J'embrasse Eric sur la joue. On se verra. demain peut-être. Non, Je n'ai rien à faire.

Ma grand-mère s'est endormie les lunettes sur le nez. De la main gauche elle tient encore le journal d'il y a deux jours. Le chat ouvre un œil et dresse l'oreille quand J’éteins la lampe de chevet.
Il fait une chaleur moite dans ma chambre. Je titube. Je repunaise sur la porte la vieille affiche de James Bond que ma grand-mère avait retirée pour repeindre. Dessus, un canot à réaction , des cartes de tarot, un sorcier vaudou. Le titre: Vivre et laisser mourir.
J'ai fait mienne la devise inverse. La radio diffuse l'Apprenti-sorcier, musique de dessin animé. Assis sur le radiateur à gaz, je crache la fumée de mon joint par le vasistas pour éviter que l'odeur se répande. Sans même fermer les yeux les images reviennent ; la chaleur sur ma peau, l'odeur de la sueur des autres. Mes mains descendent vers mon sexe , je revois le cul laiteux de Jeff défoncé par Claude , je sens sur ma queue les hoquets du marin quand il s'étrangle sous la poussée trop forte. Je jouis dans les draps bleus .
Je suis seul à veiller dans la nuit silencieuse. C'est bien moi qui suis mort, le monde autour, ce cauchemar réaliste, ne s'est effacé qu'un instant dans le sommeil.

Tant de soleil pour un rêveil si glauque ! La radio est restée allumée toute la nuit. Au petit matin les nouvelles du premier bulletin d'information se mélangent à mes rêves. Les soldats tirent sur des enfants affamés et le cadavre d'Eric barre la rue où s s'avancent les chars. Le jeune homme de l'autre nuit est un dangereux terroriste en fuite ; il me confie un portefeuille rempli de fausses factures et le téléphone sonne à n'en plus finir . Il est neuf heures . La voisine appelle ma grand-mère . Elles se racontent le feuilleton télévisé de la veille et leurs démêlés avec leur jardinier respectif .
Non, Eric au bout du fil qui ne peut pas venir me chercher : Orna a plié la voiture sur le marché vers les six heures du mat . Rien de grave, le fils Baldi s'occupe de l'aile froissée. Demain peut-être? O .K. demain non plus je ne fais rien.
L'hibiscus orange a cinq fleurs aujourd'hui. Je suis content.

La nuit tombe sur la route de Beaulieu. Mon walkman me hurle dans les oreilles un vieux tube disco: la nana parle de son mec qui est sur Mars et lui gueule qu'elle l'adore en se roulant dans la boue. Ça rythme la marche. Je me retourne, la baie est illuminée; le quai Courbet aux maisons ocre, orange, terre de Sienne, la pâtisserie rose et blanche de la façade de l'église, tout ça n'existe que dans ma tête. Qu'est-ce que je fous là sur la grand-route à me geler les cuisses ?

Il n'y a pas de sonnette à la porte arrière de la villa que Claude partage avec ses parents. Faut siffler dans la rue, un truc de mec que j'ai jamais bien su faire. Dans le grand immeuble d'en face quelqu'un écoute une valse de Chopin.
Claude a déniché un nouvel opéra de Haendel où meuglent des castrats accompagnés de cordes en boyau de chat. Le whisky est en carafe et les cartes sorties.
De d'alcool, un nouveau conte à dormir debout entre les gravures anglaises du salon aux chaises raides.
- Une merveille, je te dis! J'avais deux cochonneries d'ampoules à changer et le lustre à faire fixer.
- Quel âge?
- Je sais pas, trente-cinq, des poils partout sous la salopette, et à voir comme ça balançait sous son fut quand il est grimpé sur l'escabeau, il ne portait rien en-dessous.
- Comment tu t'y es pris?
- Moi ? j'ai rien fait. C'est toujours les autres qui se donnent du mal pour moi. Il m'a lancé comme ça: « je reviendrai bien visiter l'installation ce soir ». J'ai répondu y'a pas de mal à se faire du bien...
- Et il est revenu ?
- Et comment, et il en voulait le salaud avec ses airs de gros macho. Je lui en ai mis plein le cul ? A la fin je fatiguais, alors j'y suis allé avec les manches d'outils.
- Pourquoi ? T'avais sorti les tournevis ?
- C'était resté dehors depuis l'après-midi.
Je souris. je demande des détails, Je sais que c'est des bobards et pourtant je sens que ça bouge dans mon pantalon. Claude, s'il fallait le croire, se serait tapé tous les ouvriers de Nice. Dès qu'on débarque chez lui, c'est pour se faire baiser.
Le haute-contre vocalise à tout-va. Claude répète la plaisanterie habituelle:
- T'imaginer si tous les sphincters s'ouvraient comme ça !
Je gagne la partie, il fait la gueule, me traite de mauvais joueur parce que j'ai esquissé un sourire.
- Tu me le présenteras l'électricien ?
- Non, celui-là. pour l'instant, je me le garde.
- J'y crois pas à ton histoire.
- Tu veux des preuves ?
Claude Jette sur le tapis vert une série de polaroids où on voit un cul poilu déformé par des des bougies et divers instruments ménagers.


Cannes.
Le fils Baldi, le garagiste à chaîne dorée vient de rapporter la voiture d'Orna occupée à faire le compte des boîtes de bière et de Pepsi qu'elle a achetées au supermarché pour les revendre le soir-même dans la pinède de Juan on se donne un concert.
- C'est une occasion de se faire du bénef facile.
- T'es fêlée ma pauvre fille! jette Eric d'un ton sec. Il y aura des flics partout, on rentrera même pas dans le parc.
- Si tu veux rien faire, j'irai toute seule.
- Et Fred? on va pas le traîner dans cette galère.
- Oh moi...
- Ta gueule !me souffle Eric en a-parte.
Le berger allemand vient se frotter à nos jambes. Il a un gros tique planté sur l'oreille droite.
Çà crie aussi dans la maison principale, tellement fort qu'on entend jusqu'ici voler les injures: « Tire-toi, galope, va sucer ! »
- C'est comme ça qu'ils causent à leur mère?
- C'est tous les jours qu'ils gueulent comme ça, et quand elle en peut plus, elle vient pleurer dans nos jupes.
On prend le Ricard sur la nouvelle table en plastique. La mère Baldi arrive en essuyant ses larmes, serrée dans un carré de tissu bon marché qu'elle prend pour une robe.
- Je fais tout ici, et on me traite pire qu'une servante.
- Allez, faut pas vous en faire.. On vous sert un Ricard ?
- Non, Jamais d'alcool, c'est pour les hommes.
- Le chien a des tiques, vous avez vu?
- Des quoi ? Ah, la bête blanche, là, sur l'oreille. Attendez, on va arranger ça!
Elle se saisit de la bouteille de Paic citron sur le lavabo, fonce sur le chien qui essaye d’esquiver la queue basse, les oreilles rabattues. Le voilà sous le jet: shampooing au produit vaisselle. Fous-rires. Ça n'en finit plus de mousser, la bête n'est plus qu'une boule blanche sous le tuyau d'arrosage, et madame Baldi,animée probablement par l'esprit de vengeance, s'acharne à tirer sur l'oreille qui saigne abondamment. Le berger allemand s'ébroue sur l'allée de graviers, pleurant, reniflant, moussant, éternuant en crises allergiques. Un instant on croit qu'il va vomir.
- Çà va lui passer, dit Madame Baldi qui se rend compte qu'elle a fait une connerie. Suffit de le rincer encore un peu.
Des flots de mousse s'écoulent des poils collés. Eric s'attaque à la tique avec la flamme de son briquet, le parasite grille se décroche, le chien, comme un gros rat pelé, gémit et file ventre à terre se cacher derrière le poulailler.
C'est pareil cour nous, le monde c'est l’oreille du chien et nous les parasites qui nous y accrochons pour en sucer le sang avant d’être grillés.


On a conduit Orna et ses boites de bière dans la pinède de Juan. Passablement éméchés, on a cherché en vain un dealer dans tout Cannes. Quand on est revenu la chercher, elle était assise sur ses cartons de Coca, avec en prime un P.V. et le flic qui la sommait de dégager avant qu'il ne l'embarque.
C'est elle qui a pris le volant. Comme le coffre était encombré de marchandises, Eric a dû s'asseoir sur mes genoux. Il se tenait droit comme un petit garçon et J'ai passé le bras autour de ses épaules pour jouer. Chaque secousse le projetait contre moi et ça avait d'air d'amuser tout le monde.
Orna nous a ramenés à la maison et on s'est tapé les bières invendues. Quelques litres plus tard, le mec d'Orna est venu la chercher. On s'est fait une ligne chacun sur la table de jardin. L'envie n'est venue tout de suite d'aller visiter les lieux de drague du coin. On s'est arrêtés en chemin en face du tunnel de la plage. Il y faisait noir et humide. On n'entendait que les suintements et le bris des rouleaux. On a marché le long de la voie ferrée, visité les bunkers, rien, pas âme qui vive.
Personne non plus le long de la Croisette. Trois heures du matin, tout le monde c'était cassé. Alors on a commencé à délirer sur les fleurs des parterres.
- Si on remplissait le carré de jardin derrière le bungalow ?
- Maintenant qu'il y a la balancelle et le salon en plastique, ça s'impose !
J'ai arraché deux lantanas jaunes pendant qu'Eric piquait les pétunias. Un peu plus loin on a trouvé des sauges, des rouges et des bleues. On a emmagasiné tout ça dans le coffre de la voiture et on s'est dépêchés de rentrer.
La terre était dure et collante, pleine de glaise. On a eu du mal à la retourner. On a tout planté en vrac, donné un coup de tuyau d'arrosage. En contemplant notre œuvre avec le sentiment apaisant du devoir accompli, on a eu faim. On a ressorti le barbecue et la bouteille de gin. La nuit était douce. On était bien. On a tiré le gros poste de radio sur la dalle de béton et Eric a mis la cassette dépressive de Japan. Presque le bonheur !
Le chien, réveillé par l'odeur des merguez est venu aboyer près de la table. On l'a chassé à coup de pierres.

