ACTE
DEUX
Le
matin suivant : l'éclairage n'a pas changé,
il entre par les soupiraux moins qu'un faible jour
de cave. Entrent Schneider, rayonnant et Maxime l'air
battu.
SCHNEIDER
: Belle matinée pour visiter la morgue !
MAXIME
: Même par un temps sinistre comme aujourd'hui, on doit pouvoir
mieux commencer la journée qu'en allant se distraire entre les murs
de briques sordides du dépôt. Le cadre est on ne peut mieux choisi
: les familles éplorées qui viennent reconnaître leurs disparus
ont le choix à la sortie entre les rails du métro à droite, la
voie rapide et la Seine à gauche.
SCHNEIDER
: Je vous l'avais bien dit, mon garçon, que c'était dur la première
fois, mais vous verrez, avec le temps il ne vous restera de votre
émotion qu'un petit creux à l'estomac.
MAXIME
: Après une nuit de veille surtout, on n'est pas forcement très
sensible à l'humour des légistes.
SCHNEIDER
: Vous fanfaronniez tout à l'heure, mais quand on vous a sorti la
cliente du frigo, j'ai cru que vous alliez tourner de l’œil mon
petit Maxime. Si je n'avais pas été derrière pour vous retenir…
MAXIME
: Ah, mon Dieu, c'était horrible, j'en frissonne encore. Elle me
regardait avec ses grands yeux ouverts, comme si elle allait se
lever.
SCHNEIDER
: Elle était bien morte en tout cas. Voilà qui devrait faire taire
ces racontars stupides. Mais ne vous inquiétez pas, c'est normal que
vous ayez été impressionné. C'est le métier qui rentre !
MAXIME
: Vous ne direz rien Inspecteur ? ça ferait rire.
SCHNEIDER
: Ne vous inquiétez pas, je garde toujours mes informations pour
moi. Et puis, je vous connais mieux maintenant que j'ai observa vos
réactions intimes. Ça vous rend touchant une petite faiblesse de
temps en temps, à condition de ne pas en abuser, une brèche dans
l'armure de l'homme d'acier.
MAXIME
: Taisez-vous Inspecteur, vous allez me faire rougir. Quel
psychologue vous faites ! vous avez vu clair tout de suite,
droit au défaut de la cuirasse. L'aspiration à la justice et à
l'équité n'est pas innée en l'homme ; il faut la cultiver
sans relâche à pour servir l'ordre sans défaillance, c'est une
lutte perpétuelle avec soi-même, le combat de la volonté contre
les mensonges de la sensibilité.
SCHNEIDER
: Toujours recommencer, c'est notre lot, voilà la leçon à tirer de
notre planque inutile de cette nuit. Notez bien que je ne pensais
tout de même pas que le criminel allait donner dans le panneau
classique et revenir sur les lieux de son crime, et je n'espérais
pas davantage être témoin d'une apparition fantomatique.
MAXIME :
Pourquoi dites-vous « le » criminel ?
SCHNEIDER
: cette pauvre fille ne s'est tout de même pas étranglée toute
seule par inadvertance ?
MAXIME :
On pourrait fort bien imaginer la vengeance d'une rivale.
SCHNEIDER
: Au vu des renseignements que m'a communiqués le légiste, j'en
doute. C'est certainement une affaire d'homme. Savez-vous… (plus
bas) qu'elle était grosse ?
MAXIME
: Grosse?
SCHNEIDER
: Enceinte voyons !
MAXIME
: Ils l'ont donc découvert ! Je veux dire... c'est affreux
d'ouvrir le ventre comme ça d'une pauvre femme, si jeune et de lui
voler les secrets qu'elle emportait dans la tombe.
SCHNEIDER
: Je ne pense pas qu'elle ait jamais eu l'intention de les emporter
si loin. Allons, remettez-vous, fiston, cette affaire vous tourne les
sangs. Vous cachez votre jeu mais vous êtes une âme sensible. Je
vais regretter de vous avoir emmené. Pourtant vous savez vous
montrer un compagnon agréable. ( Il s'étire) J'ai passé une nuit
charmante avec vous.
MAXIME
: Oh, Inspecteur, plus bas, on pourrait nous entendre.
SCHNEIDER
: Et alors, il n'y a pas de honte à ça. Je suis un vieil homme
seul ; quoi d'extraordinaire à ce que j’apprécie la
compagnie de la jeunesses ?
MAXIME
: Je ne voudrais pas que sous prétexte que j'ai un caractère
avenant, on me croie pistonné.
SCHNEIDER
: Ne vous ai-je pas dit que j'étais une tombe mon garçon ?
MAXIME
: Vous êtes si gentil avec moi.
SCHNEIDER
: C'est que j'ai des espoirs pour vous. Si j'avais eu un fils,
j'aurais aimé qu'il vous ressemble.
MAXIME
: Moi aussi parfois j'éprouve le besoin de me confier. Je voudrais
trouver l'épaule d'un père qui saurait me conseiller avec sagesse.
Je me révolterai un peu d'abord, juste par principe, et je me
rendrais compte ensuite que papa avait raison.
SCHNEIDER
: Je vous tendrai toujours une oreille complaisante mon petit. Ce
doit être bien difficile d'élever son jeune frère quand on n'a pas
soi-même connu d'affection paternelle.
MAXIME
: Harold m'inquiète: il est en pleine crise adolescence et il n'a
aucune notion des dures réalités de l'existence. Je l'ai trop
protégé peut-être. Il imagine que la vie est un roman.
SCHNEIDER
: Et ce n'est qu'un vaudeville. Voyez, quand on va au théâtre ! on
se dit « mais c'est la vie-même »et l'on a tort, car la
vie est plus rusée et plus ironique que sur scène.
