jeudi 28 septembre 2017

Annexe à "Tout est OK à K-pital CT"











SCOTT O' HARA
par lui-même


textes traduits et réunis par J. Lebrac



























1996







DAVE KINNICK

Critique vidéo pour Advocate Men, journaliste et écrivain, Dave Kinnick a regroupé ses interviews de stars du porno, augmentées d'anecdotes ayant trait à sa carrière de cameraman de blue movies dans un volume intitulé Sorry I asked , dont les paragraphes suivants sont extraits:

SCOTT O'HARA

Tout à coup, les gens ne pouvaient plus prononcer son nom sans l'appeler « Scott-la-plus-grosse-bite-de-San-Francisco-O'Hara ». Ils en avaient la bouche pleine de ce nom, aussi remplie que si, à la place du nom ç'avait été la queue en question, que tous s'accordaient à trouver exceptionnellement grosse et belle. Mais on ne peut guère réduire un homme à sa queue. Scott n'échappe pas à cette règle ; en faite il en est l'illustration-même. Je n'ai jamais rencontré personne de plus gentil, de plus intelligent, de plus complexe que Scott. Qui l'aurait cru en jetant un œil à ses premières œuvres?
Il apparaît pour la première fois dans un sketch de compléments tourné en 1982, et édité plus tard par Falcon dans la compilation intitulée Wïnner takes All . On l'y voit enfiler un tuyau d'arrosage (d'où l'eau jaillit) dans le cul de Randy Page. Ce n'était probablement pas le moyen le plus subtil de lancer une carrière. Six années durant il fut distribué dans des rôles de premier plan et tourna une série de vidéos. Certaines étaient réalisées pour de grandes compagnies, d'autres pour des producteurs à petit budget. Il s'y montra toujours plus que seulement regardable, arborant invariablement une énorme bite raide et un sourire malicieux. J'avais un gros faible pour lui, c'est le moins que je puisse dire...
Vers la fin de sa carrière à l'écran (et avant qu'il ne se lance dans une vie passionnante d'écrivain et de voyageur), je commençais à regretter vivement les grands moments de Scott: j'étais en manque. Au début de 1994, je me rendis pour le week-end à San-Francisco, chez des folles radicales de mes amis. Dans l'escalier de leur grand appartement se trouvait un tableau de liège où était épinglés toutes sortes de jolis flyers et de photos de garçons. Une photocopie agrandie d'une photo de Scott trônait, datant de l'époque où on l'appelait Spunk ; il avait une crête et brandissait comme un sabre sa queue que trois poings fermés n'auraient pas contenue. Je ne pouvais plus m'ôter cette image de la tête.
J'étais là pour la deuxième conférence annuelle des écrivains gays et lesbiens que sponsorisait, cette année-là, le magazine Outlook . Deux jours plus tard, je sortais d'une réunion de travail dont l'objectif était de déterminer si nous, journalistes gays, devions ou non revendiquer le qualificatif « pédé », et il était là, dans le hall, Scott dans toute sa gloire, babillant avec le délicieux poète juvénile qu'est resté Gavin Dillard. Scott portait un blouson de cuir usé, il était magnifique, malgré un mauvais rhume de cerveau et ses premières mèches de cheveux gris.
Je m'approchai et demeurai patiemment à ses côtés dans l'espoir de lui glisser un mot. A ma grande surprise, il se tourna vers moi et me demanda qui j'étais. de le lui dis, il se leva et m'étreignit avec chaleur en me disant qu'il aimait beaucoup mon travail. Dieu, qu'il est difficile de rester calme, parfois! Nous avons discuté presque tout l'après-midi, jusqu'à ce que je finisse par trouver le courage de lui avouer que je ne cesserai jamais d'être amoureux de lui, ce qu'il prit avec une grande modestie. Nous sommes amis depuis et il abandonne deux à trois fois l'an sa retraite rurale du Wisconsin pour me rendre visite.

Copyright Dave Kinnick 1993, édité par Masquerade Books Inc, New York.







