Eric avait installé dans la chambre un petit clavier électrique, son piano du pauvre. Après dîner, chacun a joué de mémoire des bribes de préludes de Bacs, de La Tempête de Beethoven. Je me souvenais des premiers accords du Stabat Mater de Vivaldi qu'Eric a entonné en fausset. La fenêtre était ouverte; ça a réveillé les poules.
Avant de se coucher on a regardé une dernière fois nos plantations:
- Dommage que ça soit pas des pieds d'herbe !
- Çà se trouve pas encore dans les jardins publiques.
Depuis quinze ans qu'on se connaît, c'est la première fois qu'on partage le même lit. Dans le clair-obscur des cinq heures du matin, je regarde Eric se dévêtir devant la fenêtre. Le corps est parfait, on y voit le dessin de chaque muscle; sa maigreur m'impressionne. Il s'est rasé le pubis et on croirait un corps d'enfant poussé trop vite.

Épuisés par l'alcool, on s'est endormi sagement chacun de son côté. Vers midi quelqu'un nous réveille en toquant au carreau. A travers les brumes du rêve, j'entends la voix de madame Baldi qui se plaint du bruit qu'on a fait cette nuit. Les locataires de l'autre bungalow ont menacé de s'en aller et Eric n'avait encore versé le loyer du mois. Le ton se radoucit.
- Vous avez vu les belles fleurs qu'on a plantées ?, demande négligemment Eric sur un ton ironique.
- Comme vous jouez du piano, ajoute madame Baldi pas rancunière et qui se tape des fleurs, j'ai retrouvé ça pour vous dans de vieilles affaires.
Par l’entrebâillement de la fenêtre elle tend un vieux cahier de partitions, des chansons à succès d'un maestro italien des années cinquante. Après le café on déchiffre la première. On braille en chœur en rigolant O dolce Italia et le père Baldi, planté dans l'allée, applaudit chaudement en connaisseur.


Le café ne nous a pas réveillés. Le soleil tape dur, le cadavre du litre de pastis traîne à nos pieds. Il y a des moments comme ça, parfaitement vides, ou aucun de nous ne sait décider quoi que ce soit. Immanquablement l'un de nous finira par dire:
- Qu'est-ce qu'on fait?
Et subitement un sentiment de malaise inextricable nous envahira puisque personne n'en n'a la moindre idée, qu'au vrai il n'y a rien à faire, que perdre son temps de la façon la moins rasoire possible. Orna n'est toujours pas rentrée.
En mal l'invention, on s'en va à pied vers les plages de Juan. Sur le chemin je fais semblant, pour échapper au mutisme, de m'intéresser à la devanture des galeries à croûtes et des vendeurs d'antiquailleries.


Vers dix-huit heures, quand on repasse le portail, la maison est en effervescence. Orna vient d'arriver, la poussière vole encore autour des pneus de sa voiture. Le père Baldi la prend à témoin:
- Et où elle va aller cette folles Elle n'a jamais pris le train. S'est jamais déplacée autrement qu'à pied pour faire le marché !
- Si on la retrouve cette salope elle aura droit à la volée du siècle.
C'est évidemment de la mère que l'on parle. Orna nous explique à voix basse qu'elle a laissé une lettre où elle disait qu'elle était trop malheureuse et qu'elle s'en allait à Paris.
- Et elle n'a même pas pris son sac-à-main.
L'autre fils le plombier, celui qui aime sa mère, a fait toutes les gares du coin sans succès, le premier train pour Paris est à vingt-et-une heures ce soir.
- Ne vous en faites pas, elle va sûrement revenir, souffle Orna sur le ton de la consolation.
Mais sur le visage du père Baldi on lit plutôt la colère que le chagrin. Le chien, planté comme en arrêt. aboie en direction du ciel.
- Ta gueule, le clebs! hurle Baldi.
- On a fouillé toute la maison, le jardin. Elle n'a pas d'amies chez qui aller, elle ne connaît que nous.
- Et qui va m'occuper de la maison si elle ne revient pas ?
Le chien continue à engueuler le ciel. Je lève les yeux pour tenter de deviner ce qui l'excite à ce point. Là-haut, sur la ligne faîtière du toit de la maison principale, Madame Baldi est assise dans ses habits du dimanche. Elle sait que je l'ai vue. Elle fait de grands gestes dans ma direction pour me supplier de me taire. Je chuchote à Eric:
- Laisse-les chercher, elle est sur le toit.
Repli stratégique vers le bungalow. Du vasistas de la cuisine je la montre à Eric qui essaye de garder son sérieux.

A la nuit tombée, Eric me raccompagne à la gare de Golfe-luan. Madame Baldi a glissé le long de la pente du toit jusqu'à la gouttière où elle s'est endormie. Les autres, en bas, ont arrêté de la chercher. La copine du garagiste est venue en dépannage pour préparer la bouffe. Le calme est retombé sur la maison.
- Je crois que je vais rentrer à Paris. Ici il n'y a rien à faire. Là-bas non plus, mais j'y suis chez moi. Et puis tous les parisiens débarquent. C'était vraiment pas le moment de descendre
.
Ma grand-mère a préparé un souper de fête. Nous buvons le champagne. Une fête triste de la séparation.
Eric appelle le lendemain. Il s'est engueulé avec Orna, il voudrait rentrer avec moi. Je lui propose de venir passer à Villefranche les deux jours qui précèdent mon départ. Mais il tient à s'en aller le soir-même. Je ne peux pas! on donne Les Pêcheurs de Perles à l'opéra de Nice, et j'ai promis à Claude.


La petite salle à italienne n'est qu'à demi remplie. La basse chante faux, les chœurs sont faiblards, l'orchestre indigent et Barbara Hendricks sur son rocher de carton-pâte me rappelle madame Baldi sur son toit levant les bras au ciel.
Dans le déambulatoire à l'entracte, je croise des dizaines de visages connus qui m'ignorent; ils sont en habit de soirée ; les ai presque tous vus traîner sur les plages de nudistes du Cap.
En sortant de l'opéra nous faisons la fournie des sex-shops groupés autour de la gare de Nice. Claude s'enferme dans une cabine avec le premier moche qu'il trouve. Au sous-sol un jeune américain blond me rejoint dans la mienne profitant de la porte mal fermée. Il est chargé d'un gros sac à dos, il parait très excité et dès que je referme la main sur sa queue, il jouit.


Le lendemain, je me suis levé aux aurores, fébrile, dans l'anticipation du départ. Avec mon short et mes patos j'ai pris le car jusqu'à la sortie d'Eze pour rendre une visite d'adieu à la plage de drague où j'aimais aller quand j'étais plus petit. On y arrive en traversant le tunnel du chemin de fer ou en descendant à pic sur le rocher. Autrefois le domaine qui s'étageait en terrasses au-dessus du tunnel était abandonné. Les mecs avaient commencé à trouer les clôtures grillagées qui délimitaient le chemin reliant la plage textile aux criques des nudistes. Les allées du jardin devenu sauvage offraient toutes sortes de recoins où baiser au soleil l'après-midi durant. L'année dernière la maison a été rachetée, les proprios ont refait les clôtures et gagné quelques mètres de terrain sur le chemin devenu passant. Je me suis tellement amusé ici que ça me rend triste de revenir dans ce lieu massacré, rendu propre. Il n'y a que le matin très tôt qu'on puisse encore trouver l'aventure et consommer sur place. En contrebas du chemin, fermant une petite grotte au bord de l'eau se trouve un rocher plat où se cacher des gêneurs. Les mecs connaissent le plan et descendent au premier signe acquiescement.
Au bout d'une demi-heure je repère une forme en T-shirt rouge divagant vers la plage. Il parait très pressé. Cinq minutes plus tard il est à mes côtés. Il a un accent du sud à couper au couteau, la peau tannée des pêcheurs, le visage entaillé de rides sèches; il porte une alliance à la main gauche. Il a le corps musclé et sec des mecs qui travaillent en plein air. Il montre une érection fabuleuse, refuse le poppers, demande que je l'encule. Dès que j'ai fini Il se rhabille et disparaît car il s'est arrêta là en vitesse avant d'aller travailler. Les premiers vacanciers chargés de matelas pneumatiques apparaissent au moment où je vois la tache rouge de son T-shirt se hisser sur la route.


Dernière ballade dans cette petite ville où J'ai l'impression d'avoir perdu mon enfance parce que les vacances étaient toujours les mêmes. Sur le stade l'équipe de foot locale s'entraîne. Je m'assois un moment sur les gradins de pierre avec les supporters.
Au bout de l'allée qui longe le terrain de sport se trouvent des toilettes où j'ai rencontré le premier mec de ma vie. J'avais onze ans: il était roux, il sentait fort, il était couvert de poils orange et d'une multitude de taches de rousseur malgré ses trente- cinq ans bien sonnés. Il m'a emmené dans les fossés de la citadelle, il s'est branlé devant moi en m'interdisant de le toucher. Quand je l'ai vu éjaculer j'ai pensé que c'était dû à une maladie quelconque, que c'était du pus qui sortait d'un abcès. J'avais beau essayera ça ne faisait pas la même chose chez moi. Je me souviens vers cette époque d'avoir écrit dans un carnet secret que je voulais en voir d'autres pour comparer; que quand j'en aurais vu assez pour satisfaire ma curiosité, je m'arrêterais. Je ne me suis toujours pas
arrêté. Les hommes c'est le tonneau des Danaïdes, une bouteille sans fond, le manque physique qui ne sera comblé que par la dose de dope suivante.
Le soir j'avais tout de même le cœur serré sur le quai de la gare de Beaulieu. Dans le Train Bleu la couchette que j'avais louée était déjà occupée. Trois Maliens qui avaient passé la frontière italienne en fraude squattaient le compartiment. Un seul parlait anglais. Je n'arrivais pas à leur expliquer que le contrôleur les ferait dégager de toute façon s'ils n'avaient pas d'argent. On a fermé le verrou.
Je me suis bourré de tranquillisants, et j'ai dormi.