MAXIME
: Je ne goûte pas beaucoup ces distractions pernicieuses et
subversives !
SCHIIEIDER :
votre sérieux vous honore, mais il faut savoir de temps en temps
libérer son démon.
MAXIME
: Ah, ne parlez pas de malheur: rien n'est pire que la tentation !
SCHNEIDER
: Je ne parle jamais théologie le matin, ça nuit à ma digestion.
Mais au fait, vous avez remarqué, pas d'odeur de café ou de
croissant chaud, juste un relent de tabac froid... Tiens ? du
rouge à lèvres sur les cigarettes, et peu discret encore !
MAXIME
: Et madame Paméla est parfaitement allergique à la fumée. Je vous
l'avais bien dit, quelque chose dans l'ombre se trame ici contre moi.
SCHNEIDER
: C'est étrange, ce n'est pas la première fois qu'il me semble
dénoter chez vous sous l'effet de la fatigue une tendance à la
paranoïa ; la morte qui vous regarde, des complots qui s'ourdissent
contre vous. Remarquez, ce sentiment nous pousse à la prudence et
n'est pas un défaut dans le métier. Ne vous inquiétez pas, dès
que Schneider met son nez quelque part, les affaires les plus
embrouillées s'éclaircissent comme par miracle.
MAXIME
: Huit heures, et le petit qui n'est pas réveillé. Il est déjà
trop enclin naturellement à la paresse.
SCHNEIDER
: Allons, j'aime mieux ça, vous voila remonté, fiston.
Maxime
ouvre la porte de la chambre comme s'il s'attendait à surprendre un
coupable.
MAXIME:
Hier soir les gens les plus inattendus échouaient dans mon lit, et
ce matin la seule personne que je m'attendais légitimement à y
trouver s'est volatilisée. Harold ! Harold, vilain petit
monstre, dans quel abîme ta perversion t'a-t-elle fait sombrer ?
Harold ?.. mon Dieu, et s'il lui était arrivé quelque chose ?
Il est si étourdi. Mais il n'a jamais découché... Oh je suis sûr
qu'il lui est arrivé malheur, il faut téléphoner aux hôpitaux:
prévenir les commissariats.
SCHNEIDER
: Calmez-vous, voyons !
MAXIME
: Oh, j'avais un horrible pressentiment en entrant dans cette morgue.
Harold
ébouriffé entre en s'étirant; il porte une aube de communiant.
HAROLD
: Voilà, voila, inutile de réveiller tout le quartier, j'arrive.
MAXIME
: Allons bon, le défilé de mode continue !
SCHNEIDER
: Où avez-vous déniché cette aube de communiant ? Mais ça
vous va joliment bien ! Vous êtes un adepte de la chemise de nuit ?
HAROLD
: Non, j'ai dormi dans la chapelle, j'ai ramassé le premier vêtement
qui me tombait sous la main.
MAXIME
: C'est à ne pas croire! hier en flic, aujourd'hui en enfant de
chœur,
demain en infirmier ou en hôtesse de l'air
sans doute ?
SCHNEIDER
: Ne faites pas attention, il est un peu choqué,
nous n'avons pas dormi. Et vous êtes coutumier
des crises mystiques ?
HAROLD
: Madame Paméla
dormait dans le lit de Maxime,
j'ai jugé plus correct de coucher dans une autre chambre, et comme
mes vêtements étaient
restés ici…
SCHNEIDER
: Voilà qui parait des plus plausibles. Et peut-on la voir cette
madame Paméla? MAXIME :Oui, c'est ça, appelle-là Harold ;
et va te changer nom de Dieu!
SCHNEIDER
: Ah, ne blasphémons pas. On dit dans la colère des choses que l'on
regrette.
HAROLD
(sur le pallier) : madame Paméla ? mon frère voudrait
vous voir.
Il
rentre, se dirige vers la chambre.
Et
après, je vais nous faire un café à réveiller.les morts !
MAXIME
(à part) : Ce n'est pas possible, ils se sont donné le mot !
Madame
Paméla apparaît, en grand deuil, un voile noir masque son visage.
SCHNEIDER
: Très élégant, quelle distinction dans la voilette !
MAXIME
: une femme en deuil Maintenant ! C'est un cauchemar surréaliste . .
.Au, mais bien sûr, j'ai compris ! je sais. J'ai été blessé cette
nuit, je suis à l'hôpital, j'ai de la fièvre et je délire ,
n'est-ce pas inspecteur?
SCHNEIDER
: Je reconnais que les apparences nous pousseraient à conclure que
nous sommes tombés dans un asile ou du moins dans une maison de
passe...passe.
Mme
PAMELA: Je ne vous permets pas, Monsieur, nous n'avons pas été
présentés.
MAXIME
: Inspecteur Schneider , madame Paméla, ma logeuse , enfin pour
autant que l'on puisse en juger sous ce costume; car c'est bien vous
n' est- ce pas, sous ce déguisement de Mardi-Gras?
Mme
PAMELA : Ah cruel, n'aurez-vous point quelque respect pour ma
douleur !
SCHNEIDER
: Exposez-nous, madame , les raisons de votre deuil.
Mme
PAMELA : Jour maudit entre tous les jours, jour de colère et de
délivrance ! il y a vingt-deux ans aujourd'hui que mes derniers
enfants à peine séparés de moi me furent arrachés pour toujours.
Par
qui? demandez-vous. Mais par la vie simplement, la vie dévoreuse de
nourrissons et de jeunes vierges. Je vous entends dejà me conspuer,
m'affubler des noms de mère indigne, de femme dénaturée. Que celui
qui n'a jamais pêché me jette la première pierre. (Elle attend
les bras en croix la pierre qui ne vient pas.) A l'aune de ma
douleur, mesurez mon remords…
SCHNEIDER
: Le style est certes emphatique et agrémenté d'hyperboles hardies,
mais le chagrin parait sincère.