Scott O'HARA
sous le pseudonyme de SPUNK

TOUTE REFLEXION FAITE



C'est un fait : je parviens à me sucer moi-même. Rien d'extraordinaire à mes yeux ; je pratique depuis que je suis en âge de me branler. c'est néanmoins une attraction majeure pour nombre d'autres mecs, et, si l'on y songe, pour certaines femmes aussi. Non pas que j'en tâte régulièrement, mais quand l'occasion se présentez ça peut être rigolo. Les différences ne sont pas si grandes, un peu plus de douceur, un peu moins de muscles. Mais où en étais-je? Oui, en train de me sucer tandis que tout le monde bée admiration et d'étonnement. Bien.
Tout au long de mon adolescence, en plus des branlettes conventionnelles dans la salle de bains, j'ai pratiqué l'auto-fellation, juste pour m'assurer que j'y arrivais toujours. En fait de public, je n'avais alors que les arbres des bois où je me réfugiais pour m'astiquer, et, je suis catégorique sur ce point, jamais je n'ai montré à quiconque de quoi j'étais capable. Je pensais que tout le monde le faisait - personne ne me l'avait interdit, personne ne me l'avait enseigné - c'était venu naturellement- D'ailleurs ce n'est qu'après un an de masturbation (et de pipes solitaires) que j'obtins ma première évacuation torrentielle, mais ce n'était pas dans la bouche. J'avalais quand même, impatient de connaître le goût du foutre. Je ne fus pas déçu. La fois suivante, je de fis un devoir de me jouir directement dans la bouche. Peu à peu, l'habitude prit le pas sur la nouveauté, mais je pense toujours que la meilleure façon de bouffer du sperme est de le tirer directement à la pompe.
Ce qui ne s'accorde guère avec les modifications intervenues dans mes pratiques sexuelles quelques années plus tard: les perspectives changent lorsqu'on réalise que ce qu'on boit - et ce, quel que soit le goût qu'on ait développé pour la chose- constitue peut-être une ration mortelle. Je ne suis pas sûr qu'avaler du sperme soit un vecteur avéré de contamination ; je connais trop de gens bien vivants et en pleine forme qui ont passé toute leur existence derrière des glory-holes. Je les envie vraiment. Parce que je doute ; si le doute et l'incertitude font fleurir imagination, ils tendent aussi, dans la réalité, à faire passer le sexe à la trappe.
Mon propre sperme est donc redevenu aussi essentiel que dans mes jeunes années, quand je n'avais pas d'autre fournisseur ; je ne le gaspille pas pour n'importe qui. Seulement pour une personne chère, ou, du moins pour quelqu'un qui me trouble. Ou bien encore pour un public attentif.
Oui, c'est le mieux. Bien sûr j'aime aussi les relations pries, d'homme à homme, mais le meilleur catalyseur de mon excitation, ce sont les spectateurs... des dizaines de paires d'yeux rivés à mes déplacements sur la scène, tandis que je les titille en me déshabillant et que je fais monter la sauce... Les séduire, même s'ils sont conquis d'avance... suant, caressant, secouant, léchant la tête de mon nœud, les aisselles, mes bras luisants, ma poitrine, mes doigts moites d'avoir joué avec mon cul, mes orteils même-, mouillant d’excitation, répandant sur mon visage les gouttelettes annonciatrices... les odeurs du sexe envahissent la scène ; sueur, foutre, cul, pied, latex… Parfois, oui, j'utilise des capotes pour jouir sur scène ; pour le fantasme qu'elles trimballent du jeune mec hétéro qui veut se taper une fille au drive-in du coin, ou de mon père qui fourre la nouvelle voisine à la renverse sur le canapé, pendant que je mate, fasciné, par le trou de la serrure... La réali n'a pas de place sur scène, et vice-versa. Vive l'imagination! Tout en m'exhibant là-haut sur les planches, je descends dans les profondeurs de mon réservoir à fantasmes. Je lâche la bride, je lâche tout : des femmes, des enfants, des chiens, des chevaux ; jusqu'au meurtre... pendaison, castration, la baise à mort... Ho, ce ne sont que des fantasmes, bordel de Dieu. Si vous mettez des barrières à vos fantasmes, c'est que vous avez vraiment un parapluie dans le cul ! Un de mes préférés, qui marche à tous les coups : je glisse et je tombe de scène après avoir chauffé à blanc le public pendant une vingtaine de minutes ; avant que j'aie pu me relever, une demi-douzaine de spectateurs, enflammés au-delà du raisonnable par ma prestation d'allumeur, se saisissent de moi et m'immobilisent tandis que le reste du public fait la queue pour m'enculer, chacun son tour, sous les feux des projecteurs. Je finis par cesser de me débattre : inutile. Ils n'arrêtent qu'avec l'aube, et quand disparaît le dernier, je peux enfin rouler sur le dos et faire jaillir dans un battement le trop plein qui m’engorge les couilles et que j’ai retenu tout au long de la nuit.
Encore une fois, simple fantasmes d'accord ? J'ai été violé, une fois ; ce n'était pas amusant. Deux grands noirs (Oh Dieu, faut-il préciser que je ne souhaite pas apporter d'eau au moulin des racistes, mais la réalité tient parfois du cliché) qui n'avaient offert de me ramener chez moi - est-ce que je pouvais deviner ? j'avais dix-sept ans et le lait me coulait encore du nez - me traînèrent dans un square pour me violer, pour essayer au moins, aucun des deux n'étant parvenu à me pénétrer : j'étais étroit comme un puceau (je l'étais presque), ils étaient trop défoncés ou trop paniqués. Ils se décidèrent alors à me rosser, me piquèrent mes fringues, et me laissèrent à moitié inconscient sur le pavé dans un quartier où je n'avais jamais mis les pieds. A l'époque comme aujourd'hui, je ne pus réprimer un fou-rire. Qu'est-ce qu'ils y avaient gagné ? Moi, au contraire, je m'étais enrichi d'une histoire très dramatique à raconter... et qui ne diminua en rien mes fantasmes récurrents quant au viol.
C'est ça la magie du fantasme ; en aucun cas ce n'est réel. On n'a pas à surveiller le tour que prennent les choses, elles vont aussi loin que vous le souhaitez, jamais au-delà. Pas besoin d'y repenser le lendemain matin, si vous n'êtes pas du matin (Moi si, il suffit qu'un rayon de soleil s'insinue dans ma chambre pour que je me sente chaud et sensuel). Il n'y a ni conséquences physiques, ni contraintes. Un de mes fantasmes habituels cet en scène un Doberman et ce que j'en fais tomberait sous le coup de la loi dans cinquante au moins des États de l'Union ; si je m'y adonnais en vrai (pourquoi ? c'est à mon sens un mystère impénétrable. Le chien aurait sans doute du plaisir à m'enculer, je ne compte pas mêler de tiers à l'affaire ; à qui cela fait-il du mal?.. mais je m'éloigne.) Je n'ai jamais réalisé ce fantasme: je n'ai jamais fait plus qu'encourager un petit chien consentant (le maître aussi était dans la conspiration) à me lècher tout le corps, ce qui se révéla un tantinet agaçants mais sembla procurer à la bête d'interminables délices. Et le chien n'était pas majeur -ce qui prouve qu'il n'y a pas d'âge requis pour éprouver les joies du sexe. Je ne pense pas progresser vers la réalisation de ce fantasme d'ici longtemps; il y a un gouffre entre imagination et réalité. Peut-être suis-je devenu moins aventureux, mais je ne ressens plus le besoin d'expérimenter toutes les sensations que le monde peut offrir. Certaines choses sont plus satisfaisantes en esprit.
Ce qui m'amène à soulever la critique suivante à l'égard des vidéos réalisées de nos jours : les metteurs en scène paraissent ignorer le pouvoir érotique de la suggestion. Tous veulent nous asséner leur quart d'heure de baise non-stop -sans doute dans le but de nous démontrer que les protagonistes étaient capable de tenir le choc quinze minutes d'affilée. Merci, je suis en mesure de d'imaginer, et probablement avec plus de vivacité que les parties prenantes n'en montrent.
Je veux dire par là que même si j’entraînais un chien à me baiser (ce qui demanderait plus de temps que je ne suis décidé à consacrer à un tel projet), le résultat serait certainement très en dessous de les espérances. Je ne doute pas de finir par apprécier, avec le temps, la technique du chien, mais je ne pense pas qu'il parvienne jamais à me satisfaire à l'égal d'un homme. Je risque de plus d'avoir du mal à lui faire enfiler un préservatif... aussi longtemps que je n'aurais pas essayé, ça restera un fantasme de première bourre.
Le même miracle se reproduit sur scène : pour quelques instants j'incarne le fantasme de tous ces hommes. Je suis plus que moi-même ; ouvert à toutes les interprétations possibles, je deviens ce qu'ils désirent que je sois ; c'est le seul moment où je parviens à oublier l'individu que je crois être. L'enveloppe n'a plus la moindre importance, le feu de l'imagination prend le relais, ils ont tout pouvoir, ils me contrôlent -1e plus souvent, ils n'en savent rien et ne voient pas qu'ils me guident par la main avec laquelle ils se branlent, qu'ils me modèlent et m'excitent de la même manière qu'ils imaginent que je le fais pour eux. C'est leur désir qui me casse en deux pour qu'une fois de plus je me lèche le gland et que je répande sur mon visage le mucus de l'excitation, le brillant à lèvres comme je l'appelle. Sans cette énergie collective et extérieure qui me force, qui me viole mentalement, sans ces centaines de voix silencieuses qui m'indiquent ce qu'elles souhaitent faire de moi, qui m'entourent et me tiraillent comme les liens ligotent une proie prête pour l'assaut -sans tout cela, je serais seul et perdu sur la scène trop grande. Il m'est arrivé de donner ce genre de spectacle devant un public totalement indiffèrent : c'est une expérience effrayante. J'ai besoin de l'agitation de ces hommes, de leurs demandes, de leur désir de donner en échange. Je me demande s'ils sont conscients de ce qu'ils offrent ; du soutien, de l'enthousiasme, du sexe. Le public apporte autant à l'acteur que l'acteur au public... Acteur ? non, je ne joue pas, je fais une performance. « Joueur » si vous voulez. Artiste de divertissement, je l'espère, puisque moi je suis diverti. Le fantasme est ma profession et c'est un boulot que j'aime. Satisfaire les hommes : voilà un métier qui mérite qu'on y consacre toute une vie.