Dans la salle l'attente de l'analyste, les revues sont plutôt du genre artistique, monographies de Miro et de Picasso, ça fait plus chic. Elles restent toujours dans le même ordre, preuve que personne ne les feuillette. Une femme échevelée en jupe à fleurs entre l'air hagard. Elle tombe, se roule à terre, hurle, pleure. Le psychiatre, alerté par les cris, surgit tel un diable de sa boîte, la relève avec des précautions de dompteur de fauves et l'enferme dans les toilettes. Cinq minutes aptes, alors que les vagissements de l’internée se sont calmés, j'entends des cris à travers la cloison trop mince du cabinet.
- Espèce de salaud, vous vous prenez pour mon père ?
C'est sans doute ça le transfert... Sa voix à lui, mesurée et zézayante. reste inaudible. Il raccompagne la cliente à la porte, lui tape sur l'épaule, dit:
- Au revoir ma petite!
Je décide que je ne remettrai plus les pieds ici après cette dernière séance, que je ne supporterai plus les manipulations de ce fou sadique. C'est peut-être ça aussi le transfert réussi!
Je jette ma veste en boule sur son tapis râpé. Je lui raconte l'histoire du pseudo-militaire ramassé aux Tuileries. Il avait des souvenirs libanais qui puaient à cent mètres l'hameçon à pédé ; des marins dessinés sur son sweat, un crâne pointu d'idiot sous sa brosse blonde, mais c'était moi l’imbécile ! Dans le métro il parlait de ce pote à qui il tapait sur la tronche parce que l'autre était amoureux de lui et lui filait du fric. J'avais pas compris l'allusion. Bovin, corps blanc, petite bite, il ne voulait rien faire d'autre que la branlette. En guise de caresses, il essayait de me casser les reins en me serrant jusqu'à l'étouffement. Au moment de partir, il était devenu menaçant, avait réclamé du fric.
- Je lui ai donna le billet de deux cents francs que j'avais sur moi. Il a consenti à partir. J'avais honte.
- Honte de quoi ?
- D'avoir payé pour ça, de ma lâcheté et de l'argent.
Silence.
- A quelle heure voulez-vous venir la semaine prochaine ?
- Je ne viendrai pas. Je reviendrai quand j'irai plus mai.
Je me lève, dépose dans sa main les trois billets de cent francs.
Il me me raccompagne pas. Je claque sa porte avec la sensation d'une liberté retrouvée, mon retour à l'aliénation volontaire.

Dehors sur la place de la République les manèges tournent à vide. Je remonte la rue Saint-Martin vers le cinéma porno gay. Je course dans la salle et les chiottes un couple d'américains en short, à grosses cuisses et grosse moustache. A genoux dans l’obscurité je m'accroche à leurs mollets. Ils me repoussent. Je me branle tout seul contre le mur du fond.



Eric a emménagé avec son cousin tout au bout de l'avenue de la République. un appartement au dixième étage dont la terrasse donne sur le Père-Lachaise. Nous ne nous sommes pas vus depuis quatre mois. Entre temps je me suis pris pour un peintre. J'aquarellais sur mon pliant dans les rues de Montmartre. Je vendais péniblement quelques mauvais dessins aux touristes sur le marché aux puces de Vanves. Pour étoffer les fins de mois et liquider mes frustrations, j'ai écrit des lettres de cul pour les messageries roses. Le reste du temps j'ai vécu sur le fric de la Sécu avec mes congés-maladie.
Eric et Patrick, son cousin, font des affaires immobilières. Ils jouent les intermédiaires pas déclarés dans des transactions un peu louches. Ils sont couverts de dettes. Appartement, les factures, les comptes en banque, tout est au nom d'Eric pour que les activis du cousin ne soient pas repérées par le fisc.
Une amie de Patrick est invitée. Quand je suis arrivé elle était en pleine crise, au bord des larmes, parce qu'il n'y avait plus de Perrier pour couper le whisky. Dans la cuisine, pendant que je lave les frites, Eric me raconte qu'elle est psychothérapeute. Je n'aurais pas envie de me faire soigner par elle : je n'ai pas envie de me faire soigner du tout. Elle passe ses journées à boire, elle a de moins en moins de patients, elle est plus ou moins amoureuse de Patrick qui lui préfère les lycéens et les culturistes.
Il fait encore doux et l'on dîne sur la terrasse entre les derniers pois de senteur mauves et roses. La cloche de l'église d'à côté a un son d’angélus de campagne et l'on voit tout Paris illuminé de la tour Eiffel à la tour Montparnasse. Eric propose de monter sur le toit pour admirer la vue: mais j'ai déjà trop bu pour jouer les acrobates.
Pendant qu'Annette, la psy. et Patrick se remémorent pour la cinquième fois le film qu'ils sont allas voir dans l'après-midi, Eric me fait les honneurs du jardin, un agglomérat de bacs moussus contenant des pousses de chênes, de marronniers, de sapins, de lilas et de vignes récoltés dans les forêts et les jardins de banlieue. Deux mois plus tôt, pour accentuer l'impression de nature, il a introduit dans le paysage un bel escargot rayé jaune et noir. Depuis sa progéniture prolifère. On en trouve de toutes tailles sur les tiges où demeurent quelques fleurs épargnées par l'hiver. Toutes les semaines il est obligé d'en transporter un sac qu'il abandonne au cimetière.
Vautrés sur la table basse du salon nous roulons des joints. Les avocatiers anarchiques et stériles projettent des ombres de serpents sur les lattes de bois jaune du mur du fond. Le digestif est sucré et écœurant. On ressasse de vieilles histoires, on évoque le collège, les amitiés gâchées. Je demande de nouveaux détails sur le séjour d'Eric aux États-Unis, trois ans plus tôt.

Sous prétexte d'études, Eric était parti rejoindre Gary qui dirigeait l'École de musique de St-paul, Minessota. Le même Gary s'était adjoint Patrick quelques années plus tôt. Ce devait être un homme doué d'une inébranlable patience. Je me souviens quand ils ont débarqué à Villefranche l'été de leur voyage en France. Je les attendais sur le balcon de la villa, imaginais un stéréotype de californien dans la force de l'âge et Gary était un vieux bonhomme asthmatique aux cheveux noirs et gras. Eric s’engueule tout le temps avec lui. On le semait dans les rochers de Saint-Trop, on se faisait offrir des repas sur le port à des prix extravagants.
- Un soir de noël à saint-père en revenant de boîte, j'ai eu un accident avec sa voiture sur l'autoroute vers quatre heures du matin. Il devait y avoir vingt centimètres de neige fraîche. Les flics voulaient me coincer, j'étais comptement ivre. Il a fallu qu'il vienne me chercher à bicyclette!

J'étais dans le Nord à l'époque. J'avais une classe de troisième, j'apprenais la grammaire. J'avais loué le seul appart disponible du bled, deux pièces séparées par un palier. La plus grande donnait sur la nationale, les murs tremblaient quand passaient les camions. Je couchais dans l'autre, une vraie glacière, tout habillé, en pull et survêtement. Je dormais sur un lit de camping pliant. Les élastiques usés craquaient régulièrement. Une nuit sur deux je me retrouvais le cul par terre. J'essayais consciencieusement de faire le prof. Les collègues me prenaient plutôt pour un voyageur de commerce et me demandaient de rapporter les derniers bouquins et disques sortis à Paris où j'avais trente-six heures de week-end sommeil compris. La semaine je ne sortais de mon trou que pour faire les courses. Le lendemain les élèves me racontaient mon menu de la veille. Tous les commerçants me parlaient des notes de leurs mômes. J'avais fini par me mourir uniquement grâce à la charcuterie d'en bas où les patrons n'avaient pas d'enfant. Je grossissais, j'enflais, je voulais étouffer, me suicider par la graisse. De temps à autre je recevais une lettre d’Amérique, une cassette du récital d'adieu de Léontyne Price à L'Ordway Theatre de St-Paul, mon meilleur souvenir de cette année-là. Çà me faisait drôle de répondre de ce trou perdu où il neigeait aussi à un ami perdu dans les déserts gelés de la banlieue de Minneapolis.

En arrivant aux États-Unis, Eric venait de décrocher de la dope.
Il avait à peine posé le pied à Kennedy Airport qu'il s’était retrouvé à l'hôpital. Il voyait double et il était affecté d'une infection urinaire à laquelle les médecins ne comprenaient rien. Pendant un mois il avait fait les musées avec une poche en plastique accrochée à la queue pour éviter les dégâts . Une fois guéri et pourvu de lunettes, il avait embrayé sur le gin. De son séjour là-bas il avait rapporté des vues de gratte-ciel miroitants, quelques photos de mecs, le concierge de l'immeuble à poil, un trompettiste de jazz, un cuisinier vietnamien, deux mélodies de faire, quelques airs italiens annotés par le prof de chant qui avait été aussi son amant, le premier mouvement de La Tempête, par bribes, qu'il répétait de mémoire en se trompant toujours au même endroit.

En arrivant dans le Nord, je voulais mourir, comme d'habitude. J'en avais rapporté l'incapacité de remettre les pieds avant longtemps dans un établissement scolaire, trois plantes vertes anémiques et les maquettes en carton des châteaux de la Loire que je découpais devant la télé quand l'ennui devenait trop pesant. J'avais rendu à ma mère le Butagaz et le lit de camp. Depuis le psychiatre n'avait un peu brouillé avec ma famille.