Mme
PAMELA : C'est que vous me surprenez au moment ou j'allais me rendre
à l'église.
MAXIME
: Elle cherche à faire diversion, Inspecteur : cela n'a rien à voir
avec notre affaire.
SCHNEIDER
: Vous avez raison, nous nous éloignons du sujet.
MAXIME
: Or donc, vous vous rendiez à l’église de si bon matin, le
visage masqué comme une criminelle.
Mme
PAMELA : Oh monsieur Maxime, ne soyez pas si méchant avec moi.
MAXIME
: Vous n'espérez tout de même pas que nous allons avaler de
pareilles salades ! Ma patience a des limites. N'oubliez pas que
nous sommes de la police, nous avons les moyens de vous faire parler,
de bonnes vieilles méthodes, qui, sans laisser de traces, font du
plus obtus des muets un bavard impénitent.
Mme
PA MELA (ravie) : Oh monsieur Maxime, vous me faites tellement
peur, et vous êtes tellement beau quand vous vous mettez en colère !
SCHNEIDER
: Vous vous laissez emporter par la déformation professionnelle, mon
petit ! Si nous voulons comprendre quelque chose à cette
affaire, il convient de modérer un peu votre enthousiasme. Madame
n'a jamais refusé de répondre à nos questions.
Mme
PAMELA : Et vous aussi Inspecteur, comme vous savez parler aux femmes
!
SCHNEIDER
: Les considérations sur ma vie privée ne sauraient interférer
avec cet interrogatoire, ni figurer au procès-verbal. Confiez-nous
plutôt votre version des faits. Que s'est-il passé hier soir ?
Mme
PAMELA : Eh bien, en repassant le bel uniforme de Monsieur Maxime..
.
MAXIME
: Et comment se faisait-il que vous le repassassiez?
Mme
PAMELA : Il m'arrive d'aider votre frère dans les tâches
ménagères. Pour vous, monsieur Maxime, par... amitié.
MAXIME
: Si bien fondé que soit votre mobile, vous ne vous rendez pas moins
complice d'un grave mensonge.
Mme
PAMELA : c'est toujours pour leur bien qu'on ment aux gens qu'on
aime.
SCHNEIDER
: En tant que représentants de l'ordre, nous sommes seuls habilités
ici à juger de ce qui est bien ou mal. Nous attendons de vous que
vous vous en teniez aux faits. Reprenez.
Mme
PAMELA: En repassant l'uniforme de monsieur Maxime, j'ai remarqué
qu'il y avait un point à faire à la ceinture…
MAXIME :
Attention, un point à faire ou une couture à reprendre ?
mesurez bien toute la portée de votre réponse.
Mme
PAMELA: Oh, c'est trop horrible, je n'y arriverai jamais !
SCHNEIDER
: Je vais vous aider, il faut faire confiance à l'inspecteur
Schneider. N'est-ce pas que vous me faites confiance ? Donc,
vous êtes montée. Et puis ?
Mme
PAMELA: Je n'étais pas dans mon état normal.
SCHNEIDER
: Vous êtes trop émotive, mon petit cœur.
Mme
PAMELA (ton interrogatif) : Je me suis piquée, et je me suis
évanouie ?
SCHNEIDER
: Cela vous arrive-t-il fréquemment en relation avec les travaux
d'aiguille ? '
Mme
PAMELA (comme en transe) : Oh, tout ce sang, tout ce sang !
tous ces enfants morts ! Jamais le Seigneur ne me le pardonnera.
SCHNEIDER
(à Maxime) : Tout cela est très clair :
la pauvre femme est folle, hystérique au dernier degré.
MAXIME
: Ou bien elle simule pour échapper à la justice.
Il
la secoue par l'épaule.
Et
ensuite ?
Mme
PAMELA: Je ne me souviens plus de rien.
MAXIME
: vous mentez !
SCHNEIDER :
En vous enfermant dans ce système de défense vous allez nous
contraindre à recourir à des méthodes que réprouve notre
sensibilité. Même lorsque cela s'avère nécessaire, nous répugnons
à molester les femmes, mais…
Mme
PAMELA : Ensuite, après votre départ, nous sommes sorties de la
chambre.
MAXIME
: Nous ?
Mme
PAMELA : Je veux dire je.
SCHNEIDER
(réfléchissant à haute voix) : Fracture de la personnalité !
Simple tendance mégalomaniaque ?..
MAXIME
: Et vous utilisez du rouge à lèvres orange ? Et vous êtes
devenue en une seule nuit une fumeuse invétérée ?
Mme
PAMELA : Ah, je sentais bien que mes actes de charité conduiraient à
la ruine de ma réputation.
MAXIME
: Les bonnes actions ne sauraient éternellement demeurer impunies.
Mme
PAMELA : Voila où cela vous mène d'avoir pitié des malheureux.
MAXIME :
Pas de pitié pour les gens qu'on aime !
Mme
PAMELA : Je n'oserai plus vous regarder en face, monsieur Maxime.
C'est de la faute à mon bon cœur. C'est pour cela aussi que je me
suis voilé la face : je n'aurais pas pu soutenir votre regard.
SCHNEIDER
: Voilà qui est clair également ; elle nourrit pour vous une
flamme coupable, croyez-en ma bonne vieille expérience. Avec les
femmes il faut s'attendre à tout; elles ne tirent pas comme nous de
saines leçons de l'expérience, et pour avoir rôti le balai ne
s'enflamment pas moins comme des fagots de paille.
MAXIME
: J'ai la nausée à vous l'entendre dire. La vie est dégoûtante,
cette femme est dégoûtante !