John PRESTON

Romancier prolixe, John Preston a dirigé la constitution des anthologies Flesh and The Word 1 & 2 dans lesquelles figurent les deux textes de Scott O'Hara présentes ici.



NOTE SUR L'AUTEUR


Scott O'Hara est une star du porno parmi les plus connues. Il a tourné, entre autres, Californie Blue et Below the Belt , Oversized Load. Il a été élevé dans une ferme de l'Oregon, et il est devenu adulte à San Francisco. Il a trouvé aujourd'hui un bonheur paisible dans sa ferme de Cazenovia, Wisconsin, où il travaille à réintégrer dans ses écrits son personnage de Spunk. Il a publié dans James White Review, Advocate men, Drummer, Opera in actrice, America , Gay Community News.




NOTE SUR LE TEXTE


Si écrire a quelque ohose à voir avec la transgression des tabous, c'est plus vrai encore lorsqu'on traite d'homosexualité et de sexe en général en cette époque marquée par le sida. L'imbrication entre maladie mortelle et sexe hors-la-loi est trop étroite pour offrir une position confortable. Il semble parfois qu'il soit devenu impossible d'écrire sur le sexe sans adopter une attitude sévère, alors que, précisément s'exprimer sur le sujet devait représenter une façon active de lutter contre les préjugés.
Diseased Pariah News est la plus importante des publications traitant de ces problèmes. Ce fanzine underground de San-Francisco est publié par des gens atteints du sida pour un public atteint également. On n'y trouve aucun des gadgets et autres cristaux mis en vogue par le New Age. L'une des devises de ralliement de ce magazine est « Grossissez, ne crevez pas ! »
Scott O'Hara, figure majeure du monde homosexuel, écrivit une série de vignettes pour ce journal. Comment j'ai attrapé le sida ou les mémoires d'un garçon travailleur est un exemple puissant de la manière dont un écrivain peut se saisir de n'importe quel matériel et le refondre pour imposer sa vision du monde.








Scott O'HARA

COMMENT J'AI ATTRAPPE LE SIDA

ou LES MEMOIRES D'UN GARCON TRAVAILLEUR


Que chaque livraison du feuilleton à épisodes décrive, dans le détail si j'y parviens une relation au cours de laquelle j'ai pu attraper le sida, c'est le procédé. J'écrirais volontiers sur tes circonstances susceptibles de vous le refiler, mais je présume que les lecteurs de ce texte font tous partie du club des Gens Bien, et l'ont déjà. Que je parvienne ou non à identifier cet épisode initial (qui peut savoir?) est sans aucune conséquence, tant que je distrairai lecteurs et éditeurs.

EPISODE 1 : HAWAI


Ma période plage et sport de glisse. Comme je n'ai jamais appris à surfer, ça peut sembler un peu prétentieux. Mais c'est un fait, j'habitais à deux pâtés de maisons de la plage et je travaillais comme garçon de bains dans un club proche du rivage. Bon, d'accord, c'était un sauna. A Hawaï, on n'a guère de soucis matériels: j'aurais pu (et parfois je ne m'en privai pas) dormir sur la plage et vivre du sperme versé à Diamond Head. Sport de glisse décrivait donc assez bien la réalité.
Le vélo et la natation suffisaient à me maintenir en forme ; il n'était pas nécessaire d'y ajouter le surf. Waïkiki est une bande de littoral de moins de trois kilomètres, qui s'étend entre Honolulu et Dianmond Head ; je fréquentais les deux, à bicyclette le plus souvent. Il pleut bien un peu de temps à autre, mais quelle importance, cinq minutes après, on est sec.
Je ne me sentais pas trop repoussant. En forme, bronzé, tout juste vingt-et-un an. Peut-être un petit peu trop sûr de moi. Foutrement arrogant, pour dire la vérité. Joey survint. C'est toujours la même histoire. Le serpent s'introduit au Paradis et aussitôt vous voilà la queue en l'air. Il se peut que les serpents ne vous fassent pas bander; moi si. Il venait du continent, de San-Francisco, avec son amant qui n'avait jamais visité les îles. Avant d'en arriver aux plaisanteries d'usage, je dois souligner que j’ai toujours été du genre régulier ; jamais je n'aurais entrepris délibérément de séduire un mec déjà en main. A moins qu'il n'ait été clair dès le départ que le partenaire ne demandait que ça. Les deux à la fois, c'était une autre affaire. Une de mes positions préférées. Avec talent, je me mis à la tâche. En tant que guide. C'est ainsi que les insulaires tentent en général de séduire les touristes même si les efforts de séduction sont inutiles. En effet Joey connaissait les lieux aussi bien que moi. Je les accompagnai taquiner la vague à Makapuu, tout un long jour, j'observai leur corps prendre une teinte rouge brique des plus alarmantes. Pas de séduction qui tienne, ce soir-là. Le lendemain ils visitaient la côte Nord avec des amis. Le surlendemain... je ne sais plus quel fut l'emplacement. Ce n'est qu'à la veille de leur départ que je parvins à les coincer au sauna pour une nuit de débauche.
Par souci de clarté et pour rester politiquement correct, je qualifierai cet épisode de « pré-HIV », « pre-SIDA », et même « anté-AZT ». On ne parlait que des promises d'un « cancer gay ». Les saunas étaient un sanctuaire de plaisir, pas une arène politique.
Qu'advint-il cette nuit-là ? Vous le savez aussi bien que moi, ou alors expliquez-moi comment vous êtes entrés en possession de ce singulier virus. Cela se passait au cœur d'une période enfumée, un an, deux au plus de glissade dans les drogues, et pour retracer les détails avec exactitude, il faudrait que je consulte Joey et son amant ; aucun des deux n'est plus disponible. Nous nous en étions certainement donné à couilles rabattues, puisque nous avons remis le couvert, plus tard, lors de mes deux visites en Ville. En tout cas, si l'un de nous était infecté, les deux autres avaient eu plus d'une opportunité d'en profiter.
Nous étions donc étendus là, complètement lessivés, dans le salon-vidéo (entre autres choses qui ont changé, on pouvait se la donner devant la vidéo sans se faire jeter en ce temps-là) quand Joey se retourna. Non, fidèle à lui-même, il roula sur le coté et se tourna vers moi, déclarant avec une nuance admiration dans la voix: « Tu pourrais bâtir une carrière sur ce truc ».
C'est ce que je fis.