Vers minuit quand nous en avons assez de fumer et de boire, Eric pose sur la platine une cantate de Bach ou un B52's qu'on écoute en silence. Petit à petit la torpeur me gagne, un irréparable ennui.
Bientôt je somnole dans le taxi qui me ramène à la maison. Il a oubli& de mettre son compteur en route...

Pendant deux semaines en novembre, Claude me fait suer au téléphone pour m'arracher la promesse de le recevoir lorsqu'il montera à Paris. Je n'aime pas accueillir les gens chez moi, à la rigueur ceux qui ne portent pas à conséquence, avec qui l'on joue aux cartes et qui s'en vont la partie finie. Je voudrais comme Satie ne recevoir qu'au café ou sur le palier. J'ai beau user de tous les arguments, que c'est petit, même le lit, qu'il fait froid, que je ne peux supporter la compagnie plus de vingt-quatre heures d'affilée, Claude s'amuse à déjouer mes refus:
- Tu ne me verras qu'entre deux portes, je sortirai. Tu sais, il y a tellement à voir à Paris.
Mot de provincial. Il promet pour m’appâter de me faire rencontrer le dernier pompier de la capitale dont il a garda l'adresse . Je le soupçonne de ne monter que pour cela tant il entretient de mystère quant aux motifs de son voyage. De guerre lasse je cède .
Lorsque il débarque en réalité , il n'a plus aucune intention de loger chez moi . Se drapant de nouveaux mystères, il laisse entendre qu'il est reçu par des amis influents dans les cercles du pouvoir. J'ai acheté pour hors-d’œuvre un homard congelé que il a fallu éplucher au marteau. Comme il était trop petit pour deux je le lui ai laissé ingurgiter tout seul, d'autant plus que ces bestioles ne m'inspirent pas vraiment. '
Claude m'a apporté un cadeau, l'agenda des Galeries Lafayette ! Il me refile toujours ce que il trouve trop ringard pour lui . Il lorgne avec concupiscence sur l'agenda à tranche dorée de l'Assemblée Nationale que je tiens de mon père . Comme je n'ai jamais appris à me servir d'un emploi du temps , Je le lui offre volontiers .

Le lendemain matin nous nous retrouvons devant le cinéma qui fait face à Beaubourg où l'on donne La Loi du Désir d'Almodovar. Claude a déliré toute la soirée précédente à l'idée de revoir la première scène où Antonio Banderas se branle dans les toilettes en murmurant « folla me ». Nous déjeunons, fort mal, dans un restaurant japonais. Claude demande s'il me verra sur la côte à Noël. Rien n'est moins sûr.
Il fait très froid dehors et nous nous séparons rapidement. Je le regarde s'éloigner dans son manteau de tweed, avec l'écharpe de cachemire, blanche, qui flotte derrière lui.

Grâce au film moment de de Stephen Frears, je découvre les pièces de Joe Orton: moment de bonheur.

J'écris une sonate. Ce n'est pas bon, je connais la musique de façon approximative. Je t'envoie aux éditeurs de musique. Ceux de Paris, de Londres, de Berlin répondent poliment qu'ils manquent de place dans leur programme de publication. New-York ne répond pas.

Ma grand-mère m'appelle plus souvent pour réclamer ma présence lors des fêtes. Parfois, je dis oui. Le lendemain je trouve de nouvelles raisons de me décommander. Chaque jour je fais mon sac et je le défais.

Je découvre par hasard les deux romans de Jean de Tinan chez un soldeur : moment de ravissement.

Fin décembre, il me vient une envie absurde de foule, de cohue, de bousculade, de visages d'enfants en pleurs qui trépignent devant les circuits et les jeux électroniques. Je m'agglutine avec les mômes devant les vitrines animées des grands magasins. Les parents lassés de les tenir en laisse, effrayés par avance de les perdre, leur broient la main en débitant des propos sages sur la difficulté des temps et le prix des jouets. La queue pour les escalators commence sur le trottoir. Une armée de vigiles à talkies-walkies canalisent la foule. La voix de l'hôtesse qui multiplie les annonces promotionnelles se perd dans les piaillements du public. On n'avance plus que poussa par la marée qui se déplace d'un rayon à l'autre, vers le vaisseau spatial Légoland aux poupées qui changent de sexe.
Au bout de l'usage se trouvent les toilettes des hommes. Je me demande si ça se bouscule autant là-dedans et si le magasin a veillé à y détacher de la surveillance.

Quand j'avais treize ans, je passais des heures dans ces chiottes du deuxième étage. J'étais trop petit sans doute pour que les vendeuses disposées devant les portes battantes qui y donnent accès, s'inquiètent de mon manège. Je me suis tout juste fait engueuler deux fois par des pères de famille estomaqués de mon audace. Je me souviens de l 'exhibitionniste qui venait le jeudi et s'enfuyait dès que je faisais mine de tendre la main vers lui, du boutonneux de dix- sept ans qui proposait qu'on aille chez lui - ses parents travaillaient - que je n'ai jamais consenti à suivre parce que je le trouvais trop jeune, qu'il avait des lunettes et la queue recourbée comme un crochet de boucherie.

Très vite j'étouffe à force de jouer des coudes pour me frayer un chemin jusqu'aux tables de démonstration. Le bruit des trains, des robots, des carabines à air comprimé, la chaleur et la presse deviennent innombrables. Je suis grisé et glacé par cette excitation de grand-messe. Une femme s'évanouit dans mes bras. J'achète un petit chat blanc en peluche qui tiendra compagnie sur les rayons de la bibliothèque au chat noir qu'on n'avait offert pour mes sept ans parce que c'était moins remuant qu'un vrai qui risquait de pisser partout et de s'attaquer aux fauteuils en cuir capitonné du bureau de papa.


Quand l'invitation de mes parents se fait plus précise pour le soir du réveillon, je saute dans le train de nuit pour le sud. Il est bondé. J'ai trouvé par miracle une place assise. Un morceau de ferraille bat une bonne partie de la nuit contre le plancher de notre wagon et personne ne peut dormir. Pas question de sortir fumer une cigarette dans le couloir surpeuplé, un homme est allongé à nos pieds au milieu du compartiment.

Ma grand-mère m'attend sur le quai de la gare de Beaulieu, dans une vieille jupe bleue qu'elle appelle son plissé soleil. Elle porte un long collier de perles qu'elle a noué comme une vulgaire ficelle. Elle se fait draguer par le chef de gare.

Les saxifrages aux feuilles de choux qui bordent les massifs du jardin poussent leurs premières hampes roses. Les fuchsias mal taillés jettent haut leurs clochettes desséchées. Ces anémones blanc sale qu'on appelle roses de Noël ne fleuriront qu'en Janvier.

Il fait doux à l’extérieur mais la maison est glaciale. On se couvre de pulls, de gilets, de grosses chaussettes de laine. Parmi les cadeaux qui encombrent ma valise, je sais que le plus apprécié sera la souris en peluche destitue au chat.
Le soir du réveillon, nous attendons vingt-et-une heures pour nous attabler. Je trouve dans mon assiette un chèque de mille francs. L'année dernière ma mère était là et avait glissé son propre chèque.
Je j'avais regardé avec méfiance, déclarant que je n'avais rien fait pour mériter ça. ce qui revenait à demander « que signifie cette façon de m'acheter? Combien de dîners obligés devrai-je subir en compensation ? »

C'est la merveilleuse nuit de Noël. Vers vingt-trois heures les cloches de l'égrise s'en sont donné à cœur-joie. O Sainte nuit seriné par France-Musique se confond avec le bourdonnement nasillard de la radio de ma grand-mère dont je perçois les ronflements.
Eclaté par un gros pétard, j'ai sorti le coffre de Légo et je construis une immense maison chinoise. Quand j'éteins pour juger de l'effet, l'aura magique des briques lumineuses et le point rouge du joint dans le cendrier illuminent seuls l'obscurité. Je dors dans les deux heures qui précèdent le lever du jour.

Emmitouflé jusqu'au col dans mon vieux blouson de cuir , je descends sur la plage vide de Cap d'Ail. Trouver un mec le 25 décembre, c'est ma façon de fêter la naissance du Christ. Quand c'était petit je partais en chasse juste après l'ouverture des cadeaux. J'arpentais les Tuileries désertées et je tombais dans les filets du premier mec à grosse braguette. Il m'emmenait dans de lointaines banlieues où avait persisté la neige qui ne tenait plus à Paris même sur les pelouses des jardins. On vidait la bouteille de champagne qu'il n'avait pas fini la veille. C'était lui mon Père Noël et je claquais sa porte après l'avoir enculé comme on se venge.
Mais ce jour-là le Christ c'est un gamin de dix-huit ans déguisé en cycliste. Le cuissard noir trop grand serre à peine ses cuisses maigres. Il dit qu'il repart le lendemain pour l'armée, à Berlin. Il dit non quand je m'agenouille. Je le branle longtemps. Il pisse contre le rocher et s'en va sans avoir joui.