Mme
PAMELA : Oh, qu'il le répète encore !
MAXIME
: Qui était dans cette chambre avec vous ?
Mme
PAMELA : Une femme.
SCHNEIDER
: Et vous nous l'avouez sans rougir ?
Mme
PAMELA: Vous vous méprenez Inspecteur. Pendant qu'elle occupait le
lit, je m'étais retirée dans le placard.
MAXIME
: Ah,
je le savais ! une femme invitée par Harold,
et pour briller devant elle, il a souillé
mon
uniforme. Et vous, savez-vous comment
cela s'appelle le métier que vous faites ?
Mme
PAMELA
:
Ah,
je suis maudite, cette maison est maudite ! j'aurais dû en
finir tant que j'étais
dans cette penderie !
SCHNEIDER
: Vous vous exagérez la lourdeur de votre faute. En raison de votre
franchise, même si elle fut un peu tardive, nous renoncerons aux
poursuite à votre encontre. Vous pouvez vaquer. Vous direz un
Confiteor
et
deux Mea
Culpa.
Allez en paix.
Elle
sort contrite.
C'est
un cas des plus étranges ; j'en parlerai à un de mes amis
psychiatre. Avez-vous remarqué comme la vérité lui brûlait les
lèvres. Elle est pour ainsi dire incapable de mentir. Il
conviendrait peut-être de la faire interner quelques temps.
MAXIME
: Est-il très opportun d'enfermer une femme qui a passé sa vie dans
une maison close ?
Harold
entre.
HAROLD
: Vous prendrez du café, du thé ou du chocolat monsieur Schneider ?
MAXIME
: Inutile d'essayer de noyer le poisson dans le bol du petit déjeuner
: nous savons tout !
HAROLD
: Oh ?, vous allez me raconter, n'est-ce pas monsieur
Schneider ?
MAXIME
: Comment as-tu le front de faire preuve d'un tel cynisme ?
HAROLD
: Oh, Max, ne sois pas si guindé. Tu sais bien que j'ai une
véritable passion pour les crimes passionnels.
MAXIME
: Tu ne veux tout de même pas me dire qu'elle est... que tu l'as…
HAROLD
: A quoi bon feindre encore ? L'inspecteur lui-même a dit que
c'était normal que je m'intéresse.
SCHNEIDER :
c'est de votre âge !
MAXIME :
Vous en avez de bonnes ! depuis quand la jeunesse est-elle une
excuse aux penchants criminels ?
SCHNEIDER :
Tout de suite les grands mots ! Vous voyez tout en noir, ce
n'est tout de même pas si grave ;ça veut mieux que d’attraper
la scarlatine, comme on disait de mon temps !
MAXIME
: Au fond, vous avez raison, c'est peut-être mieux ainsi.
Il
tire Harold à l'écart.
Tu
as bien caché le corps au moins ?
HAROLD
: Mais de quoi parles-tu?
MAXIME
: Cette fille que tu as ramenée.
HAROLD :
Ah! Madame Paméla n'a pas pu tenir sa langue... Elle n'est pas
coupable, je vous le jure ; j'ai eu bien du mal à la décider à
l'installer dans la chapelle.
MAXIME :
Il va falloir l'en sortir tout de suite.
HAROLD
: Tu ne seras pas brutal après elle ?
MAXIME :
Je ne pense pas que ça lui fasse ni chaud ni froid après la façon
dont tu l'as violentée cette nuit.
HAROLD
: Violentée, violentée ? c'est elle qui m'a poussé, en tout
cas elle s'est bien laissée faire.
MAXIME
: Je me moque de savoir qui a commencé. Pauvre femme ! Enfin,
qu'allons-nous faire d'elle ?
HAROLD :
Je l'aime, Maxime, je l'aime.
MAXIME
: Il est un peu tard pour songer à réparer maintenant que tu as
commis l’irréparable.
HAROLD
: Elle voudrait te connaître, je lui ai tellement parlé de toi.
MAXIME
: Mais... tu viens de nous avouer qu'elle était... enfin qu'elle
n'était plus…
HAROLD
: Qu'elle était quoi?
MAXME :
Morte !
HAROLD
: Moi? je ne suis tout de même pas fou, je sais encore ce que je dis
!
MAXIME
: Quelqu'un ici essaye de me faire passer pour un imbécile, ou bien
c'est un piège pour me confondre. Mais je suis plus résistant que
vous croyez.
SCHNEIDER
: Cessez de vous agiter, mon garçon. Vous prenez cette affaire trop
à cœur. Vous embrouillez à plaisir ce qui n'est qu'une banale
histoire de fesses.
HAROLD
: Oh monsieur Schneider, malgré le profond respect que j'ai pour
vous. je ne souffrirai pas qu'on réduise mes sentiments sincères à
de basses pulsions animales.
SCHNEIDER
: L'amour! L'opium des gardiennes d'immeuble et des sténotypistes !
Laissons aux femmes leurs illusions, et causons sérieusement.
MAXIME
: Tu te couvres d'opprobre et de lucre, tu te roules dans la fange et
tu ne rougis même pas de ton abomination !
HAROLD
: Je ne me sens pas coupable.
MAXIME
: C'est la voix du démon qui parle par ta bouche, et la voix de
cette Catherine qui est sa créature. Car c'est elle n'est-ce pas? Tu
as forniqué avec elle sous notre toit ? une fille des rues, une
fille de Babylone, une prostituée de Sodome, une intrigante, une
briseuse de couple !
HAROLD
: Inspecteur, ne le laissez pas me frapper . Il me séquestre, il me
bat.
SCHNEIDER
: Les châtiments corporels n'ont jamais nui à la santé des enfants
et sont une aide précieuse dans leur éducation.