EPISODE 2: BONNY DOON

Vous savez tous combien il est ardu de prévoir quel temps il fera de l'autre côté de Twïn Peaks. Imaginez maintenant ce qu'il en est des prévisions métro soixante-dix kilomètres plus bas sur la côte. Impossible. Le mieux est d'attendre septembre, de s'y rendre en voiture chaque matin, aux aurores, en espérant que le brouillard se lèvera. Si ce n'est pas le cas, rentrez et recommencez le lendemain. C'est ce qui passe quand on tourne un porno, parce que la chair de poule n'est pas très excitante à l'écran. Toute érection plongée dans le brouillard tend à se flétrir. De plus, une part essentielle de l'illusion que nous tentons de véhiculer par le cinéma et la vidéo -surtout dans un film intitulé California Blue (Porno californien)- repose sur le fait qu'un soleil radieux arrose en permanence la Californie. Pour ma toute première incursion dans le demi-monde hollywoodien, il fallait que je tombe sur un réalisateur amateur de nature, qui ne jurait que par les tournages en véritables décors naturels. Oui, les résultats furent spectaculaires, dignes d'un numéro spécial du National Geographic ; maïs à quel prix? Quel traumatisme! Quelle perte de sommeil! combien de voyages nous fîmes jusqu'à la côte ? quelqu'un dans la noble assemblée se risquera-l-il à proposer un chiffre ? Se lever chaque fois avant l'aube, se doucher, se maquiller, sauter le petit déjeuner et avaler soixante-dix kilomètres, pour rester trois bonnes heures à se geler avant de rentrer chez soi. Il y a peu de choses aussi déprimantes en ce monde que de rester assis sur une plage, à attendre que le brouillard se lève. Non, on ne recommençait pas tout les jours, nous nous serions révoltés. Mais l'ensemble demanda tout de même un bon moi s; de loin le plus long tournage auquel j'ai participé. D'ailleurs, ça se voit: les longueurs de cheveux (et dans mon cas même la couleur) changent d'une scène à l'autre. Nous avons bien sûr tablé sur le fait que l'esprit du spectateur est concentré sur autre chose, et qu'il est trop occupé pour remarquer pareils détails. Un mot encore pour ceux qui continuent à entretenir des illusions romantiques quant au sexe à la plage; vous ne connaissez pas la vie tant que vous n'avez pas baisé avec du lubrifiant mêlé de sable. Même la branlette devient un acte hautement masochiste. Vous vous souvenez de mon air extatique au moment où j’atteins enfin l'orgasme ? Essayez de vous frotter les couilles avec une feuille de papier de verre, je parie que vous parviendrez à le reproduire sans peine.
A force d'insister et la météo aidant, toutes les scènes furent mises en boîte. Dans la plus remarquable des miennes, j'étais, comment dire? discipliné par un fermier, un flic, et un concombre. Le fermier et le flic retrouvèrent leur costume civil après le tournage, seul le concombre resta en tenue. On m'avait demanda d'aller l'acheter le matin même avant de partir, avec des bottes d'épis de blé, au marché (il n'y a que dans Mission qu'on trouve un marché installé à ces heures indues). Je l'avais baptisé Dennis -je n'aime pas les coups anonymes- et ramené à la maison après le travail. Dennis n'a pas pu matériellement me donner le sida. Ce n'était certainement pas ce que la mère voulait dire quand elle me répétait que les légumes verts étaient bons pour moi, plutôt ce que Mrs. Browny nommait élégamment « les primeurs de l'amour ».
Avertissement : ceux d'entre vous qui cultiveraient semblable inclination doivent se méfier des courgettes, ou bien les éplucher soigneusement au préalable. Le léger pelage qui les recouvre peut sembler inoffensif pour la peau, mais risque de se révéler vigoureusement abrasif appliqué à des zones sensibles. La courgette, je pense, ne convient qu'à la satisfaction orale. (Si quelqu'un connais une bonne recette, hautement calorique, qu'il l'envoie sur le champs à Tante Marthe, car j’ai un potager et grand besoin d'inspiration.
Je la jouais sans risque avec le légume et préparai une salade de concombre. Dennis était mort heureux.



EPISODE 3: LA BAVETTE

Le lieu-dit La Bavette est synonyme pour la majorité des gens de délabrement et de décrépitude. Pour ceux qui y vivent et y travaillent, c'est un quartier comme tes autres -à peine s'y montrent-ils un peu prudents la nuit. J'ai vécu là, travaillé là pendant plusieurs années ; beaucoup de mes amis y habitaient aussi. Ces souvenirs ont beau être indissolublement liés à La Bavette, ils n'ont rien de miteux. Sans aucun doute ils figurent parti les meilleurs.
Bob, par exemple, ma première rencontre avec un véritable indigène du quartier. Il étudiait le droit à Hastings, nous entretenions une relation durable de baise et d'amitié ; amitié plus que de baise puisqu'il était radicalement opposé à toute tentative de pénétration. Il disait qu'il s'était fait prendre deux fois dans sa vie, et qu'il n'en gardait que des souvenirs d'horreur; la première fois, il sortait tout juste du placard, c'était les années 70, la seconde plus récemment, à l'initiative d'un partenaire qui était aussitôt devenu son ex. Sa vie sexuelle toute entière gravitait autour de la pipe. Comme de juste, sa technique orale était extraordinaire. Ma queue en avait connu d'autres, mais pareil déchaînement !.. De lui j'ai appris ce qu'était l'obsession. Sans cet apprentissage je ne serais pas aujourd'hui dans la position que j'occupe. J'aimerais qu'il soit encore là pour partager les fruits de son enseignement.
Penser à Bob me reporte à notre première rencontre- Voyons, jeunes gens, combien d'entre vous se souviennent du balcon du Strand, du temps où les mardis étaient consacrés au porno gay? Levez le doigt pour répondre. Je n'y apparaissais pas chaque semaine sais assez souvent tout de même pour que certains visages deviennent familiers. C'est le seul mec que j’aie jamais ramené à la raison -et encore fallut-il attendre la fin du fïlm. car il cultivait une sorte de respect irrationnel pour tous les films, peut-être parce qu'il avait pris part lui-même à un tournage, El Paso wrecking Corp. Et à dire vrai, si j'avais eu un rôle dans ce film-là, j'aurais peut-être un peu plus de respect pour ce genre de cinéma. Malheureusement trop de mes vidéos m'ont cantonné dans des rôles de Bavette. De bon chien. Manque de jugement de ma part.
Le nadir de la carrière -je ne devrais pas donner le titre, mais d'un autre côte, je préfèrerais que personne ne loue cette vidéo- fut Hung and Horny (Chaud et bien monté) ; non seulement le gars sur la jaquette porte un gode caché dans son froc pour grossir son paquet, mais la plupart des éjaculations sont truquées avec du lait- du lait bien froid tout droit sorti du frigo. En plein sur la poitrine et l'estomac. En s'y reprenant à trois fois pour varier les angles de prise de vue. Croyez-moi, chers amis, même la notoriété ne console pas de ce type de violence.
Pour finir sur une note plus réjouissante, -oh, emportez-moi bien loin d'ici, au Savages où j'étais chez moi-. Peut-être ne retrouve-t-on jamais sa patrie d'origine ; Savages me parait le meilleur substitut. J'y ai lutté, je me suis branlé sur la scène, j'y ai gagné un concours, je n'y suis fait des amis fidèles dans les back-rooms. Même un endroit pareil -une poubelle, je vous le concède- n'est pas dépourvu d'un certain esprit d'équipe, et j'avoue m'y être beaucoup amusé avec mes confrères, gens de spectacle. Sarge, qui me perça les seins à l'issue d'une performance ; Francesco que je pompais dans sa toge (un placard derrière la scène) en attendant mon entrée en piste. John qui fut le flic du film où j'étais voyou ; et David, le timide, qui m'attirait comme un aimant (les anneaux de mes seins n'étaient-ils pas en acier ?). C'est que je suis resté, somme toute, innocent, en dépit de mon passé; ainsi quand David retourna mon sourire et accepta mon invitation à dîner, j'avais l'impression d'agir comme un pantin maladroit, au point qu'il finit par me demander : « personne n'a jamais été gentil avec toi avant ? » Oh, sûr, des centaines, des milliers de gens peut-être. « Personne que je respectais » fut ma repense, et, trucage ou vérité, la meilleure partie de mon être aspire encore à retrouver cette naïveté.
Je vous avais promis une fin heureuses Affaire d'opinion: pour moi, c'en est une.