Je rejoins ma grand-mère et sa riche voisine belge qui nous a invités au Grand Hôtel du Cap. Le maître d'hôtel m'examine avec défiance, le chien idiot de la belge manque de me sauter à la gorge. Je n'ai droit qu'à une demi-bouteille de vin. La vieille dame voûtée a mis une robe très décolletée dans le dos qui laisse admirer ses verrues en pois-chiche. Elle radote les mêmes histoires, dit que je devrais me raser la barbe, veut savoir le nom de ma petite amie, se goinfre de pâtisseries jusqu'au malaise. Un sursaut l'agite au milieu d'une phrase, elle porte la main à son ulcère et n'a que le temps d'attraper sa serviette damassée pour y vomir copieusement. Ma grand-mère affligée la conduit aux toilettes. Resté seul à table, Je contemple le ballet des serveurs sur fond de verdure, dans l'auréole de soleil froid qui filtre par les baies vitrées. Il me semble que l'un d'eux regarde souvent vers moi. Le cabot frétille et aboie pour appeler sa maîtresse perdue. Dans la voiture, au retour. personne ne parle.
Le lendemain soir je retrouve Claude dans un resto du port de Beaulieu. En dévorant sa douzaine d’huîtres il me parle de Sutherland et de Zyllis-Gara. La dame de la table d'à côté tend l'oreille et Claude force la voix pour qu'elle l'entente. Il glisse un mot sur sa femme qui doit chanter Gilda au Met. La dame d'à côté ne tient plus et entre dans la conversation. Elle aussi est cantatrice, polonaise de surcroît. Après dîner elle nous entraîne jusqu'à son bateau pour boire le champagne. Elle entonne a cappella d'air de
Manon de Puccini. Je lui fredonne une mélodie que j'ai écrite sur un texte leste de Rimbaud. Avec un intérêt joué dans l'ivresse, elle donne son adresse afin que je lui envoie la partition. Je raccompagne Claude; nous faisons un détour par les jardins qui longent la plage devant le Majestic. Claude veut rester attendre la conquête. Nous nous quittons sous les palmes en plastique des phœnix alignés sur la promenade comme des ananas géants.

Les pilotes sont en gréve à l'aéroport de Nice. Une moitié des passagers, dont je suis, a pu embarquer à bord d'un avion Jordanien affrété par la compagnie française. Le personnel nous souhaite la bienvenue en arabe et en anglais. Les stewards font la prière dans la travée centrale avant le décollage. Par réflexe quelques voyageurs se signent. L'appareil fait un bruit de casserole et il n'y a rien à boire.



Au petit matin, le premier de l'an, Eric et moi avons quitté la fête avant les embrassades, en piquant une bouteille de gin. Je ne sais même plus comment j'avais atterri là. Je me souviens à peine de la gueule de quelques branchés, crane rasé, collant noir, des chiottes tapissés de photos de mecs en double page de Playgirl, de la video de fist, de la salle de bains où un dealer trace des rails de coke sur le rebord du bidet, où je retrouve Eric qui me demande d'aller chercher du citron à la cuisine pour préparer son shoot d'héro, de l'aiguille qui s'enfonce dans les veines saillantes de son bras trop maigre garrotté d'un foulard, de la sensation de nausée qui m'oblige à détourner les yeux.
On traverse Paris à pied. Aucun taxi libre. Il fait froid. Les passagers des voitures arrêtées aux feux rouges baissent leur vitre pour souhaiter bonne année en klaxonnant à tout va. On leur répond par des insultes.
Du bas de l'immeuble, on aperçoit de la lumière sur la terrasse du dixième. Transis, Patrick et Annette tapent le carton au milieu des bouteilles vides:
- Vous voulez jouer au poker ? demande Patrick comme un service.
- Vous n'avez rien trouvé de mieux à faire un soir de Saint-sylvestre? De toute façon je déteste le poker, c'est hors de question.
Eric me tire doucement par la manche dans le salon.
- Pourquoi joue-l-il avec elle s'il se fait tellement chier?
- C'est la folie chez elle en ce moment le poker. C'est comme ça chaque fois qu'elle vient. Si on ne joue pas elle fait la gueule et part fâchée. Pourtant elle perd tout le temps. Elle nous doit déjà presque une brique à Patrick et à moi.
- Vous jouez des haricots ?
- Non, pas du tout, chaque fois qu'elle vient elle nous rembourse par deux cents balles, ça paye le dîner. Et puis en attendant elle m'a laissé son piano en dépôt. Viens voir!
Dans les chambres occupées par Eric depuis quinze ans, j'ai toujours vu des présentoirs de cartes postales reproduisant des toiles surréalistes et des statuettes religieuses, le vieux phonographe à pavillon noir, des masques en bande plâtrée, des appareils photos cassés bradés aux puces, les débris des œuvres en cours, actuellement des téléphones. Le premier de la série est enfermé dans une cage de grillage vert où s'accrochent de petits anges en bois doré, le deuxième a le cadran sur le ventre d'un culturiste en plâtre, le troisième, couronné de roses en plastique et de pampilles de cristal
n'avance pas.
Dans la pile de partitions, entre Lully et Haydn, je retrouve le cahier de chansons de cet été, je m'assieds au piano, et nous braillons en chœur Dolce Italia jusqu'à ce que les coups sous le plancher se fassent insistants.
Tout s'est tu dans l'appartement illuminé. Eric met le disque des
Leçons de Ténèbres de Couperin. Une bouteille de whisky et un litre de Perrier vide traînent sur la terrasse, renversés dans les cartes que le vent éparpille.
- Ils ont dû s'engueuler et partir boire ailleurs, commente Eric en ouvrant la bouteille de gin.
Le mélange d'alcools me retourne estomac, le son du clavecin devient insupportable, une crise chaude succède aux frissons du shit, il me semble que le fauteuil trop profond m'aspire par le fondement. Je me lève. J'ouvre la porte-fenêtre de la terrasse, l'air glacé fait du bien. Avec les jumelles de théâtre en écaille, j'observe les dernières fenêtres éclairées : un sapin qui clignote, le reflet bleu d'une télé. Je sens le souffle d'Eric dans mon cou :
- Là-bas sur la gauche, il y a un exhib qui se branle tous les soirs à la fenêtre.
Le bâtiment qu'il désigne est plongé dans l'obscurité. Je pose les jumelles. Il vide son verre.
- Il y a quelque chose de nouveau que je ne j'ai pas montré...
Sans surprise je le vois défaire la ceinture de son pantalon. Il est nu en-dessous. à partir de la racine du sexe, un large tatouage bleu sombre s'étale en larges volutes sur le pubis rasé.
- Par qui tu l'as fait faire?
- Je l'ai fait moi-même avec de l'encre et des épingles.
- Il faut que je vois ça de plus près!
Je m'accroupis près de la balustrade. Je retrace du doigt le dessin sur sa peau. Je joue de la pointe de l'index avec sa queue qui se tend. Son visage ne traduit ni surprise ni désir, il s'appuie un peu plus au balcon et laisse ma bouche s'accrocher à son sexe. Il me caresse doucement les cheveux de la main gauche. Je me débarrasse de mes vêtements. Nous sommes nus tous les deux, il fait sans doute moins de zéro; nous ne sentons pas le froid, tout Paris est à nos pieds et nous regarde.
Il me prend par la main et me conduit vers la chambre. Le couloir est en pente, les murs penchent, le boum-boum dans ma tête me fatigue.
Nous nous roulons dans le désordre du lit qui se défait, et je sombre dans le sommeil pendant qu'il me suce.

Quand l'envie de pisser me réveille, le froid soleil de l'année nouvelle jette dans la chambre une lumière crue. Une main anonyme a rassemblé nos vêtements sur un fauteuil du salon. Annette fait le café dans la cuisine. Elle jette un Neil sur ma queue. Machinalement je me cache, la sensation de mon ridicule me cloue sur place. Je rapporte deux bols de café dans la chambre remplie des relents de poppers et de gin.
Il me vient tardivement une gêne curieuse de me trouver nu dans le lit d'Eric; je remets mon caleçon.
- Pas trop la gueule de bois?
- Non, mais toi tu es tombé comme une masse.
- Oui, je m'excuse !
- Oh, ce que j'en dis... moi, je trouve ça plutôt rigolo.
- C'est la deuxième fois qu'on dort ensemble: c'était pas vraiment pareil que l'autre.
- Je t'avais trouvé bizarrement sage à Cannes cette nuit-là.
- C'est un peu inattendu après toutes ces années!
- C'était bien hier soir.
Je dis oui, le reste se bloque dans ma gorge; je découvre avec effarement que je n'ai rien à ajouter à cette appréciation.

J'ai décidé de retravailler à la rentrée de janvier parce que je ne touche plus qu'un quart de mon salaire. Les premiers jours je débranche le téléphone afin que l'administration ne puisse m'atteindre que par télégramme : un jour de gagné est un jour de gagné. L'idée m'agace qu'Eric puisse tenter de d'appeler et je passe des heures à interroger stupidement du regard le combiné silencieux sans parvenir à me décider à rétablir la ligne. Le quatrième jour. le télégramme de menace arrive; on m'a trouvé un remplacement dans une banlieue pourrie d'Orléans. Pour arriver à huit heures au boulot, Je me lève entre quatre heures et quatre heures trente. Je prends le premier métro à cinq heures quarante. Il est rempli de travailleurs immigrés, en majorité des noirs qui somnolent. Les seuls blancs portent des vestes de facteur ou des mallettes de prof. Six heures cinq, le train gare d'Austerlitz, sept heures quinze le bus à la gare routière, vingt minutes de trajet dans l'atmosphère surchauffée qui rendort. Au dehors des étendues de neige sale et encore vingt minutes de marche le long de la route verglacée.
Les collègues me rassurent d'emblée ; autrefois des balles de 6,65 pulvérisaient fréquemment les vitres de la salle des profs, mais cette agitation malsaine n'est qu'un mauvais souvenir. C'est devenu un collège comme les autres, juste quelques filles séquestrées dans les toilettes et des apprentis qui arpentent les couloirs armés de barres de fer. On m'a confié la classe des débiles légers. Il faut leur parler de face car certains sont sourds, d'autres quasi- aveugles prennent des notes en braille, la plupart ne peuvent se déplacer sans béquilles. Les élèves dits normaux se foutent de leur gueule et de la mienne.
Le soir, épuisé, je ne vois pas le trajet, je dors. J'arrive à Paris grogui, comme je embarquerai sur une autre planète. Je suis chez moi pour le début du film; ensuite il me reste quatre à six heures de sommeil avant le prochain train. Je ne vois pas le jour, je me déplace dans la nuit polaire des grandes banlieues.
Après une semaine de ce régime, les yeux cernés, jambes flageolantes, prêt à succomber à la première angine, je suis sauvé par la gréve de la S.N.C.F. Le matin, un seul train fait le trajet. On ne sait jamais très bien à quelle heure il part. La gare est déserte. Même au buffet on ne se bouscule plus pour attraper au vol un gobelet de lavasse. Les garçons causent avec le client. Le gros binoclard qui pose L'Express devant moi répond à une plaisanterie de son pote en me fixant, droit dans les yeux d’emblée :
- N'ont qu'à baiser des chèvres si y veulent pas attraper le sida !
Parfois le train finit par partir. On se gèle dans les compartiments sans chauffage. Un kilomètre après la gare on s'arrête au milieu des voies. Les petits cadres impatients font les cent pas dans le couloir. Les cheminots ont allumé des feux dans la neige pour accompagner le lever du jour. Lentement ils finissant par dégager les rails des barrages qu'ils ont construits. Quarante minutes plus tard la machine s’ébranle à nouveau. En une semaine ; j'en suis déjà au huitième volume de la Comédie Humaine. Vers midi moins le quart le convoi atteint Les Aubrais, a peine une gare, quatre quais perdus au large des voies de triage d'où s'élèvent les fumées d'autres feux dans un ciel plombé que n'agite plus la bise. C'est mercredi, dans un quart l'heure mon emploi du temps se termine. Je téléphone au collège que je ne serai jamais là à l'heure. Un train parti d'Irun la veille entre au même moment en gare et me ramène à Paris.
Chaque soir je suis rivé aux informations télévisées la grève est reconduite. le conflit s'éternise. Je ne vais plus à la gare, je rebranche le téléphone.