HAROLD
: Je ne suis plus un enfant.
SCHNEIDER
: C'est ce que disent tous les jeunes gens de votre âge mon petit.
MAXIME :
Vous voyez bien, c'est cette fille qui l'a monté contre moi. Enfin
Harold, mon petit chat, tu es un garçon intelligent, sensé, pas
encore assez posé peut-être, mais tu comprends bien ce qui va se
passer... Je n'ai toujours voulu que ton bien... J'ai peut- être été
maladroit... Je ne te battrai plus, je ne t'empêcherai plus de
sortir, mais il faut la chasser. Et nous oublierons tout.
HAROLD
: c'est impossible.
MAXIME
: Mais, tête de mule, tu ne vois pas qu'elle essaye de nous séparer
par ses mensonges, qu'elle n'a rien eu de plus pressé que de semer
la discorde entre nous ? C'est à cause d'elle que tu as été
obligé de mentir et de tromper ma confiance.
SCHNEIDER
: Si je vous dérange, je peux…
HAROLD
: Mais je ne veux pas m'en aller, Max. Imagine la belle petite
famille que nous formerions. Et je ne serai plus oblige de perdre mon
temps à faire le ménage.
MAXIME:
Et de quoi vivrions-nous? Je ne gagne pas assez pour prendre en
charge une personne supplémentaire.
HAROLD
: Je travaillerai.
MAXIME
: Et que feras-tu? tu ne sais rien faire de tes dix doigts. Avec cinq
encore, je ne dis pas, mais ce n'est pas un travail honnête.
HAROLD
: J'entrerai dans la police.
MAXIME
: Comment peux-tu y songer après ce que tu as fait ?
SCHNEIDER
: Oh, vous savez, on n'est pas regardant à ce point-là !
MAXIME
: Ils feront une enquête. ils découvriront comment tu as échappé
à la conscription.
SCHNEIDER
: Oui, évidemment, ce point-là est plus épineux, mal vu dans
l'administration et mal porté dans un milieu d'hommes.
MAXIME
: Tu le disais toi-même que tu n'étais pas prêt à te battre, à
te coltiner avec la vie ; et survivre est un combat de tous les
jours.
HAROLD
(timidement) : Je pourrais peut-être apprendre ?
MAXIME
: Comment ferais-tu sans moi?
HAROLD
: Mais, puisque je te dis que je ne veux pas partir Max ; je veux que
tout reste exactement comme avant. Nous serons juste un de plus dans
la famille, on lui aménagerait un bon petit lit sur la banquette du
train. Ce serait le bonheur, pour toujours.
MAXIME
: Tu ne connais pas les femmes, mon petit, et leurs exigences
ahurissantes, leur constant besoin de preuves de fidélité, de
sacrifices exorbitants à ce qu'elles appellent leur amour.
SCHNEIDER
: Là, je dois reconnaître que votre frère n'a pas tout-à-fait
tort.
MAXIME
: Et puis, même en admettant que je parvienne à prendre sur moi
pour la tolérer, sa jalousie la poussera à n'importe quelle
extrémité. Médite la parole du vieux Goethe: « qui a possédé
la beauté préfère la détruire qu'en souffrir le partage ».
SCHNEIDER
: Et cultivé en plus ! ce garçon est une perpétuelle source
d'étonnement.
MAXIME
: Vois comment en une seule journée elle est parvenue à t'abuser:
tu crois conquérir ta liberté, exercer ton libre-arbitre. Tu es si
naïf que tu ne vois même pas les conséquences de tes actes. Ce
qu'elles veulent toutes, c'est la corde au cou, la bague au doigt. Et
quand elles sentent qu'on leur échappe, un coup de baguette magique
et hop, un arlequin dans la soupente, et te voila papa. Chantage,
mariage et cocufiage sont les trois mamelles du bonheur ; c'est
cela la vie libre et heureuse que tu te prépares... Elève-t-on
pendant vingt ans des enfants, pour qu'en une nuit une aventurière
les détourne du droit chemin !
HAROLD
: Je me suis peut-être un peu précipité. Mais vrai, Max, je crois
que je l'aime.
MAXIME
: Tu crois ? tu n'en es déjà plus aussi sûr. Elle a compris
que tu étais une proie facile et influençable. Elle t'a forcé,
n'est-ce pas ?
HAROLD
: comment sais-tu ?
MAXIME
: Je te connais comme si je t'avais fait. Un garçon bien élevé
comme toi ne peut avoir que de la répugnance pour ces choses
dégradantes !
HAROLD
: Au début ça me dégoûtait bien un peu.
MAXIME
: Je savais que tu étais raisonnable. Alors tu vas lui dire toi-même
que tu souhaites qu'elle s'en aille. Tu lui donneras deux cents
francs pour son travail et nous oublierons cette vilaine histoire.
HAROLD
Je ne la reverrai plus ?
MAXIME
: C'est le seul moyen de guérir. Tu souffriras moins longtemps.
Catherine
apparaît dans l'encadrement de la port e : elle est en costume
de star, fourreau noir fendu sur la cuisse, fume-cigarette, strass.
Dès qu'il la voit Maxime tremble de tous ses membres et réprime un
cri.
CATHERINE
: Si c'est de mon sort que l'on discute, j'aimerais donner un avis
sur la question.
Maxime
se jette dans les bras de Schneider.
MAXIME
: Par pitié, protégez-moi Inspecteur, je deviens fou, j'hallucine
tout éveillé ! C'est le fantôme de la morte, elle est tout en
noir avec des diamants aux oreilles.
SCHNEIDER
: Stupéfiant ! Et d'une classe !
MAXIME
: Comment ? Vous la voyez aussi ? Ah, c'est Dieu qui nous
l'envoie pour nous éprouver. C'est une vision : elle n'a aucune
réalité.