EPISODE 4: LITLAND

D'aucuns auront remarqué que les épisodes précédents évitaient certaines précisions scabreuses touchant aux fondements de la relation sexuelle. Bien vu, l'aveugle ! mais j’ai mes raisons. Je réussis à rendre correctement les situations, le contexte, les éléments de suspense, les conflits, suffisemment pour faire bander le lecteur moyen ; c'est la matière même de l'érotisme. Ce qui me chavire, c'est de trouver l'équivalent des grognements et des soupirs de l'acte sexuel. Je recours donc en général au procédé du lecteur omniscient, je le flatte, je lui confirme qu'il a déjà tout compris de ce qui se passe et qu'il est inutile de lui bourrer le mou avec des détails. Relisez Lady Chatterley ; tout n'y est qu'allusions. Au surplus, le coefficient de bandaison susceptible de provenir des mots est inversement proportionnel à la fréquence de leurs usage et s'appuie sur l'interdit -la répétition les affaiblit et lasse le lecteur. Bon, j'avoue, mon usage des euphémismes ne vise pas à créer un climat d'érotisme distingué ; les gros mots me mettent mal à l'aise. A l'écran, vous m'entendez grogner et gémir, couiner comme un porc acculé lorsqu'on m'accule, faire en général plus de bruit que deux éléphants mâles en rut, mais je ne prononce jamais le moindre mot. Je deviens animal. Pour les rares occurrences où je m'exprimerpar des mots -scènes confondantes de réticences- vous pouvez être sûrs que le réalisateur suivait un script précis dont il refusait obstinément de démordre. Les scénarios peuvent faire de bonnes vidées, sais seulement si les acteurs sont à la hauteur.
L'avantage de mon approche néandertalienne du sexe, c'est l'évidence du plaisir que j'y prends. Certains de mes partenaires ne peuvent pas en dire autant. Je ne les condamne pas (je fustige plutôt les réalisateur) ; mais si j'avais été aussi mal à l'aise que certains sur un plateau, j'aurais abandonné dès le premier jour. Vous voyez ? ceux qui s'égosillent à faire la conversation mais ferment les yeux et rejettent la tête en arrière pour éviter surtout de regarder leur partenaire, qui ont l'air de creuser un puits, pas de baiser. Je vous parais vieux-jeu ? J'aime que les mecs se fassent de l'effet. Les vrais truqueurs, ce sont les hétéros purs et durs. Je comprends leur motivation: le Fric (les stars du porno hétéro -les hommes du moins- touchent encore moins que les homos). Quoi de plus enmerdant que de regarder un gars baiser sans prendre son pied ? Sans amours soi t; mais sans plaisir, à quoi bon? Je préfère le regarder tondre la pelouse.
Comble de comique: c'est précisaient dans les scènes de « viol » que la partie active a le plus de mal à soutenir l'érection. Je trouve insupportable d'entendre l'agresseur avertir sa victime de ce qu'il va lui faire, le lui répéter, alors que sa bite a la consistance d'un spaghetti bouilli. Ahurissant encore : deux mecs trouvent la voie et se lancent dans un soixante-neuf ravageur ; aussitôt le réalisateur les arrête : «  OK les gars, on baise ! » Pourquoi ? Pourquoi ne laisse-t-il pas tourner et ne permet-il pas aux acteurs d'aller au bout de la scène ? La seule chose à dire à une star du porno qui connaît son métier, c'est : « Je me tape de ce que tu vas faire, pourvu que tu prennes du bon temps ».
Malheureusement, les Frères Calibres ne font pas de vidéos.
La scène orale la plus longue que je connaisse, au jugé, se trouve dans une vidéo intitulée Wild Oats (Folles Avoines). Les gars se la donnent, vingt minutes d'affilée, comme deux anacondas qui tenteraient de se gober l'un l'autre ; on remarque à peine que c'est si long (la scène, bande de pervers lubriques) parce que ce sont deux des mecs les plus inspirés que vous ayez eu le privilège de mater. Queues de béton. Je doute que le cameraman ait fait la moindre coupe. La scène exige qu'une éjaculation vienne la couronner, là, tout de suite, rien à faire, il faut niquer. Alors ils changent de position, comme on leur dit de faire, et pendant quinze minutes supplémentaires, ils s'évertuent à obtenir une intromission molasonne. Je n'espère pas que nos pornographes se révèlent des Eisensteins; mais gâcher une scène aussi parfaite, c'est tout simplement criminel.
Les raisins sont trop verts ? Je crache dans la soupe parce que je me suis commis dans trop de navets ? En partie. Oui, c'est douloureux de me regarder faire tout ça. Mais je continue à m'émerveiller que les scènes dans lesquelles je me fais enculer soient parmi les plus chaudes que j'ai tournées. Ma carrière aurait pu être très diffluente -plus longue, plus courte ? si je n'avai pas été étiqueté comme essentiellement actif.
Mon message aux réalisateurs est le suivant : en tant que public, je préfère les vidéos qui relancent mon imagination à celles qui tentent de la remplacer.