J'erre à travers l'appartement. Dans mes deux pièces, même en tournant en rond, on ne va jamais très loin. Je reconnais cette désagréable agitation, le vide au ventre, l'impatience qui me revient dès que je me crois engagé dans un épisode sentimental.
Affection. irritation, vaste gâchis d'une vieille amitié.
Je me réveille à l'aube : neuf heures. Il reste un ridicule petit gramme de shit dans l'encrier. Je le fume avec le café. Je ne suis pas raide. Jachère une bouteille de gin et de l'Oxydrine pour laver la cuisine de fond en comble. Je passe la journée en. caleçon, les bras dans la graisse accumulée depuis sept ans derrière la cuisinière, sur les murs, au plafond, les mains rongées par la lessive corrosive. le dos brisé par l'exploration des placards; mais apaisé, corps las, esprit tranquille.


Nous sommes dans l'un des vastes restaurants chinois de Belleville. Il est tard dans l'après-midi mais le service est continu. Nous nous sommes réveillés la tête lourde. La veille nous étions cinq à table, Annette, Patrice, Eric et Arlette qu'ils hébergent le temps qu'elle retrouve un appartement. Elle a débarqué avec quelques meubles encombrants dont une hideuse commode en bois de rose, réplique de style vaguement Louis XVI et une immense cage contenant un perroquet. Arlette aussi est couverte de dettes. Elle continue malgré tout à tirer des chèques sans provision sur diverses banques.
Elle est brouillée avec ses enfants qui vivent en province. Elle échange d'interminables lettres avec un prisonnier de Fresnes à qui elle redoute d'envoyer sa photo. Toute la soirée Annette a discuta avec le perroquet en bêtifiant. Nous l'avons imitée pour masquer notre fou-rire; elle n'a pas eu d'air de se rendre compte qu'on se foutait de sa gueule. Au hors-d’œuvre elle avait déjà sombré dans le whisky.
Personne ne peut plus feindre d'ignorer que j'ai passé la nuit avec Eric car nous nous sommes retirés tôt, au début de la partie de poker. Nous avons feuilleté un livre de photos contenant des portraits de personnages au crâne rasé, curieusement androgynes, qui semblent provenir d'un monde à peine humain. Eric a sorti de ses tiroirs des pinces à batterie. Il me les a posées sur les seins pour que je goûte la morsure des mâchoires de crocodile. Il raconte les avoir longuement testées en les reliant à un fil électrique.
passé la nuit
- Les seins c'est supportable. Là où la décharge fait le plus mal c'est dans les rouilles.
Je les enlève, je bande, nous faisons vaguement d'amour.
Au restaurant, je parle à Eric de ma collection de photos de cul, d'une expo de tatouages où l'on voyait des mecs percés, anneaux aux seins et Prince Albert. J'ai rapporté d'Amsterdam une revue où s'étalent en gros plan des queues chargées de ce type de bijoux douloureux. J' aperçois une lueur d'intérêt dans les yeux d'Eric :
- Moi aussi j'ai longtemps gardé des photos de sexes transpercés par des aiguilles, cloués sur des planchettes de liège. Quand J'ai déménagé de Chartres, je les ai perdues. Je me demanderai toujours si ma mère n'est pas tombée dessus. Elle a dû les jeter…
Ce n'est pas la douleur qui me fascine mais la perte de l’intégrité corporelle pour des raisons plus ou moins esthétiques, la beauté rehaussai par la désagrégation physique.
Je parle de cette autre revue hollandaise de fist-fucking, des bras aux poils collés par la crème qui s'enfoncent poing fermé jusqu'au coude dans des culs épates, déchirés, où l'anus n'est plus qu'un gros bourrelet rose béant, l'inverse du geste de l'obstétricien qui suggère un accouchement par le cul. qui me reporte à cet instant entre tous haï, la naissance.
- J'avais rencontré un chauffeur de taxi qui habitait à cent mètres de chez toi, rue du Repos. Ses fenêtres donnaient sur le Père-Lachaise. Il était moche, gros, presque chauve mais c'est son cul qui m'intéressait. Sans qu'il prenne de poppers ni de drogues on pouvait y enfoncer les deux mains jusqu'au poignet ou se branler à l'intérieur de lui. Il avait un gode noir monstrueux, plus gros qu'un cul de magnum de champagne sur lequel il s'asseyait sans la moindre difficulté. Défilait chez lui un vrai petit harem de lycéens en mal d'expérience qu'il ouvrait les uns après les autres en les mettant en concurrence...
En racontant les images défilent devant mes yeux, la braguette de mon jean se tend. Eric qui s'en aperçoit passe la main sous la table, vérifie et se moque de moi. Une chanson de Prince que Je ne connais pas passe en sourdine à la radio.
- Tiens, ça doit être un extrait du prochain album.
- Pas du tout, répond Eric, c'est l'avant-dernier. On parie?
- O.K. On parie quoi ?
- Celui qui gagne encule l'autre.
Le chinois d'à côté jette un regard surpris tandis que le sang me monte aux oreilles. Eric rit :
- Je trouve ça plutôt mignon de rougir encore de ce genre de choses.
Je n'arrive pas à lui avouer que je ne peux pas me faire prendre, que la douleur me semble par avance intolérable parce que je n'en ai pas le désir et que je ne suis pas amoureux.



Les vacances de février touchent à leur fin. La panique me gagne. Les trains circulent à nouveau. Après deux jours d'angoisse où je suis resté couché volets fermés, je sais que je ne pourrais plus faire les trajets quotidiens. L'aventure avec Eric me sert de prétexte à me convaincre d'aller mendier un arrêt chez le médecin.
Le cabinet de Françoise, mon médecin est au rez-de-chaussée, en face de la loge du concierge. La salle d'attente donne sur la rue Lhomond par une sorte de vitrine en verre dépoli. A l'intérieur tout est blanc, sauf le rideau qui représente des oiseaux chinois s'envolant vers la lune. Deux éventails ouverts au milieu des plantes vertes qui agonisent constituent la seule décoration. La table basse en rotin est couverte de revues espagnoles, de Holà à Mundo Obrero. Au dos de l'une d'elles j'ai trouvé un poème de Lorca que je m'efforce d'apprendre par cœur pour tromper l'attente.
Apprendre l'Espagnol, c'était l'idée tordue de cet hiver, dans l'illusion que j'irai bientôt à Barcelone. Mais je sais que je ne partirai nulle part; je n'aime pas les voyages. Il me suffit de connaître Gaudi par les livres l'art et le Barrio Chino par le Guide du Routard. J'avais pourtant pris le billet de train et des travellers en pesetas. Je n'ai jamais pu décider de la date du départ. Alors j'ai changé les travellers et revendu le billet. J'ai perdu cinq cents francs pour voyager dans ma tête.
Françoise demande si je continue mon analyse. Je lut avoue que J'ai rompu une fois de plus. Elle fait semblant de se mettre en colère:
- C'est ça que tu veux ? prendre des médicaments toute ta vie? Tu ne grandiras jamais ?
Tu ne te prendras Jamais en charge!
Grandir, je ne veux pas. Guérir? Je ne suis pas malade, on ne guérit pas de soi-même.

En sortant du cabinet j'ai un arrêt de travail et un régime en prime. J'ai beaucoup grossi ces derniers temps. Pour ravaler mes contrariétés je tentais le suicide par ingestion de graisses, de sucre et d'alcool. J'espérais confusément mourir d’étouffement.
C'est jour de marcha rue Mouffetard. Dans la perpendiculaire se trouvent un magasin de pâtes fraîches et un boulanger dont Je raffole. Le régime commencera demain. Ou un autre jour. Je n'ai personne à qui plaire.

Le soulagement que me procure l'oisiveté est de courte durée.
Je ne m'intéresse à rien. Un vertige me maintient couché. Je fume pétard sur pétard, la nuit surtout. Allongé devant la Cinq, mi-conscient, mi-somnolent, je regarde défiler en boucle les vieux téléfilms policiers des années soixante.
Je reçois une lettre de Claude qui se plaint de ne pas avoir de nouvelles. Il étudie la proposition d'une firme américaine qui lui permettrait de retourner aux U.S.A. Dans ce qu'il écrit une phrase me frappe : «  J'en ai marre de végéter à l’européenne ». Mon inertie méditative m'empêche de lui répondre. De toute façon il va quitter la France. Je ne le verrai plus.