Il
rit.
SCHNEIDER
: Remettons le débat ontologique à plus tard et constatons les
faits. Je vous assure qu'elle est bien 1à... (à Catherine)
On peut toucher ?
CATHERINE
: Je vous en prie.
SCHNEIDER
: Simple examen de contrôle afin d'attester de votre existence
matérielle. Mademoiselle, que faisiez-vous ce matin entre six et
sept heures dans un tiroir de la morgue ?
CATHERINE
: A cette heure-là, je n'était pas encore sortie du cercueil.
MAXIME :
Ah ? vous voyez ! méfions-nous Inspecteur. C'est sans
doute un vampire.
CATHERINE
: On devrait interdire l'abus de cinéma fantastique ou
d'hallucinogènes aux personnes impressionnables ! J'étais
simplement couchée dans le cercueil de la chapelle, là, au bout du
couloir.
SCHNEIDER
: Quelle ressemblance phénoménale ! Et naturellement vous vous
prénommez Julia, comme la morte ?
CAITHERINE
: Mon nom est Catherine.
MAXIME
: Elle ment !
SCHNEIDER
: N'essayez pas d' influencer le témoin.
CATHERINE
(A Maxime) : C'est vrai, officier, on croirait que je vous
fais peur. Qu'est-ce qu'un citoyen au-dessus de tout soupçon comme
vous, habitant bourgeoisement un bouic désaffecté, peut craindre
d'une fille des rues ?
SCHNEIDER
: Qu'entendez-vous, mademoiselle, par fille des rues ?
CATHERINE
: Je suis orpheline.
SCHNEIDER
: Ah mais, qu'est-ce qu'ils ont donc tous dans cette maison à égarer
leurs auteurs ?Chez Madame Paméla, pension pour sans- famille !
C'est vrai ça ! ça ne se perd pas aussi facilement que ça.
Moi-même, en dépit de mes efforts... mais je m'égare…
Saviez-vous, mademoiselle, que vous aviez jusqu'à hier après-midi,
un sosie parfait en la personne d'une femme de mœurs légères dont
nous recherchons actuellement l'assassin ? Quoique vous n’ayez
rien à craindre tant que nous sommes là, je ne saurais trop vous
recommander de vous mettre sous la protection de la police. On ne
sait jamais, le maniaque est peut-être déjà sur votre piste.
CATHERINE
: C'est pour cela que je me suis enfuie. Comprenez, dans mon métier,
on ne sait jamais très bien de qui il convient d'avoir le plus peur,
de la police ou des truands.
SCHNEIDER
: Enfuie, dites-vous ?
CATHERINE
: La victime était ma sœur.
HAROLD
: Oh, pourvu que ça ne nous porte pas malheur !
MAXIME
: Vous mentez ! Julia n'avait pas de sœur, je j'aurais su !
SCHNEIDER
: Vous êtes médium ?
Les renseignements de l'identité judiciaire ne nous sont pas encore
parvenus. Comment sauriez-vous fiston ?
Julia Martin reste un mystère: faux papiers sans doute. Mais vous
êtes en mesure, mademoiselle, de nous expliquer tout cela. Vous êtes
donc la sœur
de Julia ?
CATHERINE
: En quelque sorte.
SCHNEIDER
: Allons bon ! voila que ça recommence. Je vous préviens, tous
autant que vous êtes, on ne se moque pas impunément de l'inspecteur
Schneider !
CATHEHINE
: Ma sœur s'appelait Marie, Inspecteur. Julia était son nom de
guerre.
MAXIME :
Depuis le début, j'ai été abusé !
SCHNEIDER
: Ne nous décourageons pas. En moins de vingt-quatre heures nous
avons progressé à grands pas vers la résolution de cette affaire.
Vous habitiez chez votre sœur ?
CATHERINE
: Non, c'est trop horrible, je devais venir la rejoindre ! mais
je ne suis arrivée qu'hier de province.
HAROLD :
Tiens? J'ai dû mal comprendre.
SCHNEIDER
: Laissez-moi deviner : votre sœur et vous avez été séparées par
l'Assistance Publique. Dès qu'elle a gagné suffisamment d'argent
elle vous a convié à venir la retrouver. Vous êtes arrivée, elle
était morte... La vie est vraiment faite de coïncidences navrantes.
HAROLD :
Quelle puissance de déduction !
SCHNEIDER :
Cela me rappelait une histoire connue. Çà impressionne le monde,
mais ce n'est pas très compliqué. Un talent de société plus
qu'autre chose. (A Catherine) Que pouvez-vous nous dire qui
fasse progresser nos recherches ?
MAXIME
: Elle est arrivée d'hier, elle ne sait rien.
HAROLD
: Mais pourtant, elle…
MAXIME :
Ah, silence, Harold, nous discutons entre adultes !
CATHERINE
: Je n'en sais certainement pas plus que vous dans cette affaire,
officier... mais...
TOUS
: Mais ?
CATHERINE :
Il y a quelques mois, ma sœur a rencontré un jeune homme qui s'est
proposé à 1a... protéger... à 1a…
SCHNEIDER
: soutenir?
HAROLD :
Oui, un barbeau, un dos vert, un marlou en sommes...
C
ATHERINE : Ce n'était pas exactement ça non plus ; elle l'aimait,
je pense.
SCHNEIDER
: Ah oui? Quel sens exact attribuez-vous à ce mot ?
CATHERINE
: Eh bien, Julia l'aimait, Marie peut-être pas.
SCHNEIDER :
Votre sœur inclinait à la schizophrénie ?
CATHERINE
: Dans les épreuves de l'enfance, c'est souvent plus facile de se
faire croire qu'on est plusieurs.