EPISODE 5 : AVRIL


Avril, m'a-t-on appris, n'est pas une dénomination géographique, à moins qu'on vive à Amsterdam. C'est aussi pour moi un état émotionnel. L'équivalent d'au revoir dans ma bouche est « On se verra en avril » -traduction approximative de je meurs d'envie de t'en remettre un coup- ce qui, je le conçois, agape les gens quand j'emploie la formule en plein été. Quoi qu'il en soit elle sous-entend pour moi un climat résolument torride.
En avril, cette année-là, je tournai deux vidées en deux week-ends consécutifs (eh oui, la plupart de vos vidées préférée furent tournées en l'espace d'un week-end frénétique (ne me demandez pas comment!) D'une manière ou d'une autre, je trouvai le moyen de tomber amoureux. Les deux fois.
Pour la première, c'était tout bon, nous étions distribués ensemble, et je pense que je peux être fier à juste titre du feu artifice qui en résulta. Je n'eus pas la même chance pour la seconde. Le réalisateur exigeait que Michael et moi tournions sur des plateaux séparés tout le week-end. Je j'imagine pas d'expérience plus frustrante, mais il se peut que ç'ait été intentionnel. Apparemment ce studio c'était spécialisé dans la représentation de jeunes gens perpétuellement frustrés, qui n'en venaient à baiser que par mesure d'hygiène. Dieu interdisait qu'aucun des personnages du film pût tomber amoureux. Et peut-être une scène entre Michael et moi aurait-elle fini à la corbeille en salie de montage. Pas grave : j'avais pris son numéro de téléphone.
Il me fallut un bon mois avant de me décider à descendre à Los Angeles. Comme tout bon franciscain, j'avais tendance à éviter cette ville, mais le désir vous fait parfois faire n'importe quoi. Ce n'est qu'après (environ deux ans après) que je découvris que Michael était lui-même à l'époque dans les transes du Grand Amour; maïs cela ne nous empêcha pas de faire flamber le matelas. Rien ne pouvait arrêter Michael. Ce week-end reste gravé dans la mémoire, comme l'un des meilleurs. Et pourtant...
J'utilisais régulièrement des préservatifs à l'époque -même si nous n'en mettions pas dans les vidées, je le faisais dans ma vie privée. Presque toujours. Je ne trouve aucune excuse valable, mais pour une raison obscure, même Te fait d’évoquer l'existence du préservatif devant Michael était impensable. Parler de quelque aspect que ce soit de la vie sexuelle n'a jamais été facile pour moi (écrire est à peine plus aisé), d'habitude je m'en remets aux actes. Après des années de rétrospection, je pense que c'est une erreur; si je n'arrive pas à en parler, je ne devrais pas le faire. La conséquence fut, à cette époque, comme pour toute la durée de notre liaison (qui se prolongea sporadiquement deux ans encore), que Michael demeura l'unique partenaire de ma vie privée avec qui je persistais à avoir des relations non protégées. Non pas que ç'ait été pour nous deux d'aucune conséquence, mais si chacun doit endosser une part de responsabilité dans l'extension de la contamination, je n'ai pas le droit de me voiler la face.
Mais le temps n'est pas venu de passer aux aveux sous serment. Je ne veux évoquer que les bons moments, qui furent nombreux. Mémorable entre tous ce mois d'avril de l'année suivante, lorsque nous nous retrouvâmes, moitié par hasards moitié par désespoir (ma moitié) à San Diégo. Nous n'avions ni l'un ni l'autre d'endroit où aller; on a zoné dans le coin sur sa moto, pour finir dans Balboa Park. Il se gara et me conduisit, en contrebas d'un ravin, à une plate-forme isolée de la route par un rideau d'arbres… etil sortit sa queue et me permit de la sucer. L'endroit paraissait protégé; j'ai toujours adoré faire l'amour dans la nature -c'est bien le plus naturel, non ?- et je n'eus pas l'ombre d'une hésitation. En me relevant pour reprendre mon souffle, après son éjaculation, j'aperçus la silhouette d'un garde de la police montée au sommet de la colline. Autant pour moi et pour mon orgasme imminent. Soit il ne nous vit pas, soit il n'était pas intéressé, mais son apparition ajouta un élément puissamment dramatique et théâtral à la scène. C'est cette scène-là, entre Michael et moi que la vidéo aurait dû fixer pour l'éternité. Sauf qu'il aurait fallu se retirer pour jouir, comme d'hab.



EPISODE 6 : GRANTS PASS


Cet épisode ne colle pas à l'ensemble puisque j'ai quitté Grants Pass en 79 et je n'y suis guère retourné depuis plus de deux jours d'affilée. La question de déterminer s'il existe un seul cas répertorié dans un rayon de soixante kilomètres est toujours à débattre, même aujourd'hui. Entre autres choses Grants Pass est le siège administratif du comté de Josephine qui fut, souvenez-vous en, sous les feux de l'actualité, pour avoir soutenu la création d'une zone anti-sida. Ça me fait vraiment chaud au cœur de songer que je suis né là-bas. Si j'y vivais encore, j'y regarderais à deux fois avant de me faire « répertorier ».
Mais revenons à nos moutons: comment aurai-je bien pu me faire plomber dans cette bonne vieille ville de Grants Pass? En admettant qu'il soit possible de voyager dans le temps -l'effet que me fait chaque séjour là-bas, mais à rebours.
Réponse: absolument impossible. Ou bien seulement dans une perspective plus générale. C'est là-bas que j'ai appris tout ce qui m'est revenu en pleine figure par la suite ; j'y ai contracté la plus grave des maladies, le virus de l'Existence, qui peut-être regardé comme la cause directe du sida. Entre 75 et 79, tout en s'assurant que la vie était un banquet, on n'a appris à me comporter en poulet.
La première occasion (c'est-à-dire la première que j'ai eu le courage de saisir) se présenta en la personne de l'ami d'un ami de ma sœur, qui participait à un tour cycliste dans la région et s'arrêta chez nous un week-end. Je mis beaucoup de bonne volonté à le balader en ville ; j'avais déjà un faible pour les mollets rebondis, et il s'envoyait quotidiennement ses cent kilomètres. Miam. On m'avait averti par avance qu'il était homo. Alléluia. Pendant vingt-quatre heures, je ne le lâchai pas d'un pas, comme un petit chien, me rendant aussi ostensiblement disponible que possible, avant de craquer et de lui demander carrément ce qui n'allait pas et s'il me trouvait si moche. Pourquoi n'avait-il pas essayé de me draguer ? Je crois que je lui fis surtout peur (il faut dire que je n'avais que quinze ans) mais il finit par coopérer... avant de s'enfuir à toutes jambes au petit matin en direction de la frontière de l’État de Californie.
Les choses s'améliorèrent par la suite. Il m'a fallu cinq ans pour comprendre quelle était la véritable ombre au tableau. Depuis l'âge de dix ans je me branlais sur les catalogues de vente par correspondance avant de tomber sur ce mec. J'avais lu et relu, inondé de larmes et de sperme The Front Runner et The Fancy Dancer (les seuls romans homosexuels disponibles dans une petite ville à l'époque) ; pourtant, si nous nous étions faits surprendre, aujourd'hui encore il serait derrière les barreaux. Un de mes amis est en prison pour le même « crime ». Vous acceptez ça ? moi pas. Comme je le racontais précédemment, je suis retourné de temps en temps faire une visite à la famille. A deux reprises, j'y ai même traîné son mec. Ils se sont montrés gentils et polis avec lui en dépit d'une tension perceptible dans l'atmosphère. Je ne reste donc jamais longtemps. Un soupçon de conversation aimable ; déjeuner; départ. En général je réussis à tenir ma langue. Si c'est difficile ? Je les soupçonne d'avoir voté pour ce projet de zone anti-sida.
Mais ils font des progrès ; jamais ils n'en parleront ouvertement avec moi, mais, tout récemment, son père m'a envoyé une coupure de presse à propos d'un « docteur » qui utilise des sons à haute-fréquence pour ébranler ce cher petit virus et l'anéantir. La mort dans l'âme, j’ailui avouer que j'avais déjà mis les pieds deux-trois fois en discothèque, et que ça ne marche pas. (Je m'en voudrais de dévaloriser les traitements expérimentaux, mais mon père a le chic pour tomber systématiquement sur les plus aberrants.
Tel père, tel fils ?) Je lui ai envoyé en réponse un article sur une association qui expérimente des aéronefs et se réunit à Oshkosh, Wisconsin, près de chez moi. Il me semble que ces concessions -admettre que nous pouvons avoir des centres d’intérêt communs- lui ont permis de reconsidérer le sida sous un angle nouveau. Idem en ce qui me concerne.
Si le projet était de nouveau présente aux électeurs, je crois que maintenant ils voteraient contre.