Eric est venu dîner pour échapper à Patrick et Arlette qu'il ne supporte plus.
- Patrick me pousse dans tes bras. Il dit que nous devrions habiter ensemble.
- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Ça ne tiendrait pas quinze jours.
- Je ne crois pas non plus. Fucus n'aimons pas les mêmes choses.
- C'est la jalousie qui le fait parler.
- Je crois qu'il aimerait vivre seul. Moi pas.
- Patrick a toujours cru, comme Gary, que c'est moi qui te dévergondais: alors que c'est exactement le contraire. Tu es mon mauvais génie.
Eric rigole.
- Tu te souviens du jour, au collège, où tu m'as balancé un cartable sur la tête du troisième étage?
- Oui, c'était pas moi qui avais eu l'idée, mats je visais bien. T'es tombé raide, on a cru qu'on t'avait tué.
- Pendant deux semaines j'ai eu mal au crâne, et des éblouissements continus. Je devais aimer ça dont, cette espèce de raideur permanente.
- Tu te souviens de Berthier, le prof l'histoire ?
- J'ai toujours eu horreur de l'histoire.
- Après chaque contrôle, il disait: « Frédéric, il nage la brasse coulée. Il ne s'enfoncera jamais vraiment. Au dernier moment il émerge. il sort la tête de l'eau pour respirer, puis il replonge. Il n'y a pas à s'en faire pour lui, il ne se noiera jamais pour de bon. »
Nous sommes nus sur le lit. Entre nous pas de désir, deux gamins qui s'amusent à se jeter des oreillers à la tête.
- Je vais te montrer autre chose. Tu as une épingle ? Entre deux doigts il se pince la peau au-dessus des côtes et appuie de l'index sur la tête de l'épingle. La pointe pénètre sous la peau et en ressort un centimètre plus loin comme une marque de couturière sur un costume bâti pour l'essayage.
- Çà ne fait pas mal: tu vas voir!
Il talonne, cherche sur mon ventre l'emplacement la peau est assez mince, dit ''voilà'' d'un ton enjoué et enfonce l'épingle avec une précision de fakir. Je m'étonne de ne sentir presque rien, moins qu'une piqûre d'insectes. Çà ne saigne même pas. Je regarde avec amusement cette drôle de décoration.
- Je me souviens d'un mec que j'avais trouvé au sauna. Il se balançait dans le sling accroché au plafond de la cabine en sirotant un whisky. Il était complètement beurré et se laissait toucher par tout le monde. Il portait une épingle à nourrice planage en travers du téton droit et il poussait des rugissements de douleur et de satisfaction dès qu'on posait le doigt dessus.
- Oui, c'est plus douloureux à cet endroit. L'alcool, ça aide, ça anesthésie. Vaut mieux pas avoir trop fumé pour ce genre de truc.
Il prend l'épingle que j'ai déposée sur la table de nuit, se chatouille le sein pour le faire bander, le pince fort entre ses doigts et l'introduit l'usinage avec une légère grimace.

Le lendemain il fait beau, nous jouons les touristes dans Paris.
Nous visitons le musée d'Orsay, nous sourions devant les étranges poses pseudo-grecques de Nijinsky filmé dans L'Après-Midi d'un Faune. Nous faisons la course dans l'escalier interminable de la Tour Eiffel. Hors d'haleine nous nous penchons au bord de la rambarde. Il fait froid. nous nous séparons sur le parvis du Trocadero.


Je téléphone plus souvent, je deviens insistant, gênant peut-être. Patrick se fait un plaisir de me signaler qu'Eric n'est pas rentré, qu'il a filé la veille chez un mec contacté par minitel. Je prends pour de la jalousie l'agacement que l'éprouve, cette blessure d'orgueil de me découvrir si peu important dans la vie d'Eric. Je fais des efforts pour me convaincre que je suis tout de même un peu amoureux, en vain. Mes mains divaguent sur le piano, je note les premières mesures d'une chanson dont le refrain dit 'Il n'y a vraiment rien à faire.
Je la lui chante lorsqu'il me rend visite. Il dit ressentir pour la première fois de l'émotion à l’écoute d'une de mes chansons, demande qui est censé parler dans ce texte qu'il pourrait aussi bien avoir écrit, repère:
- Oui, c'est exactement ça, il n'y a vraiment rien à faire…
- …
- Je croyais que ça nous rapprocherait de coucher ensemble, que je pourrais enfin raconter à quelqu'un ce que je vis et dont j'ai honte devant les autres. Je m'en fous que ça te fasse bander. Ce que Je voulais c'était avant tout en parler. Je n'aime pas le sexe, et ce que je fais avec les autres, de parfaits inconnus, je ne peux pas le partager avec toi.
- Je sais, il vaut mieux qu'on arrête de se voir quelques temps.
Pourtant nous nous retrouvons au lit à mimer une dernière fois les gestes de d'amour.
Le matin, au réveil, je sens qu'Eric bande contre mon dos. Je me frotte à lui sans le regarder. Couché sur le ventre je le laisse s'introduire en moi. Il me chevauche quelques instants. Je geins :
- Tu me fais mal.
Il se retire, s'étire, baille :
- Si je te fais mal, c'est pas la peine…








































Fin avril, les narcisses et les tulipes jaillissent de terre. Tout un banc de giroflées sauvages est apparu fond du jardin.
Ma grand-mère fait une phlébite et doit rester couchée, ce qui est pour elle la pire des punitions.

Le jour de mon arrivée - comme habitude je n'avais pas prévenu - elle attendait avec impatience le passage du pharmacien qui avait accepté de lui porter ses médicaments à domicile. J'avais à peine posé mon sac qu'il sonnait au portail. Je l'avais toujours trouvé pas net, le pharmacien, un grand brun sec avec une voix de basse, mais j'avais renoncé à creuser le problème. Et voilà que je le tenais là sous la main, et qu'il me roulait des yeux de braise comme s'il n'avait jamais rien vu de plus désirable que moi. Depuis des mois j'étais resté chaste, et là promesse d'un gibier facile (après tout c'était la faute au hasard) m'excitait singulièrement. Je n'allais pas le laisser repartir comme ça, je me suis lancé dans une visite en règle de la maison. Comme il aimait la peinture, je lui ai montra les tableaux de ma mère. Il a dit:
- C'est bien de coutoyer les artistes. Moi aussi à ma manière je suis artiste à mes heures.
- Dans quelle branche? t
- Le spectacle.
Là, un silence, puis:
- Je fais des spectacles de travestis.
J'ai essayé de l'imaginer avec une perruque blonde et un fourreau noir à la Rita Hayworth. Avec ses ombres de barbe dure et son gros nez à bout rond, le fou-rire était garanti. Une fois la confidence crachée, il est devenu tout de suite très entreprenant. Sa main se baladait dans mon dos comme aimantée par mon cul. J'aurais dû tout de suite le foutre à la porte mais j'étais en manque et je l'ai invité à rester dîner. A table il continuait à me dévorer des yeux en me faisant du pied. Ma grand-mère ne pouvait pas ne pas le remarquer, d'autant plus que je devenais écarlate à la première phrase à double sens. Pas froid aux yeux, le mec ! il voulait déjà coucher là, dans ma chambre de gosse, où je n'avais jamais ramené personne. Comme je refusais, il m'a proposé de sortir. Pour ma première soirée avec ma grand-mère malade, je l'ai laissée toute seule. Elle feignait d'être ravie que je me sois fait un ami et m'encourageait à l'accompagner. J'avais honte, mais il fallait que je me le fasse ; ça devenait un besoin urgent et même le ridicule ne pouvait plus n'en empêcher.
Dès qu'on s'est retrouvés assis dans sa guimbarde il m'a roulé une pelle. La commère d'à côté promenait son chien au même moment ; c'en était fini de ma réputation de petit garçon modèle.
Dans le parking de son immeuble sur les hauts de Cimiez il m'a demandé à l'oreille si je me faisais prendre. Je suis resté le plus évasif possible. Il répétait tout le temps:
- Ce que j'ai envie de t'enculer !
Il me collait dans l'ascenseur ? Quand on est arrivé chez lui ; il y avait un mec en T-shirt marin devant la télé. Ils ont commence à s'engueuler. Son mec, Mario, avait l'accent de Toulon et les bras couverts de tatouages. Il lui a dit :
- Ça fait rien, vous avez qu'à baiser là, je regarderai pas.
Le studio était minuscule avec un lit en mezzanine. J'ai tout de suite senti que la soirée tournait à la galère. J'ai refusé. On a repris la voiture.
- Mais je te dis que c'est pas mon mec, insistait le pharmacien. C'est un copain que je dépanne parce qu'il sort de prison.
On s'est arrêtés le long de la corniche dans un coin sombre. Je n'était pas très chaud, des voitures passaient sans cesse, leurs phares balayaient son visage. La litanie a recommence:
- Dommage qu'on soit pas dans un lit, J'aurais tellement voulu te baiser!
Il a ouvert sa braguette et m'a collé sous le nez une queue énorme, un gourdin monstrueux. J'ai béni la prudence qui m'avait retenu de lui promettre quoi que ce soit et je l'ai sucé en bavant et en m'étranglant parce que j'avais du mal à le tenir tout entier entre mes lèvres. Il se poussait comme une brute dans le fond de na gorge pendant que je me branlais avec résignation. Tout à coup, sans crier gare, il a ouvert les vannes et le goût âcre du sperme m'a envahi la bouche. Je me suis retiré précipitamment, j'ai craché par terre son foutre sur le tapis de sol en lui disant sèchement qu'il aurait pu prévenir. Il a répondu :
- T' inquiète pas, j'ai pas le sida.
Avant de me ramener il a voulu me payer un verre et j'ai accepté en me disant qu'il valait mieux rentrer bourré de cette façon-là que de l'autre. Il m'a emmena dans une sorte de piano-bar hétéro où braillait une chanteuse décatie. Entre chaque gorgée de son cocktail il voulait m'embrasser au grand amusement des couples qui nous faisaient face. Il me susurrait des conneries à l'oreille, qu'il m'aurait bien emmené dans les chiottes pour que je lui taille une autre pipe. Je n'avais pas joui, mais tout ça me dégoûtait de plus en plus. Je lui ai dit que je rentrais. Il a voulu repasser chez lui au cas où Mario aurait déguerpi entre temps. En chemin on a fait un détour par les abords du square d'Alsace-Lorraine où ça drague de nuit. Mario, qui, de dépit, c'était rabattu sur une éventuelle rencontre dans les parages, s'est jeté sur la voiture. L'autre a continué à d'agresser :
- Alors, t'en venu faire une passe ? Tu lui a pris combien?
Je savais plus où me foutre. Mario est finalement monté dans la voiture pour qu'il le ramène et l'engueulade a continué entre les propositions de baise à trois. Le toulonnais maugréait sur la banquette arrière qu'il était juste bon à se faite enculer et qu'on le jetait après. J'avais plus envie de rien, sauf de rentrer, de dormir, d'oublier tout ça.