SCHNEIDER :
Soit, mais dans le cas prisent, cela risque de nous compliquer la
tâche. Faites comme si votre sœur n'était qu'une seule et même
personne. Par ailleurs, je m'excuse de réitérer ma question, mais
quelle signification attribuez-vous au verbe « aimer » ?
CATHERINE :
Elle voulait l'épouser; elle était enceinte.
MAXIME
: Elle l'avait fait exprès, et elle l'a menacé bien sûr de rendre
le scandale publique ?
HAROLD :
Mais comment pouvait-elle savoir de qui était l'enfant ?
MAXIME :
Harold, ces choses-là ne sont pas de ton âge !
SCHNEIDER
: Avez-vous une idée du nom de cette personne ?
MAXIME
(avec précipitation) : Tout cela n'explique pas pourquoi on a
trouvé deux corps.
HAROLD
: L'assassin se sera fait surprendre.
MAXIME
(à part) : Assassin, quel vilain mot !
SCHNEIDER
: Bien, il me semble que le mieux est de retourner sur les lieux afin
de procéder à un nouvel interrogatoire des voisins à la lumière
des renseignements que vous nous avez fournis. Quant à vous je vais
vous faire accompagner par une voiture à la P.J. afin que vous
fassiez consigner votre témoignage par écrit.
MAXIME
: Ne croyez-vous pas, Inspecteur, que tant que le meurtrier court la
ville, mademoiselle n'est pas plus en sécurité ici ?
SCHNEIDER :
Elle le sera tout autant dans les locaux de la police.
MAXIME :
Je ne partage pas votre optimisme... une femme seule, et dans cette
tenue !
SCHNEIDER
: ce que j'en disais, c'était pour vous rendre service. Je croyais
que vous préféreriez qu'elle s'en aille.
MAXIME :
L'affaire
a pris depuis une autre tournure. Et puis vous n'allez
pas la garder enfermée toute la nuit. Ici,
nous nous occuperons d'elle.
SCHNEIDER
: Qu'en pensez-vous, mademoiselle ?
CATHERINE
: Il me semble avoir toujours habité ici.
SCHNEIDER
: Eh bien soit ! Je reviendrai prendre de vos nouvelles.
HAROLD
: Oh, merci Inspecteur, grâce à vous nous sommes réconciliés.
SCHNEIDER
: Pas d'enthousiasme intempestif, mon garçon ! Vous, vous venez
avec moi, il faut que nous ayons une petite discussion sur les choses
de la vie, entre hommes, vous me comprenez ? Ramassez vos
affaires, je vous invite à déjeuner à la cantine des Mœurs, vous
n'en dires des nouvelles : là-bas on ne s'embête pas !
HAROLD
: Je peux y aller ?
MAXIME
: Fais-toi plaisir, amuse-toi.
HAROLD
: Vous voyez Catherine, tout s'arrange, il n'y avait pas lieu d'avoir
peur de mon frère.
SCHNEIDER
: Dites-moi, la robe que vous portez n'est pas à vous n'est-ce pas ?
CATHERINE
: Ma sœur y tenait beaucoup. C'était un cadeau de... enfin vous
voyez..
.
SCHNEIDER:
Pour l'instant il serait préférable que vous me la confiiez, il
pourrait s'agir d'une pièce à conviction. Peut-être y a-t-il une
marque de tailleur susceptible de nous mettre sur une piste. Elle
vous sera rendue naturellement dès que je n'en aurais plus l'usage.
Et les pendants d'oreilles ?
CATHERINE
: Ce sont des strass que j'ai achetés dans le métro en venant de la
gare.
SCHNEIDER :Bien,
allez vous changer, mon enfant.
Elle
sort.
Profitez
de notre absence pour vous reposer Maxime. Je vous trouve trop
nerveux, vous devriez dormir un peu. Le manque de sommeil peut chez
certains sujets sensibles provoquer une forme larvée de dépression,
et il me semble que vous donnez des signes inquiétants de surmenage.
HAROLD
: A tout à l'heure grand frère.
Il
l'embrasse. Ils sortent, Harold
le premier, Schneider se frotte les mains et dit en s'en allant:
SCHNEIDER:
Schneider, mon ami, je sens que tu es tombé sur l'affaire de ta vie
!
Maxime,
resté seul, marche de long en large sur la scène avec de grands
signes d'agitation.
MAXIME
: O seigneur ! Pas une deuxième fois! Notre Père qui êtes aux
cieux... si vous étiez sur terre, comme je vous tordrais le cou pour
m'avoir abandonné et fourré dans un pétrin pareil ! Moi, moi qui
suis le bras armé de votre vengeance sous le costume de la loi. Car
je n'ai fait qu'exécuter votre ordre...Que votre volonté soit faite
sur la terre comme au ciel... Si tout ce qui n'arrive est votre
volonté, je veux bien être pendu... non : jugé, il ne faut pas
présumer des desseins du Créateur et s'efforcer de passer par la
porte étroite... Ne me soumettez pas à la tentation... Vous savez
comme Je suis faible, j'ai obéi pour la première, mais il doit bien
y avoir d'autres élus. Oh Seigneur, pourquoi me laissez-vous faire
le travail tout seul ? Elles sont déjà bien nombreuses: si
vous vous mêlez en plus de les dédoubler : je n'aurai pas la
force de lutter éternellement ; prenez pitié, épargnez-moi, et
délivrez-moi du mal.
Maxime
est encore absorbé dans sa prière quand Catherine rentre dans un
déshabillé suggestif à frous-frous.
CATHERINE
: Ce n'est pas le moment de flancher, Max. Tiens, voilà les boucles
et la rivière de diamants que transportait le bijoutier et que tu as
oubliées dans ta précipitation.