EPISODE 7: BUENA VISTA


Pour changer, un épisode au cours duquel je n'ai certainement pas pu attraper le sida.
J'ai rencontra Bob Chesley à la première de Jerker (Branleur) à Los Angeles. Je l'aï immédiatement respecté et admiré. Quiconque est capable de produire une pièce aussi intensément imaginative, et réussit à faire bander une salle entière pendant quatre-vingt-dix minutes sans montrer la moindre bite, est un esprit d'importance. Il était également impressionné par mes talents, ce qui fait que nous nous sommes tout de suite entendus. Je le voyais souvent, en public, chez lui ou chez moi (il habitait à deux rues de mon appartement), ou au Haight ; nous prenions souvent part aux mêmes spectacles. Je jouais encore au Campus, mes soirées étaient chaotiques, mais je me débrouillais quand même pour prendre un léger bain de culture.
Un après-midi, il m'invita -qui a mis les pieds chez lui se souvient forçément de la splendide vue aérienne sur Buena Vista Park- pour faire des photos... En collants, bien sûr, support majeur de son fétichisme. Ce fut un grand moment, et les photos, quand il me les montra, étaient époustouflantes. Quoique je possédasse depuis longtemps des collants, je n'avais jamais exploré les possibilités inhérentes à leur matière, ni constaté que ça m'allait si bien. Recherches fouaillée ! A l'issue des prises de vue, tandis que nous nous relaxions en prenant le café, nous avons exploré les profondeurs de sa fascination pour cette image et, plus précisaient, pour les personnages de dessin animé portant ce costume. J'ai été élevé sans télévision ; deviner l'effet qu'un super-héros en collant moulant peut faire à un garçon gay de six ou sept ans relève pour moi de la spéculation intellectuelle (Même si je me souviens avec émotion d'un numéro du Surfer d'Argent en B.D., quand j'avais dix ans : l'excitation était là, bien sûr, sais mêlée d'une déception engendrée par l'impression qu'il était castré.) Bob m'en fit un tableau d'une précision troublante. Son don se manifesta, créer un monde à partir d'une démangeaison fugace, et parvenir à le transplanter ; tout construit, au cœur de la libido de l'auditeur. Quand il m'exhiba son costume de Superman taillé sur mesure, j'étais chaud. Dans une bouffée de désir compulsif, je lui demandai s'il consentait à me le prêter quelques jours. Il accepta.
Je filai, et l'essayai dès mon retour chez moi, prenant des poses devant le miroir, m'exerçant à me branler, dedans, dehors... aussitôt envahi par le besoin impérieux de l'appeler pour lui dire comme c'était bon . Le sexe au téléphone n'est pas ion truc. Mais alors pas du tout. Le téléphone me rend nerveux ; parler de sexe en termes précis m'embarrasse. Mais avec Bob, tout devenait possible : il avait inventé le genre à la scène. Notre trip fut court et bouleversant : nous avons joui tous les deux. Je lui ai dit de me rejoindre au Campus, le lendemain, pour le show de 22 heures. Oui, je l'aï fait. Entrée en scène en Clark Kent sur une bande-son du thème du film, suivie d'un cri de détresse. Clark Kent inspecte les environs, trouve une cabine téléphonique, arrache son costume et sa cravate... et le reste suit. L'audience goba. Le public a toujours préféré les performances assimilables à un exercice artistique au simple strip-tease avec branlette. Je fus surpris de trouver tant de plaisir à me masturber dans ce collant étroit. Seule la direction souleva des objections. Peu sévères, j'avais carte blanche ; mais ils attendaient des acteurs qu'ils fassent du nu intégrai. Sans exception. D'accord, on n'allait pas en faire un fromage, j'avais pris mon pied de toute façon. Je soutiens que ce fut une de mes meilleures apparitions. Bob y fut sensible : deux mois plus tard, il m'offrit le manuscrit de sa nouvelle pièce -voilà- dans laquelle un certain Skip faisait un numéro très proche du mien. La pièce s’appelait Come Again (N'arrête pas de venir), et, de fait, aucun théâtre respectable n'acceptera de la monter.
Bon, pas de sexe à risque dans cet épisode. Pas de tractations louches dans les coulisses d'Hollywood. Quelques photos érotiques propres ; un coup de fil sale ; une branlette en collant. Une expérience littéraire du tonnerre (impossible à produire). Mes plus chers souvenirs. Merci, Robert.