Le lendemain, il a fallu que je retourne à la pharmacie chercher le complément des médicaments. Ça a été une épreuve ; devant les laborantins, il m'appelait « mon chéri », demandait quand on se revoyait. J'ai dit « jamais ! » et je me suis cassé.

Quand ma grand-mère me demande de ses nouvelles, j'élude la question. Je crois qu'elle a compris et elle n'en parle plus.

Tous les deux jours, je vais faire les courses avec le car à Beaulieu, muni de mon grand sac de voyage. Les volets de l'appartement de Claude restent obstinément fermés. Je ne pourrai même pas lui raconter la soirée d'horreur avec le pharmacien.

Depuis peu j'ai décidé de nouveau que la peinture était ma seule vocation. Je descends dans la ville avec mon pliant de pêcheur. Parfois un touriste m'achète un dessin à peine achevé. Je continue à vivre des indemnités de l'Etat. Françoise reconduit mon arrêt tous les mois, menace de ne plus le faire si je ne reprends pas contact avec le psy. J'ai promis d'y retourner à mon retour à Paris.


Eric m'appelle à Villefranche pour me signaler qu'il est à Cannes chez Orna. Je suis content de l'entendre. L'embarras que nous éprouvions quelques mois plutôt s'est dissipé. Eric a cherché du travail pour quitter l'appartement de son cousin. La nuit, pour huit mille francs par mois, il écoutait la radio des pompiers et transmettait les messages aux différentes unités. Pour s'occuper dans les blancs il a enfin entrepris l'étude du japonais. Après trois semaines de maladie il a obtenu de se faire licencier. Quelqu'un renvoie pour lui les cartes de pointage à I'A.N. P. E.
Avec l'argent du chômage il a décidé de d'offrir une virée sur la côte; il ne compte pas être convoqué avant plusieurs semaines. De temps à autre il accompagne Orna sur les marchés où elle tente toujours de fourguer ses lots de chaussettes défectueuses. Ce jour-là, très tôt, ils ont acheta au M.I.N. de Nice des cartons de muguet. Eric est allé en vendre sur le port de Cannes. Il y a des marins américains en ville.

- J'essayais de leur expliquer la coutume, que ça portait bonheur, tout ça... qu'on en offrait à sa petite amie. Un des trois me dit qu'il en n'avait pas. Je réponds « pour ton copain » alors. Il a froncé le sourcil. Je lui en ai donné un brin en lui disant que je le trouvais mignon. Les deux autres se sont marré et j'ai failli me prendre un pain dans la tronche, mais ils l'ont retenu à temps. Deux heures plus tard, un des trois, le plus moche malheureusement,. est venu tourner autour de moi. On a rendez-vous demain. Tu veux venir ?

Eric vient me chercher à la gare de Golfe-Juan dans la 4L bleue d'Orna. Le berger allemand aboie quand nous passons la grille. Le père Baldi nettoie son fusil au bout de allée de graviers et nous jette un regard meurtrier.
- L'atmosphère est intenable. Orna leur doit deux mois de loyer qu'elle ne veut pas payer. Elle les menace de les dénoncer aux flics parce qu'ils louent au noir, sans contrat. Si le garagiste n'avait pas une faiblesse pour elle, ça se serait déjà terminé par des coups de feu.
Les meubles de jardin ont été revendus. Les fleurs qu'on avait piquées dans les jardins de Cannes n'ont pas résisté à l'hiver.

A la nuit tombée on s'achemine vers le café du centre où est fixé le rendez-vous. La terrasse donne sur le square aux dealers. Eric me désigne au loin le marin qui s'avance dans son velours à côtes trop étroit. Je reconnais Jeff. Il paraît assez désagréablement surpris de me voir. Il porte à la boutonnière le brin de muguet qui se dessèche. Je lui demande s'il a des nouvelles de Claude. Il hésite un moment, cherche son carnet et me donne son adresse à Seattle. nous passons deux heures à discuter devant des demis. Jeff montre des photos de sa femme et de ses gosses. Je décide de rentrer, Jeff, je connais déjà. En les abandonnant devant la gare, je dis à Eric :
- Mets-lui en plein le cul au petit père de famille : il adore ça !


- Malgré la fraîcheur de la nuit, j'ai laissé le vasistas de ma chambre ouvert pour que la fumée de mon joint n'envahisse pas la pièce. Dans la vitre se reflètent, à l'envers les lumières du quai Courbet et de la ville basse. La radio diffuse de la musique religieuse; il est minuit passé, c'est déjà dimanche.
Ici lorsque j'avais adolescent, j'ai tellement rêvé d'amours partagées que je déguisais en amitiés exclusives. Je leur écrivais des lettres saignantes, à l'encre rouge.
Lorsque j'éteins la lumière. il me semble que leurs fantômes blanchâtres continuent à habiter ce lieu, qu'ils me regardent dans l'obscurité avec leurs grands yeux de bêtes fauves.

Je descends d'escalier de bois qui craque. Ma grand-mère dort.
La voix de Macha en sourdine grésille sur son transistor. Je lui retire des mains le journal d'avant-hier sur lequel elle s'est endormie, j'éteins la lampe de chevet. Le chat, roulé en boule sur son ventre dresse une oreille et me dévisage comme un intrus. Je remonte la bouteille de gin que j'avais cachée dans la salle de bain.

Cher Claude,

Je souffre de ne pouvoir t'appeler. Je me souviens de cet été d'il y a sept ans où je fonçais sur ma mob pour te retrouver, de l'air de fête qu'avaient les palmiers chargés d'ampoules dans les jardins du casino, de Rossini, de Vivaldi, de Haëndel. Il me semble qu'avec toi c'est tout un pan de ma vie qui s'est en allé comme repartent les bateaux ancrés dans la baie de Villefranche.
L'Amérique pourtant n'est pas si loin puisque c'est Jeff, rencontré à Cannes, qui m'a donné ton adresse. Mais je suis promis aux courses brèves, aux cars et aux trains de banlieue.
Le piège s'est referma sur moi. Je ne sais rien faire. Je continue à peindre des natures mortes, still life, je me suis enfermé dans la vie silencieuse ; autrefois il m'arrivait de rêver que je perdais la parole. Je croyais qu'on me comprendrait mieux si je devenais muet, qu'on me forcerait moins à faire ce que je redoute. Alors je suis devenu infirme dans la tête, j'ai échangé ma vie contre un cauchemar d'alcoolique (ça rime avec colique, avec mélancolique, ça rime à rien.)

Le tapis de ma chambre est couvert de papiers déchirés. C'est presque l'aube. Un vent de printemps m'apporte l'odeur de la mer. Cette lettre, comme toutes les phrases qui m'échappent, dormira dans mon tiroir aux secrets, fermé à double tour.



Paris, début Juin : je reçois des lettres de menace des assistantes sociales et des médecins de l'administration. Afin de paraître en règle, vraiment incapable, un peu dangereux, voire fou, je retourne chez l'analyste.
Il dit « asseyez-vous » et aussitôt la paralysie me gagne. Je n'ai rien à lui dire; à ce moment-là, tout me paraît indiffèrent, tout est également inutile.
- Vous savez bien que c'est devant votre silence que tout le monde s'est cassé la tête... ou la gueule, si je puis dire.
- …
- Vous êtes venu avec le seul compagnon qui vous soit toujours resté fidèle .
- Je ne vois pas.
- Il n'y a peut-être rien à voir.
- Quel compagnon ?
- Mais, le silence, bien sûr!
- ...
- Quand voulez-vous venir ?
Je le laisse fixer le rendez-vous suivant. Je lui tends les trois billets de cent francs. Dans l'escalier, je regarde ma montre. La séance a duré moins de cinq minutes et je lui en suis reconnaissant. Un soulagement inattendu descend sur moi comme la grâce quand je repasse la porte de son immeuble.

Les abords des jardins se repeuplent la nuit. L'été vient. Je saute les grilles des Batignolles. Un garçon me suit. Lorsqu'il me rejoint je me branle déjà caché dans un bosquet. Sa main se pose immédiatement sur mon cul, ses doigts me font mal quand il les enfonce en moi. Je m'empale sur sa queue comme sur le couteau du meurtrier. Sans se préoccuper de mes gloussements, il me baise avec violence. Son souffle dans mon cou sent l'alcool, il est ivre. Je tends le cul vers lui. Je réclame la douleur comme un enfant la consolation. Il jouit sur mon dos en hurlant comme un loup. A plat ventre, face contre terre, j'entends le bruit de son ceinturon qu'il rebouche, puis ses pas qui s'éloignent.
Nous n'avons pas échangé un seul mot et je n'ai même pas regardé son visage.

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