MAXIME
: Comment savez-vous ?
CA'I'HERINE :
Je pensais à voir ton trouble que tu m'avais reconnue tout à
l'heure. C'est moi, je suis Julia.
MAXIME
: c'est impossible, je l'ai tuée.
CATHERINE
: Je voulais te l'entendre dire.
MAXIME
: Vous êtes venue pour m'assassiner !
CATHERINE :
J'avoue que l'idée m'a parue séduisante un moment, mais le chagrin
et la colère sont de mauvais conseillers. C'était tentant de te
tuer, mais juste pour le geste, comme ça, un plaisir des plus brefs,
et pour toi fort peu de souffrance; je n'aurais jamais plus pu jouir
de ta peur. Bien sûr, c'était grisant, satisfaisant pour l'esprit
la perspective du crime parfait; mais je préfère les plaisirs
sensuels aux plaisirs intellectuels. J'ai pensé aussi que te donner
à la police pouvait être drôle, mais c'était risquer que tu
m'échappes à la faveur d'une complaisance entre collègues.
D'ailleurs je n'ai encore rien résolu sur ce point.
MAXIME
: Que voulez-vous ? de l'argent ?
CATHERINE :
Tu n'en as pas.
MAXIME
: On en trouve !
CATHERINE :
Ne sois pas ridicule, et cesse de me vouvoyer. Nous sommes de vieux
amis. Ne suis-je pas venue tout exprès t'apporter le butin de ton
crime ? Maintenant nous ne nous quitterons plus jamais. Je suis
certaine que Marie aurait fait exactement la même chose à ma place.
Tu m'appartiens Maxime, tout ce qui t'appartient m'appartient, et
Harold aussi depuis cette nuit. Nous sommes enchaînés pour toujours
et il est temps que tu le comprennes. Nous t'avons toujours aimé,
Maxime, car nous avons toujours su que tu étais dangereux pour nous.
MAXIME
: Qui nous ?
CATHERINE
: Julia. Marie et moi tour à tour nous avons été Julia pour toi.Si
nous t'avions révélé que nous étions jumelles, tu n aurais pas su
te partager entre nous : nous t'aurions fait peur. Tu dînais
avec l'une, tu dormais avec l'autre.
MAXIME
: Mais depuis quand ?
CATHERINE
: Depuis toujours, depuis toujours. Quand Marie s'est trouvée
enceinte, c'est moi qui ai eu l'idée du diamantaire, il suffisait de
te la souffler. Avec tout cet argent, nous nous serions établis à
la campagne, dans une de ces fermes du Nord que nous n'aurions jamais
dû quitter. Mais tu as voulu être plus intelligent que nous et
regagner ta liberté en livrant une Julia criminelle à la police,
coupable, mais morte de préférence. Seulement elle était un peu
réticente quand tu lui as suggéré de sauter par la fenêtre pour
exécuter le suicide en règle qui t'innocentait.
Elle
t'a menacé, tu t'es affolé stupidement.
MAXIME
: Je ne voulais pas lui faire de ma1... Elle disait qu'elle me
prendrait mon frère, qu'elle ruinerait ma carrière.
CATHERINE
: Pauvre Marie, elle a été si maladroite. Nous ne pouvions pas te
laisser partir.
MAXIME
: Mais pourquoi vous acharner ainsi sur moi ?
CATHERINE
: Vraiment, les hommes ont la mémoire courte, de toutes petites
têtes d'oiseaux. Quand nous avions sept ans déjà nous te
regardions passer en nous faisant la courte échelle derrière le mur
d'enceinte de l'orphelinat des Tulipes Roses.
Souviens-toi, une bâtisse qui avait d'air d'un château sur le
chemin de la promenade, à peine à cinq cent mètres de chez vous.
On ne voyait que toi, comme tu fermais la marche, tu t’attardais à
flâner en faisant des signes aux grandes. C'est là que nous t'avons
choisi, parce que tu nous méprisais et que tu ne nous regardais pas.
Plus tard quand nous avons retrouvé ta trace, nous sommes entrées
une seconde fois par hasard dans ta vie. Il nous a fallu beaucoup de
temps et de patience pour y parvenir. 'Tu vois, nous ne pouvons plus
faire machine arrière.
MAXIME
: Ne m'approche pas, tu me fais horreur.
CATHERINE
: 'Tu n'as pas toujours dit ça. Je sais tout de toi, ce qui te fait
honte et ce que tu aimes. Je connais chaque centimètre carré de ta
peau, toutes tes réactions intimes. Je te connais mieux que si
j'étais ta sœur ou ta mère. Oh Max, si tu savais comme je t'aime !
MAXIME
: Ne me touche pas, enlève tes mains de mes épaules.
CATHERINE
: Viens, Maxime, tu n'as pas de raison d'avoir peur de moi.
MAXIME
: Non, pas ici, j'ai l'impression qu'on nous regarde... Ses grands
yeux ouverts sur le vide, c'était épouvantable.
CATHERINE
: Il faut oublier mon tout petit. C'était un mauvais rêve. Tout est
fini maintenant. Viens, Maxime.
MAXIME
: Non, je ne peux pas, j'ai la migraine.
CATHERINE
: Allons, pas de caprices, sinon je serai obligée de mentir à
l'inspecteur Schneider.
Elle
l’entraîne dans la chambre. Silence: soupirs d'aise ou de douleur.
Après un temps…
Ah
Maxime, tu me tues !
MAXIME
: Ne dis pas ça, ça me fait froid dans le dos, tu vas me faire
perdre mes moyens.
Silence.
CATHERINE
: Veux-tu être gentil, Maxime ?
MAXIME
: Je ferai ce que tu voudras.
CATHERINE
: Appelle-moi encore Julia.
Rideau
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