EPISODE 8 : SILVERLAKE


Mais j'ai dérivé très loin de mon sujet. Le lien prétendu entre ces histoires disparates étant de déterminer comment j'ai attrapé le sida. Vous pensiez que je l'oubliais ?l'exigence secondaire étant l'exhortation de l'éditeur à veiller à ce que ça reste chaud. On veut savoir ce qui se trame sur un plateau. Alors je vais vous livrer mon souvenir le plus épi: Oversïzed Load (Plein, à ras bord). C'est un peu difficile d'en parler légèrement, car la plupart des protagonistes sont encore vivants et je ne voudrais blesser personne. Trois au moins ne protesteront pas: un technicien, avec qui je ne parvins pas, hélas, à lier suffisamment connaissance, et deux acteurs qui furent mes partenaires (mais pas à l'écran) sont morts. Les autres, j’ai toutes les raisons de croire qu'ils sont en bonne santé. Toute mention de qui que ce soit dans ces pages n'autorise personne à en inférer quelque indication que ce soit concernant l’état de santé de tel ou tel, etc. Cette précaution prise...
Rumeurs d'alcôves mises à part, je n’ai eu qu'une fois dans toute ma carrière, à passer par le lit du du producteur/ réalisateur avant (en l'espèce, après) un casting. Et j'aurais mauvaise grâce à me plaindre puisque je me serais roulé par terre dans la boue pour le tenir cinq minutes en privé. J'étais aïeux que consentant -et décrocher le rôle ou non du fait de ma bonne volonté n'était même pas en cause. Ce fut un bon coup, comme il se doit de la part d'un réalisateur d'expérience, inventif et mémorable. J'avais eu droit à un enculage royal qui me mettait en appétit pour le week-end à venir. C'était voulu: laisser ses acteurs sur leur faim, pantelant pour en avoir plus. Et ça marchai. Je brillais: tout au long des deux journées de tournage, balancé de partenaire en partenaire, je ne cessais pas de me répéter : « bon mec, quand est-ce qu'on s'y remet tous les deux ? » Çà marchait bien. La flamme de mon désir était attisée (mais pas éteinte) par chaque nouvelle rencontre. Quand je regarde cette vidéo, je n'en reviens toujours pas, et je bande comme un fou. Dans la première scène, je me fais prendre, et l'on voit combien je deviens bruyant et encombrent quand je suis complètement retourné. Ensuite, petite gâterie solitaire à ma queue. Puis une des scènes les plus naturelles que j'ai vues, quasiment un plan-séquence, sans arrêt. Nous sommes tous les deux à fond dans s'affaire. Amoureux, non ; déchaînés simplement. Je ne l'ai jamais revu.
La scène 2 était plus élaborée. Enculage debout ce qui n'est jamais une position confortable, et, c'est vrai, je me montre rarement un baiseur inspiré. Il serait mensonger de prétendre que mon partenaire n'était pas une splendeur; en des circonstances plus propices, nous aurions pris feu spontanément. Et nous avons façonné une scène à la hauteur -1a version éditée est très chaude- mais ce n'était pas ce morceau d'anthologie sur lequel on bâtit les légende. Ce qui nous mène à la scène finale, sommet de frustration. J'ai ce goût exclusif, vous savez pour le type latin, velu, non circoncis. Pourquoi suis-je toujours apparié à des blonds ? Erreur fatale ! Nous formions un trio dans les douches, moi et deux italiens, ou brésilien, ou français du midi, est-ce que je sais ? et le scénario m'oblige à rester près du lavabo et à m'astiquer pendant qu'ils baisent. Je ne les vois que dans un miroir. Avoir les boules, c'est ça l'expression justes ? Il me semble qu'on le voit à l'écran. Que je meure d'envie de les rejoindre et de participer, mais que je n'ose pas, quelle qu'en soit la raison. Conflit. Suspense. Le réalisateur est-il génial ? Oui. Sade aussi était un génie.


Texte édité par John Preston au sein de la compilation Flesh and the Word 2 paru aux éditions Plume (Penguin U.S.A.), 1993







Postface: Le traducteur s'emballe

Le texte de ces Mémoires s'achève dans un étranglements comme une route en cul-de-sac, sans feu d'artifice final. De plus, malgré une fréquentation assidue des sex-shops, je n'ai jamais pu mettre la main sur une copie d' Oversized Load .(il semble que les vidéos pornographiques aient une durée de vie limitée et disparaissent avec les distributeurs.) Le silence qui succède à la dernière phrase du texte me parait si insupportable que je ne peux m'enpêcher d'essayer de le combler. A la décharge de l'auteur des Mémoires d'un Garçon travailleur , il faut remarquer qu'il réussit avec brio à transmettre au lecteur le sentiment de frustration qui traverse son texte, tour machiavélique des plus appropriés à l'instant où l'ensemble se place rétrospectivement sous le patronnage de Sade.
Qu'est-il arrivé à Baby Scott ? Cette question, que je me suis posée depuis cinq ans, au point d'y consacrer tout un livre, ne trouve ici qu'une réponse très partielle. Si le hasard avait voulu que je tombe sur ces livres plus tôt, je me serais épargné la peine de tenter d'y chercher une réponse. Plutôt qu'un clin d’œil ironique destiné à me renvoyer à l'inutilité d'écrire, je prends comme une récompense le fait que ces pages soient arrivées, trop tard, jusqu'à moi. Plus qu'un plaisir, je me suis fait un devoir de les traduire.
Quelques précisions ultimes à l'intention des aveugles et des ignorants : mises bout à bout, les images de la carrière enregistrée de Scott O'Hara n'excèdent pas une douzaine d'heures, un peu plus que James Dean, un peu moins que Marylin Monroe, et ce n'est même pas de la pellicule cinéma (à exception d'un petit film super 8 qui même Dave Kinnick semble ignorer, où Scott apparaît en casquette de cuir et bottes de motard, les dents cassées,, un peu plus jeune, un peu plus gras que dans ses performances ultérieures). Souvent mal utilisé, distribué à contre-emploi, très éloiigné des standards américains de la beauté ordinaire, il a su faire de ses imperfections ses atouts majeurs : sa spontanéité, sa sincérité convulsive, le plaisir évident qu'il prend à son travail . Il incarne la meilleure part de l'homme, l'institut, le naturel, la pure animalité, le dépouillement, la nudité, le dénuement. Le savoir toujours vivant, aussi caustique et drôle qu'il fut brillant à l'écran, me rend ce monde plus supportable. Scout O'Hara est mon image du Messie. Il ouvre la porte d'un univers où tout est sexe, l'humain, l'objet, l'animal, tout le vivant devient une immense matrice que l'homme a pour mission de faire jouir, une vision extatique du monde qui n'est pas sans rappeler certaines conceptions des mystiques orientales- je suis heureux de le découvrir, en écrit, conforme jusqu'au détail à ce qu'il donnait à deviner par ses actes, un petit dieu du feu rigolard et mutin, mu par le plaisir celui qu'on donne identique à celui qu'on reçoit. En déformant le mot de Goethe, on pourrait dire qu'avec Scott, « ce qui vient du cul retourne au cœur ».
J'exagère son importances ? Je le vois avec des yeux énamourés ? Tout est affaire de réfection et l'image n'existe que dans les yeux du spectateur. Parodiant Pirandello, Scott le dit lui-même: « Je suis celui que vous voulez que je sois ». A celle, radieuse, de ses vingt ans, se superpose aujourd'hui l'image voltairienne d'un candide devenu sage qui a appris que le honneur consistait à cultiver son jardin. Dieu fasse (ce serait une preuve enfin de son existence) qu'il cultive longtemps encore les fleurs et les fruits de ses vergers imaginaires.
Dieu n'a pas fait le boulot, moins de deux ans après la rédaction de ces pages Scott est décédé le 18 février 1998, à l'âge de 36 ans à San-Francisco.

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